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Billet de blog 2 novembre 2021

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Les contraventions par les radars ne sont pas dissuasives

La répression systématique, par les radars, des conducteurs outrepassant la vitesse limite ne peut pas avoir de valeur dissuasive, comme l’a dit Robert Badinter au sujet de la peine de mort. Sauf pour les conducteurs les plus craintifs qui n’oseront plus accélérer franchement au cours de leurs dépassements au risque de provoquer alors des accidents.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

À l’occasion du quarantième anniversaire de l’abolition de la peine de mort, nous avons pu revoir des extraits de la prestation de Robert Badinter devant l’Assemblée. Personnellement, j’ai été frappé, non par ce qu’il a dit ‑ on le savait déjà ‑, mais par le fait que nous n’avions pas tiré tous les enseignements de ses arguments. Et plus particulièrement de cette affirmation : 

Il n’y a pas dans la peine de mort de valeur dissuasive.

Si la peine capitale n’était pas dissuasive, comment les autres peines, par définition moins sévères, le seraient-elles ?

Prenons le cas de la sécurité routière : si l’on en croit Robert Badinter, une politique basée uniquement sur la répression a posteriori des conducteurs à l’aide des radars ne peut donc qu’être vouée à l’échec.

Trouver dans sa boîte aux lettres, au retour de vacances, une contravention pour un excès de vitesse, commis on ne sait pas vraiment où, ni dans quelles conditions, n’est pas le moyen éducatif le plus efficace pour optimiser notre conduite, plus tard, dans d’autres conditions et n’a donc aucune chance d’améliorer la sécurité des usagers de la route.

Cette politique punitive est facilitée par l’hypocrisie et le flou du code de la route avec d’une part des vitesses maximum autorisées de plus en plus basses et, d’autre part, l’impératif d’une « vitesse relative des deux véhicules permettant d’effectuer le dépassement dans un temps suffisamment bref ». (Art. R414-4 du code de la route)

Comme on nous le rabâche au sujet du covid, on peut discuter de tout mais pas des chiffres.

Les relations entre la vitesse, la durée et la distance, ne sont pas des choses rudes, il ne faut pas pour les comprendre avoir fait des études. Appliquons ces calculs à un cas concret :

Sur une route départementale, sans séparateur central, je roule à 79 km/h. Je me rapproche d’un véhicule qui ne roule qu’à 70 km/h. Avant d’arriver aux 50 m réglementaires de sécurité, je dois estimer la distance minimum de visibilité nécessaire sur la voie de gauche. Si cette distance de visibilité est suffisante, je peux alors opérer mon dépassement.

L’avant de mon véhicule doit parcourir les 50 m de sécurité, la longueur de l’autre véhicule (4,20 m) ; pour que l’arrière de mon véhicule soit à 10 m devant l’autre véhicule je couvre donc ma propre longueur (4,20 m) et les 10 m nécessaires pour ne pas lui faire une queue de poison ; enfin, pour libérer totalement la voie de gauche il me faut encore 15 m supplémentaires.

Ce qui fait un total de 83,40 m que je dois faire en plus de l’autre véhicule.

Cette distance supplémentaire sera effectuée à une vitesse égale à la différence des vitesses entre les deux véhicules, soit ici : 79km/h – 70 km/h = 9 km/h.

Pour effectuer ces 83,40 m à 9 km/h il me faudra : 3600 s / 9000 m * 83,40 m = 33,36 secondes.

En roulant à 79 km/h pendant ces 33,36 secondes j’aurai parcouru : 79000/3600*33,36 = 732,07 m.

Pendant que j’effectuais ces 732 m, un véhicule venant en sens inverse, roulant lui aussi à 79 km/h aura parcouru ces 732 m. Donc la distance minimale de visibilité est 732 + 732 = 1464 m.

Distance minimale parce que, si je suis arrivé aux 50 m réglementaires derrière le véhicule à dépasser et que je n’ai pas la distance minimale de visibilité, je suis contraint de diminuer ma propre vitesse, peut-être pour descendre jusqu’à la sienne. Par la suite, pour relancer ma propre vitesse, il me faudra quelques secondes, donc des mètres supplémentaires. Et la distance minimale de visibilité passe au-delà du kilomètre et demi.

Il est donc nécessaire d’avoir un œil de lynx, pour apercevoir, sur une route obligatoirement droite, sans aucune bosse, à plus d’un km et demi, la voiture grise qui se confond avec la couleur de la route, à l’ombre des arbres !

Si, comme on nous l’a appris dans notre jeunesse, on accélère franchement, les distances minimales de visibilité se réduisent alors très vite.

Illustration 1
© JLB

Avec ces chiffres, pas la peine d’en rajouter, la messe est dite. À moins d’interdire purement et simplement tout dépassement sur les routes départementales, la sécurité des usagers exigerait d’outrepasser très largement les vitesses maximum autorisées lors d’un dépassement pour raccourcir la durée et la distance de l’occupation périlleuse de la voie de gauche. Mais les radars ne font pas de raisonnements, ils flashent !

Déjà les fixes sont très présents et ils vont, dit-on, être multipliés, embarqués dans des véhicules banalisés, conduits par du personnel privé, pour mieux traquer les véhicules roulant au-delà de la vitesse maximum autorisée, sans tenir compte des conditions de circulation.

L’avalanche des contraventions attendues aura pour effet de faire encore plus peur aux automobilistes les plus craintifs, au point qu’ils n’oseront peut-être plus accélérer franchement au cours de leurs dépassements : En attendant l’hypothétique créneau suffisant pour dépasser dans de telles conditions, les véhicules s’agglutineront alors derrière le plus lent, raccourcissant automatiquement les distances de sécurité. Et dans ce cas, le véritable risque n’est pas la vitesse mais le freinage, plus ou moins brusque, instinctif, irraisonné : En se propageant vers l’arrière, avec des temps de réaction de plus en plus courts, on assiste au mieux à un ralentissement, puis un bouchon, un arrêt total et au pire un carambolage peut-être mortel...

Le contrôle automatique de la vitesse par les radars, en particulier au cours des dépassements n’est donc pas le moyen idéal pour améliorer la sécurité des usagers de la route. C’est pourtant ce que serinent les responsables de la sécurité routière. Peut-être parce que c’est la méthode la plus simple et la moins coûteuse à mettre en œuvre à grande échelle pour faire accroire qu’ils se soucient de la sécurité des usagers.

Ou alors, parce que l’amélioration de la sécurité n’est pas leur véritable objectif. Il est vrai qu’ainsi, l’argent rentre à flots tant pour le budget de l’État que pour les dividendes des fabricants de radars.

Celui qui prétend qu’il n’outrepasse pas la vitesse maximum autorisée pour effectuer ses dépassements sur une route départementale est soit un menteur, soit un danger public.

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