Jacques LE BRASSEUR

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Billet de blog 4 septembre 2023

Jacques LE BRASSEUR

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Emplois : Réflexions et propositions Mai 1996

Elu pendant plus de 20 ans à la Chambre d'agriculture du Gers, j'ai représenté les salariés des organismes agricoles En farfouillant dans les anciens disques durs, je suis tombé sur ce rapport sur l'emploi que j'avais rédigé au terme de mes mandats en 1996. A la relecture, je n'ai pratiquement rien à renier sur ce que j'avais alors écrit;

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Chambre d’Agriculture du Gers

Emploi : Réflexions et Propositions Mai 1996

Une fracture sociale...

Priorité à l’emploi, « Réduction de la fracture sociale », Lutte contre le chômage, ces expressions quasi quotidiennes dans les médias et sur les lèvres des responsables politiques ou professionnels sont la confirmation des préoccupations majeures des Français. Les sondages le martèlent, c’est actuellement leur première inquiétude. Les élus reprennent donc la chanson en rajoutant quelques couplets tels que : Mondialisation de l’économie, Déréglementation, Clause sociale de l’Europe, « Troisième voie, moins destructrice d’emplois » ...

Il est vrai qu’avec 3 031 600 (CVS) chômeurs officiellement recensés à la fin du mois de février dernier, auxquels il convient de rajouter tous les autres, les oubliés, ceux qui sortent des ASSEDIC sans reprise d’activité ou de formation (actuellement 55.000 par mois), les emplois précaires (CDD, CES...), ceux qui sont en formation mais sans illusion sur leurs chances de trouver un emploi, l’avenir ne s’annonce effectivement pas très rose.

D’autant plus que la formation – initiale ou continue – n’est plus une assurance de conserver son emploi et d’être exclu de l’exclusion. Quant aux jeunes, nombre d’entre eux, sortant des universités bardés de diplômes, d’espoir et de courage, doivent vite déchanter en piaffant vainement au seuil de la vie active.

De quelque niveau qu’ils soient, les salariés des entreprises privées ont pris conscience de n’être plus à l’abri du chômage. L’âge et l’expérience forment désormais un cercle vicieux : les jeunes ne sont pas embauchés parce qu’ils manquent d’expérience, mais à partir de 35 ans – on a même vu des cas à 28 ans –, des candidats sont refoulés car trop « vieux ». Les cheveux gris ne sont plus synonymes d’expérience, de sagesse ou de sérénité, mais une tare, la marque des titulaires de salaires trop élevés, donc prioritaires pour les départs anticipés.

Les salariés sont inquiets sur leur avenir. Ils savent bien qu’en cas de licenciement, ils n’auront que de faibles chances de retrouver un autre emploi et que les chances seront pratiquement infinitésimales d’en retrouver un de niveau équivalent à celui qu’ils occupent actuellement.

Dans ces conditions, ces alarmistes, du moins ceux qui le peuvent encore, se constituent une épargne de précaution pour se prémunir en cas de chômage, d’un nouvel emploi moins rémunéré, d’une retraite anticipée, ou pour aider leurs enfants qui galèrent désœuvrés. Cette épargne réjouit évidemment le banquier, mais est soustraite du cycle de la consommation. Les commerces en souffrent à leur tour, les stocks s’accumulent, le processus se met en boucle et s’autogénère. Les jeunes encore mobiles parce que pas encore installés, tentent de suivre les emplois hypothétiques dans les villes – ou plutôt les banlieues. Sans jeunes, sans leurs enfants, les services publics sont touchés à leur tour, les écoles ferment, les postes aussi et c’est l’effondrement : les commerces n’ont plus suffisamment de clients et ferment ; les habitants n’ont plus de commerces de proximité et s’exilent dans les grandes agglomérations. Ce scénario catastrophe doit paraître encore insensé dans des régions peuplées, du Nord en particulier, mais qui peut jurer qu’il n’est pas déjà amorcé dans un département comme le nôtre ?

Les conséquences du chômage percutent fortement tous les budgets sociaux. Si un chômeur ne cotise plus comme un salarié, il conserve – et c’est heureux – des droits à prestations, et même revalorisées. On estime que 100.000 chômeurs font un « trou » de cinq milliards dans le budget de la Sécurité Sociale. Le plein emploi permettrait donc non seulement d’éradiquer ses déficits chroniques mais en plus de diminuer les taux des cotisations. Les régimes de retraites ou les caisses de chômage qui souffrent d’un rapport bénéficiaires / cotisants déséquilibré augmentent les cotisations tout en baissant le niveau des prestations par le biais des durées : en allongeant la durée de cotisations et en diminuant la durée des prestations. Le plan de financement ne cesse d’être revu, toujours dans le même sens, alors qu’on le présentait comme définitif et valable jusque dans les années deux mille et quelques.

Enfin, les chômeurs n’ont plus cette image détestable qu’on leur avait si longtemps plaquée de fainéants, d’irrécupérables, d’exclus du système éducatif, de responsables de ce qui leur arrive et même bien contents de faire du noir. La proportion de chômeurs est maintenant telle que chacun connaît un voisin, un ami, un parent, un enfant au chômage et il n’est plus possible de les affubler de ces défauts. Le chômage n’est plus ce concept intellectuel, plus ou moins bien assimilé, c’est une réalité palpable et quotidienne pour une majorité de Français. Et la population ne comprend plus très bien comment un état comme le nôtre, avec les moyens dont il dispose, tant humains que financiers, soit incapable de guérir cette gangrène qui risque d’infecter les parties encore saines.

