Jacques LE BRASSEUR

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Billet de blog 2 décembre 2025

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Une solidarité désintéressée peut provoquer un tsunami de bonheur partagé.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’autre soir, après ma visite quotidienne à l’Amour de ma vie qui s’étiole et dépérit, enfermée dans une Unité Cognitive Comportementale, je me suis arrêté au Carrefour voisin pour acheter un article oublié la veille.

À la caisse, devant moi, une vieille dame, maghrébine, toute voûtée, avec son vêtement traditionnel tombant jusqu’aux semelles et son foulard jusqu’aux sourcils. Ses deux poches en papier contenant des carottes et des tomates avancent sur le tapis.

La caissière passe le premier puis le second devant le lecteur qui ne bipe pas.

« Vous avez oublié de les peser » dit-elle en lui rendant ses poches

Les yeux de la vieille dame s’embrument et sa bouche se tord. Elle amorce un geste pour donner ses achats à la caissière, comme elle l’aurait fait au primeur du marché du matin. Mais la caissière de Carrefour ne sert pas au marché, ne fait pas la pesée des achats des clientes et commence à s’impatienter : «  Allez peser vos légumes » !

La bouche de la vieille dame remue dans une grimace muette et ses yeux expriment une sorte de prière désespérée.

J’interviens, je prends les poches et dis à la vieille dame : « venez, on va les peser ».

On traverse le magasin vers le rayon des fruits et légumes.

C’est en faisant défiler les écrans pour pointer sur les tomates que je prends conscience que si cet exercice est un jeu d’enfant pour la plupart d’entre nous, c’est une épreuve insurmontable pour qui ne maîtrise pas notre alphabet.

Je lui rends les poches en revenant vers la caisse. La vieille dame sort un billet de dix euros et récupère sa monnaie. Elle fait un pas vers la sortie, et toujours sans un mot, se ravise, se tourne vers moi, me prend la main et la secoue énergiquement, toujours sans proférer le moindre mot. Mais ses yeux débordent de gratitude et de bonheur, leurs vagues m’atteignent et me submergent à mon tour.

Je ne saurais dire si les financiers exultent en voyant les cours de bourse s’envoler, mais je peux affirmer que ce petit geste de solidarité parfaitement désintéressé m’a été profitable en rendant moins triste le retour vers ma maison trop grande pour moi tout seul maintenant.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.