Les équipes gouvernementales précédentes ayant été disqualifiées par l’absence de résultats en ce domaine, il fallait des promesses précises de réduction de la fracture sociale pour recueillir les voix du plus grand nombre. Maintenant, il s’agit de réaliser ces promesses et le ban et l’arrière ban des responsables politiques ou professionnels sont consultés sur les mesures susceptibles de permettre enfin un début de victoire sur le chômage. Les foules rassurées ne fournissent-elles pas, en effet, les électeurs les mieux disposés ?

Comment la réduire ?

A mon modeste niveau, dans la fonction que j’occupe, j’ai déjà manifesté quelques souhaits pour tenter d’inverser la tendance dans notre département. A vrai dire, je n’ai, sans doute, pas su démontrer l’urgence de la situation parce que les faibles moyens que je réclamais n’ont pas été mis en place. Mais puisqu’aujourd’hui on me demande mon avis – et qui plus est par écrit -, je ne vais pas me faire prier.

La panoplie des mesures habituellement préconisées est déjà bien fournie. Mais ces mesures sont parfois opposées les unes aux autres, en fonction des intérêts représentés par ceux qui les mettent en avant. Je pourrais, moi aussi, décliner une ou plusieurs de ces mesures, à choisir dans la liste suivante :

  • Croissance de l’économie

  • Suppression des contraintes administratives

  • Reconstitution des marges des entreprises

  • Suppression des indemnités de chômage

  • Baisse des coûts de production

  • Déréglementation généralisée du travail

  • Délocalisations des fabrications

  • Dévaluation compétitive de la monnaie

  • Baisse du coût des transports

  • Création des emplois de service

  • Suppression de toutes barrières douanières

  • Petits boulots

  • Un marché unique européen

  • Travaux d’utilité collective CES

  • Monnaie unique européenne

  • Formation – mise à niveau des chômeurs

  • Accroissement de la concurrence

  • Aide à la création d’entreprises

  • Mondialisation de l’économie

  • Le désenclavement de la région

  • Réduction des charges sociales

  • Création de zones économiques par commune

  • Réduction des charges pour l’emploi de jeunes

  • Zones franches

  • Généralisation de l’apprentissage

  • Aménagement et réduction du temps de travail

  • Suppression ou abaissement de certaines taxes

  • Partage du travail et des salaires

  • Accroissement de la flexibilité

  • Préretraites progressives

Et il doit y en avoir encore d’autres qui ne me viennent pas immédiatement à l’esprit. Mais si leurs résultats précédents ont été si décevants, comment pourrais-je convaincre – les autres comme moi-même – qu’elles seront efficaces, aujourd’hui, plus qu’hier et, ici, plus qu’ailleurs ? Tout d’abord, on constate que certaines d’entre elles qui avaient été présentées « en faveur de l’emploi » se sont avérées finalement, si elles n’étaient pas délibérément fabriquées avec cet objectif, des machines redoutables « contre l’emploi », je pense en particulier aux CES, TUC...

On peut remarquer que des mesures n’interviennent qu’a posteriori. Les emplois sont supprimés et le chômage installé ; on tente alors, jusqu’à présent vainement, de remédier aux conséquences sociales les plus dramatiques.

Lorsqu’une opération telle que « 2 + 2 » a été posée par d’autres et qu’on nous demande de trouver un moyen pour que le résultat ne soit pas « 4 », on peut y mettre la meilleure volonté possible, la plus grande probité intellectuelle, retarder l’apparition du résultat mais on se heurtera toujours à la dure loi des mathématiques, que, dans ce cas, on nomme loi du marché. Il me semble préférable de remonter aux causes du chômage, aux objectifs de l’économie, au rôle de l’état. Cette démarche peut, certes, conduire à la remise en cause du système économique actuel, le seul qui reste en lice après l’effondrement du bloc de l’Est, de l’ouverture de la Chine à l’économie de marché et de la fin de l’activisme de Cuba. Mais le fait d’être le dernier survivant confère-t-il ipso facto l’excellence, la respectabilité ou le privilège d’être exempté de la critique ?

L’erreur la plus commune et la plus grave est de croire et / ou de laisser croire que l’économie capitaliste a pour objectif de créer des emplois. Son nom est son programme exclusif : le seul but du Capitalisme est, en effet, de rémunérer le capital, le plus possible et immédiatement. Le travail est considéré seulement comme un moyen pour atteindre ce but et non un but en lui-même. Ce travail peut être aussi bien automatisé, informatisé, mécanisé ou humain et c’est uniquement dans ce dernier cas que l’on parle d’emploi. Celui-ci est décidé et réparti non pas pour des raisons philanthropiques ou humanitaires mais, à l’intérieur d’un système de contraintes donné, pour que le petit nombre qui décide sans partage puisse en retirer le profit maximum, sans être obligé d’en référer à une majorité quelconque, celle-ci dut-elle en pâtir. Créations d’emplois, peut-être ici ou là, mais, aussi et surtout, suppressions de postes, et le plus souvent chez nous.

Dans la logique capitaliste, c’est en fonction d’un marché potentiel donné que sont créés des emplois qui produiront du profit. Ceci n’implique pas que, lorsque ce profit est réalisé, on crée d’autres emplois dans le même lieu et dans la même branche. Au contraire, on optimise alors l’investissement en robotisant, en informatisant... une partie des emplois initiaux. Pour dissimuler cette évidence au bon peuple, on a usé toutes les ficelles, les plus grosses étant les plus crédibles. Pendant les années Gattaz : « Les entreprises ne pourront embaucher que lorsqu’elles auront reconstitué leurs marges ! ». Actuellement, c’est plutôt : « En dessous de 3 % de croissance, le chômage ne reculera pas ». Les socialistes expliquaient pour leur part : « Tous les indicateurs économiques sont au vert, sauf l’emploi. C’est incompréhensible, la conjoncture est pourtant bonne, l’emploi ne peut que suivre ! ».

Faut-il un exemple 1 concret pour illustrer ces propos ? Le Canard Enchaîné du 24 avril nous l’apporte. Je cite : « Les filiales de Kodak en France ont confirmé, le 22 avril, le licenciement de 69 salariés (sur 131) du laboratoire de Metz. Le jour même, les dirigeants de ces filiales décidaient de verser 600 millions de dividende supplémentaires à la maison mère, aux États-Unis. La crise continue. »

Pierre Mauroy «  se battait sur la crête du million de chômeurs ». Ce million a été multiplié par plus de 3 en moins de 15 ans. Pour expliquer un résultat aussi mauvais, on ne peut envisager que deux raisons : ou bien ils avaient les deux pieds dans le même sabot ; ou bien ils avaient les mains liées. Or, ceux qui ont eu en charge le dossier du chômage, de droite comme de gauche, ne pouvaient pas tous être incompétents. Il faut donc en déduire que, sur ce dossier au moins, les politiques n’avaient pas les mains libres. Se heurtaient-ils au fameux « mur de l’argent » ?

Il semble bien que la situation soit toujours identique. Lorsque le candidat Jacques Chirac entonne le chant de la « fracture sociale », des électeurs inquiets abandonnent leur famille politique habituelle et lui apportent leur voix pour qu’il puisse appliquer ses idées dès son entrée en fonction. Hélas, le succès transforme souvent les programmes. Pour Juppé, le nouveau Premier Ministre, il importe de combler, avant tout, les déficits sociaux en soutirant une nouvelle masse de milliards aux Français. Quant à la lutte contre le chômage, qui devait être la priorité des priorités, le discours est explicite. Angéliquement, il fait confiance aux patrons pour embaucher ! Si ceux-ci avaient eu des raisons d’être inquiets, à la mesure de l’espoir suscité dans la population, ils ont ainsi été pleinement rassérénés. Si on en croit le dessin que Cabu fit paraître à cette occasion dans le Canard, les membres du CNPF n’ont pas encore fini d’en rigoler.

Un an après, alors que le dossier n’a pas évolué, sinon en pire, on nous redonne une pièce du même auteur. Cette fois-ci, le titre en est « La troisième voie ». L’argument : entre les petits boulots américains et le chômage français, ne pourrait-on ouvrir une troisième voie moins destructrice d’emplois ? Les médias répercutent cette nouvelle qui doit être représentée et défendue au sommet du G7-Emploi2 de Lille au début du mois d’avril. Cette prestation n’a eu malheureusement qu’un succès d’estime. Le rapport final, adopté à la fin de ce sommet n’a pas consacré la moindre ligne à cette idée géniale. Les représentants des pays les plus riches du monde pouvaient-ils s’embarrasser d’une question aussi subalterne que le chômage dans les pays industrialisés ? S’ils avaient dû s’y intéresser, n’auraient-ils pas déjà trouvé des solutions efficaces ? Mais après tout, l’important n’était-il pas que l’opinion française soit totalement convaincue des efforts que ne cessent de prodiguer ses dirigeants, dans cette lutte acharnée contre le chômage ? Quel rôle ne faut-il pas tenir pour gagner des élections !

Un renard libre dans le poulailler libre...

La « baguette magique » pour venir à bout du chômage, dont ne dispose pas  – de son propre aveu – le Président de la République, n’est-elle pas, tout bonnement, la fin de la politique du laisser faire appliquée dans de nombreux domaines, tant publics que privés, et qui s’exprime par la règle dite des quatre-vingts / vingt ?

Que deviennent les 20 % ? Le déchet ?

Des entreprises se sont recentrées sur leur métier de base, par exemple, quand elles se sont aperçues que 20 % de leur activité leur procuraient 80 % de leurs marges. Qui n’a pas entendu ce genre de phrases, paraissant au premier abord frappées au coin du bon sens : « Dans 80 % des cas, tout se passe bien » ou « Nous allons nous fixer un objectif réaliste, réglant 80 % des cas dans l’immédiat, et nous mènerons une réflexion sur les moyens à mettre en oeuvre pour résoudre le solde dans un délai raisonnable » et enfin « Certes, une faible partie risque d’en souffrir quelque peu, mais il faut penser à l’immense majorité qui va, ainsi, assurer son avenir à long terme » ?

De nos jours, la méthode infaillible de briller – momentanément – est d’être positif, de se consacrer exclusivement aux situations qui ne posent pas de difficultés ou qui se régleraient d’elles-mêmes sans notre intervention, ou alors de défendre ce qui n’est pas attaqué, tout en faisant la part du feu, en abandonnant délibérément les cas épineux, les seuls qui devraient normalement faire l’objet de toute notre attention. Ces « succès » ne sont, certes, que temporaires – la négation d’un problème étant rarement son traitement le plus efficace –, mais ils ont cependant le mérite d’avoir permis les pires décisions tout en laissant bonne conscience à leurs auteurs et à leurs témoins.

Pour une bonne part, la montée du chômage a été la conséquence directe de cette politique. On a ainsi justifié les licenciements d’un petit nombre pour sauver l’entreprise comme les délocalisations pour restaurer les marges et préserver l’avenir, etc. Les chefs d’entreprise ne sont pas les seuls à en supporter la responsabilité. Les politiques et l’administration n’y ont rien vu de condamnable et les syndicats ont préféré observer un silence d’enterrement.

L’arme absolue du libéralisme aura été sa communication

A leur décharge, il faut admettre que la seule idéologie qui se soit réellement exprimée dans ces années charnières a été celle du « Capitalisme sauvage ». Non seulement celle-ci a su se débarrasser de sa mauvaise connotation en se faisant appeler « Libéralisme » ou à la limite « Ultra-Libéralisme » mais elle a surtout réussi le tour de force de se faire reconnaître comme la seule solution crédible. La notion de pensée unique lui va comme un gant.

Au sortir de la guerre, le Patronat qui n’avait pas souvent misé sur le bon cheval pendant les hostilités, avait dû faire quelques concessions, et plus particulièrement dans le domaine de l’information écrite. Peut-on avancer que la presse d’opinion, ainsi libérée des diktats patronaux, a été le ferment incitant la population à maîtriser sa condition et à progresser vers son émancipation ? Le vent du boulet de Soixante-Huit a accéléré la reprise en main de ces médias qu’il n’était plus pensable de laisser à la disposition de gauchistes, fussent-ils journalistes. Les rachats, prises de participation ou tout simplement une bonne gestion de la publicité ont remis la plupart des organes de presse au pas, sinon à la botte.

Très peu de temps après l’arrivée des Socialistes au pouvoir, la presse de gauche n’assurait quasiment plus ses fonctions de garde-fou. La flatterie courtisane et la justification aveugle des pires actions – du moins celles qui étaient alors connues – avaient remplacé la critique vigilante, exigeante et constructive. Pour leur part, les appareils syndicaux parisiens, englués dans leurs contradictions d’alliés objectifs de l’Etat-Patron, n’assuraient plus leur rôle de contre-pouvoir : non seulement ils ne combattaient plus les dérives habituelles d’un employeur d’État à court de crédits, mais, pour ne pas être accusés de double langage, n’avaient rien à redire sur les manœuvres les plus sordides qui se perpétraient dans le secteur privé. Restructurations, délocalisations, licenciements ? Tout était dans l’ordre normal des choses, « le coût humain était, certes, très lourd mais c’était le prix à payer pour que l’économie française puisse se redéployer et que nos entreprises soient de nouveau compétitives » ! Libéralisme, que n’a-t-on pas fait en ton nom ?

De tels boulevards étant ouverts, le patronat aurait bien eu tort de ne pas s’y engouffrer. Il ne s’en est pas privé ! L’expression des salariés étant muselée, l’équilibre du contrat de travail largement rompu en faveur du patronat, qui à sa place n’aurait pas profité de la situation ? Le chômage, son volume et sa progression sont de si bons arguments pour obtenir de l’Etat les aides les plus variées et des salariés une docilité sans faille. Qui pourrait, dans de telles conditions, être assez maso pour accepter qu’on y mette un terme ?

La presse économique – libérale serait un pléonasme – se lançait dans l’escalade et, est-ce une surprise ? n’était pas contre-battue par les organes habituels de l’autre bord, syndicats, partis ou presse de gauche. Ceux-ci avaient même tendance à en rajouter dans le libéralisme. Il faut dire que les Socialistes s’étaient engagés dans la construction de l’Europe. Pas obligatoirement par vocation mais parce que, l’opposition paraissant divisée sur ce sujet, c’était l’ultime chance de ne pas être balayés aux élections suivantes. La crainte de ne pas parvenir à la ratification d’un accord avant les échéances électorales a conduit la délégation française à éluder, en particulier, la clause sociale que certains partenaires refusaient catégoriquement. – Vous souhaitez une Europe ultralibérale qui plaise aux marchands dont les profits progresseront grâce à la libre circulation des capitaux et des marchandises ? – Nous n’y voyons pas d’objection ! – Les limitations de l’arbitraire patronal vous gênent ? – Nous en reparlerons plus tard. C’est ça, aux calendes grecques ! L’objectif devait, là aussi, être atteint à 80 % !

Toute liberté est ainsi donnée aux marchands pour réaliser leurs transactions sans contraintes et multiplier leurs profits. Aucune contrepartie n’est attribuée aux salariés qui perdent peu à peu ce qu’ils avaient conquis au cours du demi siècle précédent. L’exemple de la Société Hoover aurait dû cependant faire office de clignotant signalant les dangers de la mise en concurrence entre les diverses régions de la Communauté. Cette société a décidé de fermer une usine de la région de Dijon pour aller l’implanter dans les Highlands d’Écosse où les salaires sont notoirement inférieurs et où les salariés avaient pris l’engagement de ne plus faire usage de leur droit de grève ! Cette remise en cause de l’emploi, en volume comme en niveau, n’est qu’une anticipation de ce qui se prépare avec la mise en concurrence généralisée entre les travailleurs du monde entier !

La liberté de la presse ne s’use que si l’on ne s’en sert pas !

La mondialisation de l’économie mérite un développement particulier, j’y reviendrai plus tard. Continuons sur le libéralisme et son action dans la presse. Le décès de Robert Hersant nous donne l’occasion de poser des questions sur les conditions de la constitution de son groupe de presse. Comment l’histoire expliquera-t-elle qu’un tel homme, condamné à la Libération, frappé d’indignité nationale, ait pu se constituer, à crédit, un tel empire, déficitaire, sans publier son actionnariat ni ses comptes, en infraction délibérée avec la loi ? Aurait-il pu parvenir à son but sans un soutien puissant, et si tel est le cas, quels gages a-t-il dû donner ?

Le groupe Hersant n’est pas le seul a faire de la propagande ultralibérale. Nos boites à lettres regorgent de publications de ce genre. Quand on en parcourt certaines, on en reste sidéré. Je le suis resté à de la lecture d’un exemplaire de Challenges3 envoyé gratuitement pour promouvoir l’abonnement. La page contenant l’ours et l’éditorial est reprise en annexe. Au moins, on ne pourra pas leur reprocher d’avancer masqués. En peu de lignes, l’essentiel est dit : « Pour être efficaces, les grandes sociétés ne garderont que les cadres chargés de la stratégie, de la recherche, de la gestion et sous-traiteront fabrications et services à des petites unités performantes, débarrassées des lourdeurs bureaucratiques et administratives. » Certes on n’ose pas encore écrire noir sur blanc si ces unités performantes seront ou non délocalisées. Mais pour celles qui resteront ici, il faudra changer les textes et surtout les mentalités « Le Code du Travail est obsolète, destructeur de tout esprit d’initiative ». Comment un journal peut-il se constituer une base de lectorat suffisante et surtout la conserver en propageant de telles idées ?

Les capitaux qui financent ce genre de prose sont tenus de produire un retour sur investissement. Les dividendes directs ne sont pas garantis – bien au contraire –, mais, quelle que soit l’ardoise finale, l’opération aura été profitable pour ceux qui cherchaient à transformer les relations au travail dans nos pays industrialisés.

Quelle reprise en main depuis l’apogée de 68 ! L’évolution des richesses globales du pays a toujours été positive et pourtant la population ressent une nette régression de sa situation. La dynamique a changé de camp ; la mode n’est plus au partage ni au collectif. Aujourd’hui, le profit du petit nombre n’est plus contesté, tant dans sa création que dans sa répartition. Pour parvenir à cette inversion des valeurs, il aura fallu à la fois, bâillonner la contestation et rabâcher ses valeurs en les serinant inlassablement. A force d’entendre ou de voir les pires horreurs, l’homme s’y habitue et adopte finalement n’importe quelle idéologie. L’investissement dans les médias aura été productif, la victoire du libéralisme est, avant tout, une victoire en communication.

La reprise en main, l’inversion des valeurs

La mutation de la mentalité offensive des salariés, au cours des « trente glorieuses », en ce pessimisme résigné actuel s’est déroulée en trois étapes qui ne doivent rien aux différents chocs pétroliers ni à la guerre du Golfe.

En premier lieu, désamorcer les conflits, calmer les affrontements. Le CNPF préconisait alors l’investissement dans le social, allant jusqu’à écrire que le social était rentable ! Au delà de la dotation conventionnelle à leurs comités, les entreprises investissaient dans les terrains de sport, les salles polyvalentes, les vacances des enfants du personnel, les réunions sportives, les soirées du personnel... Le patron venait s’y montrer, affable, patelin, paternel... Pour quelles raisons ce brave homme ferait-il du mal aux petites n’enfants ?

Les armures déposées au magasin des accessoires, vint par la suite la mission d’évangélisation des gentils. Les patrons, ces nouveaux philanthropes, acceptent de partager avec leurs salariés leur propre vision du monde. Les travailleurs accèdent enfin à la vérité révélée : l’économie en cours du soir ! Quel bonheur4 ! Grâce à leur travail, ils vont participer à l’accroissement des richesses. Du patron d’abord, du pays ensuite. Il est même possible de prouver par « a + b » que les salariés eux-mêmes vont aussi être à la fête. C’est comme pour l’existence de Dieu : théoriquement on arriverait à le prouver presque à 100 %. Cela ne vous suffit pas ? Serait-ce exagéré de demander, de temps en temps, un petit acte de foi ? Et puis, soyons positifs, 80 % c’est déjà bien..5

Désarmés et maintenant crédules, les travailleurs sont enfin mûrs pour le stade de l’angoisse et de l’inquiétude. Un bon petit chômage de derrière les fagots, qui de surcroît, progresse : voilà la meilleure façon de faire baisser les salaires en se débarrassant des salariés les plus anciens qu’on remplace, en partie seulement, par des jeunes surqualifiés, recrutés à des niveaux dérisoires et à durée déterminée. Pour avoir une chance de conserver leurs emplois, ces pauvres jeunes devront se sortir les tripes. Nous en sommes maintenant là. Le libéralisme est triomphant, et l’avenir n’est pas des plus souriants pour ceux qui ne vivent que de leur travail.

Fini le social. Les équipements des années 70 ne sont plus entretenus et sont, au mieux, cédés à la ville, sinon démantelés. Avec la conjoncture actuelle – celle qui, faut-il encore le rappeler, crée le chômage –, les entreprises n’ont plus, et c’est dommage, les moyens d’entretenir un tel train de vie. D’ailleurs, les salariés n’ont plus le temps de s’y prélasser. Il faut faire face à la concurrence, toutes les énergies doivent se mobiliser pour préserver l’avenir et maintenir l’emploi ! Pour cette année encore, les résultats sont bons, oui, en progression même, mais ils ne reflètent pas encore la chute de l’activité, ni la baisse des marges... Ou bien ils enregistrent les fruits des exercices précédents ou sont dus à une opération exceptionnelle qui ne se renouvellera plus. En un mot comme en cent, les résultats augmentent mais le personnel devra encore se serrer la ceinture. Les dividendes vont, certes, augmenter, mais c’est la seule façon d’éviter de se faire absorber, et de maintenir l’emploi. On en passe et des pires, sur ce sujet le patronat fait preuve d’une imagination sans borne.

Si encore, on pouvait parler d’une crise, avec ses causes, son origine... On pourrait alors envisager une fin et donc une amélioration possible. Mais non. Cette situation n’est pas conjoncturelle, elle est devenue structurelle. Elle est le résultat d’une évolution organisée méthodiquement depuis des années par un des protagonistes sans que l’autre ne se défende. Il ne faut donc pas attendre qu’elle s’améliore d’elle-même. Au contraire, une nouvelle aggravation est en gestation et se réalisera dans un bref délai si personne ne s’y oppose. Pour le savoir, il n’est nul besoin d’être devin. Le programme est déjà rédigé, il suffit de le lire dans la presse ou de l’entendre à la télé ou à la radio. Reprenons, par exemple, l’exemplaire de Challenges, l’objectif final est limpide : c’est la fin du salariat en tant que tel. La première cible tactique étant le démantèlement du Code du Travail.

Le Code du Travail : un frein intolérable au profit...

Juridiquement, pour qu’un contrat soit valablement formé, il est impératif que les deux parties contractantes soient à égalité. Le contrat de travail a la particularité de vouloir associer deux parties réputées égales tout en plaçant l’une (le salarié) sous la dépendance de l’autre (l’employeur) ! Dans un état de droit, il appartient à la loi de faire respecter les libertés de tout citoyen, y compris des salariés. Le Code du Travail a donc pour objet de maintenir l’équilibre entre les deux parties en organisant, d’une part, les obligations réciproques et en plaçant, d’autre part, quelques verrous à l’autoritarisme potentiel de l’employeur.

Si nous sommes effectivement dans un état de droit, c’est un euphémisme de préciser que le salariat n’a pas été en mesure d’imposer sa loi. Le Code du Travail fait déjà la part belle à l’employeur et les quelques obligations qui lui sont imposées dans les textes sont bien souvent bafouées dans les faits. Les attaques permanentes et délibérées d’organes de presse contre ce code, ne sont pas menées dans l’intérêt immédiat des journalistes – au contraire – mais sur ordre et avec un objectif précis. Dans ce cas, l’objectif est évidemment de supprimer les dernières garanties des salariés pour que le contrat de travail soit totalement déséquilibré en faveur des employeurs. Et, malheureusement, il semble bien que peu de monde s’émeuve d’un tel projet. Ni les salariés, concernés au premier chef, ni leurs organisations censées défendre leurs intérêts généraux, ni leurs élus au Parlement. La presse dite de gauche n’existe plus. En regardant de plus près l’ours de Challenges n’y découvre-t-on pas que cet appel au meurtre social est proféré par une publication du groupe Le Nouvel Observateur ? Pauvre Gauche, à qui Tonton t’a-t-il vendue !

La fin du salariat...

La déréglementation n’est que le moyen ; la « solution finale » est la suppression du salariat et ceci pour au moins trois raisons. La première est d’empêcher le retour de tout esprit collectif dans le monde du travail ; la seconde, de détruire le lien permanent entre le profit et ceux qui l’ont créé ; et la troisième, tout le monde l’a bien compris, c’est, encore et toujours, d’augmenter les profits. En réalité les deux premières ne sont encore que les moyens de la dernière.

L’objectif poursuivi par le capitalisme et ses alliés (politiques et religieux) depuis plus d’un siècle a été d’éliminer toute notion de « collectivisme ». Non seulement en politique, où il aurait pu constituer – s’il ne s’était pas disqualifié si gravement de l’intérieur – une alternative au modèle d’organisation libéral, mais aussi et surtout dans le monde du travail. En se regroupant, en personnifiant collectivement le travail indispensable au capital pour produire le profit, ces gueux n’étaient-ils pas parvenus à se faire entendre ? Ne se prétendaient-ils pas, même, en droit de traiter d’égal à égal avec ceux qui sont déjà trop bons de les nourrir ? Dieu soit loué ! Avec Son aide, celle de la presse bien-pensante et, maintenant, de la grande majorité de l’autre, plus personne ne se risque à manier ces concepts et ces termes aussi ringards. Fini le collectif6 ! Place à l’individualisme ! Le salaire au mérite, sacralisé sous Rocard, mis largement en place dans le privé et pointant le nez dans le public, ne sert pas seulement à faire baisser le salaire des plus anciens, il se veut la négation même de la notion de solidarité collective dans les entreprises. Ce résultat est encore insuffisant aux yeux du capital. Pour éradiquer toute velléité de recréer des liens entre les salariés, supprimons le salariat lui-même, atomisons le travail, vivons en partenaires !

L’emploi à vie est mort

La suppression du salariat a d’abord pour avantage de supprimer la vieille notion d’emploi à vie. Pourquoi, en effet, conserver des « vieux, trop payés et pas très motivés » alors que l’ANPE pullule de jeunes qui disposent d’un niveau de formation que les « vieux » n’atteindront jamais et qui se bousculeraient pour obtenir un emploi peu, voire très peu, rémunéré ? Quel employeur ne rêve pas de leur confier un travail à effectuer, sans pour autant s’attacher leurs services à vie. Pour essayer de saisir la plus petite chance d’être embauchés ces jeunes ne seraient pas avares de leur temps. C’est un peu ce qui est arrivé à un jeune couple, tout frais émoulu de l’université, leur DESS en informatique en poche. Une société, connaissant le sujet de leur mémoire, leur propose un contrat pour réaliser un projet se situant dans la droite ligne de leurs travaux. Le projet est, certes, intéressant mais nécessiterait un développement dépassant largement la durée du contrat. Qu’importe, en y consacrant tout le temps disponible, la semaine comme le week-end, le jour comme la nuit, le projet sera terminé à temps. Leur santé, déjà mise à mal par le surmenage a véritablement sombré quand ils se sont rendus compte qu’ils ne seraient pas embauchés, la société préférant aller à la chasse dans la promotion suivante pour tirer un nouveau pigeon ! Il a fallu galérer pour se sortir de la déprime et du chômage. En désespoir de cause, le jeune homme s’est décidé à tenter un concours administratif avec option technologique ; la jeune femme a quand même fini par trouver un emploi dans la région parisienne. Le plus dur maintenant sera de se rapprocher, pour former un couple « normal » et s’installer. A moins évidemment, que ce nouvel emploi ne soit encore que transitoire et précaire. Le G7-Emploi de Lille a médiatisé le leurre de « l’employabilité7 à vie » déjà utilisé par Jacques BARROT, le ministre du travail. Dans une conjoncture de chômage savamment entretenue, la concurrence, entre ceux qui viennent de perdre leur emploi et ceux qui n’en ont encore jamais eu, produira inéluctablement des effets dévastateurs dans les pyramides des âges. Les capacités d’adaptation et d’apprentissage évoluent défavorablement avec l’âge8. Laisser aux employeurs une totale liberté de choix entre l’embauche d’un jeune au top de la formation et la reconversion d’un ancien difficile et cher à former ne peut conduire qu’à un turnover de plus en plus rapide des salariés des entreprises, au dépens des plus anciens. Certes, on a toujours le recours d’être positif, et de considérer seulement la baisse du chômage chez les jeunes ; seuls les indécrottables pessimistes auront encore le culot de se plaindre de la progression globale du chômage et de l’exclusion !

Le magasin des rêves est fermé !

La suppression du salariat a pour second avantage de ne payer que le travail directement effectué et au prix le plus bas. Finis les sursalaires dus à la reconnaissance des actions passées, au niveau de qualification auparavant reconnu, à l’ancienneté, à la situation familiale du salarié... Sans ces salariés de base qui s’accrochent à l’entreprise, comme une huître à son rocher, la distribution du dividende ne risquerait plus d’être perturbée par des revendications du style : « C’est grâce à notre travail, depuis des années, que ces bénéfices ont été réalisés, nous en revendiquons une part, non seulement en paiement immédiat et direct mais également en création d’emplois, en diminution du temps de travail... ».

Travailleur ...indépendant... forcé...ment

Tout au long de la chaîne économique, (production de matières premières, transformation et fabrication de biens ou de services, mise sur le marché), le capitalisme ne fait appel à l’emploi – une forme particulière du travail – que forcé et contraint. L’objectif permanent et unique est le profit, la marge entre les produits réalisés et les charges consenties. Pour de multiples raisons9 les produits ne peuvent pas toujours être augmentés ; la solution pour maximiser le profit est donc la diminution des charges et en particulier celles liées à l’emploi. L’externalisation des tâches est actuellement le moyen le plus en vogue dans les grandes entreprises. Elle peut s’appliquer à tous les maillons de la chaîne de production avec un avantage supplémentaire non négligeable : on parvient à transférer à la fois les investissements et les risques correspondants à la seule charge des sous-traitants, travailleurs indépendants ou autres. Pour expliciter le raisonnement, prenons l’exemple de la pêche en mer qui, traditionnellement, est le fait de patrons pêcheurs indépendants.

Les forçats de la mer

Tout le monde a en mémoire les terribles manifestations des patrons pêcheurs qui ont ravagé la ville de Rennes. Ils étaient extrêmement mécontents des conditions qui leur étaient imposées. A l’analyse, on peut les comprendre. Comment le système libéral peut-il faire pour obtenir le maximum de poisson au prix le plus bas ? La solution est très simple et a été mise en place depuis longtemps : accorder un prêt pour qu’un patron pêcheur puisse acheter son bateau – très cher. La novation provient de la concurrence la plus large qui a été organisée dans le marché du poisson. Pour rembourser les mensualités de son énorme emprunt le patron pêcheur doit prendre des risques aussi énormes en sortant par tous les temps y compris les plus mauvais. Mais avec la concurrence, ces risques ne sont plus aussi payants qu’ils ne l’ont été. La tempête ne sévit pas sur toutes les mers à la fois. Les bateaux d’autres pays européens ne supportent pas les mêmes frais et les importations de pays tiers couvrent les périodes creuses. Finis les temps de disette et les cours vertigineux qui les accompagnaient, procurant les plus grosses rentrées d’argent. La seule façon de s’en sortir est d’augmenter le tonnage pêché. Qu’importe si les stocks ne sont pas inépuisables, il faut payer les traites et le pêcheur s’astreint de lui-même à un travail démesuré. Pour survivre, il est forcé d’augmenter sa productivité en amenant sur le marché de plus en plus de poisson et en réduisant ses frais et son équipage. Prenant de plus en plus de risques, il peigne inlassablement la mer par tous les temps. Si son ancienne réputation de « forçat de la mer » n’était pas déjà solidement établie, il faudrait aujourd’hui l’inventer. Ce nouvel esclavage le rive plus sûrement sur son bateau que ne l’auraient fait les chaînes des anciens galériens. C’est « librement » qu’il prend tous les risques, tant pour lui-même que pour son équipage. La rémunération des hommes d’équipage est assez particulière, basée sur les seuls résultats de la vente amputée des frais. On comprend tout de suite les intentions de ceux qui réclament le démantèlement du Code du Travail. Si on l’appliquait à la pêche, le respect des normes de sécurité imposerait de rester au port en cas de gros temps, le coût du travail, payé à l’heure ou au mois, sans relation avec les prises, exploserait littéralement. Le poisson deviendrait hors de prix. Ce serait le monde à l’envers : l’armateur prendrait l’eau et coulerait. Heureusement, nous n’en sommes pas là et le financier qui a prêté l’argent du bateau peut attendre tranquillement, les pieds au chaud que le patron pêcheur vienne payer sans broncher la traite mensuelle comprenant l’assurance en cas de naufrage. Les temps sont durs !

L’exemple des services

Il ne faut pas chercher plus loin l’inspiration des experts du patronat. Pour eux, le rêve serait de distribuer le travail au coup par coup, sans maintenir un lien permanent avec les exécutants : « J’ai, aujourd’hui, un travail déterminé à accomplir ; je fais une offre sur le marché spécialisé où règne la concurrence la plus totale, et je choisis l’entreprise ou le travailleur indépendant qui s’engage à l’exécuter de la meilleure façon et au moindre prix ». Pour en arriver à ce stade, il est d’abord nécessaire de se défaire du personnel en place qui exécute déjà ces travaux. Un grand constructeur10informatique a réussi à faire partir, sans trop de mauvaise publicité, nombre de ses inspecteurs en les installant à leur compte. L’indemnité de licenciement devait permettre d’une part de faire la soudure entre la fin du salaire et la rentrée des paiements des premières factures, et, d’autre part, de financer une partie des investissements nécessaires. Il est convenu, hors contrat, que l’ex-employeur fera appel à ses anciens salariés pour des opérations ponctuelles comme, par exemple, le déménagement de grosses machines, à des conditions présentées comme très avantageuses.

Cette pratique s’est aussi répandue dans le secteur du logiciel. Sous des prétextes divers, des entreprises se sont séparées de leurs salariés. Pour échapper au chômage qui sévit dans la profession, ceux-ci se sont installés en travailleurs indépendants. Selon le Monde informatique, ces travailleurs indépendants en informatique seraient quelque 18 000 en France. Cette recette n’est pas réservée au seul domaine de l’informatique. On cite, par exemple, « l’externalisation » du secteur transport d’une coopérative. Les chauffeurs ont « bénéficié » de facilités pour racheter leur ancien camion et ont ainsi pu accéder au statut de travailleurs indépendants.

On pourrait penser que ces salariés ont fait le bon choix. A la réflexion, et à partir de leur expérience, on peut mesurer l’écart entre l’idée qu’ils avaient pu s’en faire et la triste réalité. D’abord, la quantité de travail réellement mise à leur disposition n’a pas été aussi importante que promis et a souvent été insuffisante pour assurer un revenu minimum. Ensuite, la rémunération nette de ce travail n’a pas été à la hauteur de leurs espérances. Peut-être avaient-ils sous-estimé les taxes et les frais à payer comme l’amortissement ou les réparations de plus en plus importantes sur du matériel vieillissant. Et surtout, l’évolution du niveau de leur facturation n’a pas été à la hausse, au contraire. Dans leur recherche permanente d’abaissement des coûts, les grandes entreprises fixent une durée très courte pour leurs contrats de sous-traitance. A chaque échéance, ces contrats sont renégociés âprement. La mise en concurrence conduit ceux qui veulent enlever le marché à consentir les sacrifices les plus extrêmes. C’est ainsi que tous les gains de productivité sont récupérés par la donneuse d’ordres. Pour se procurer un revenu net minimum, en tout état de cause inférieur à leurs anciens salaires, les travailleurs devenus indépendants sont obligés de trouver d’autres clients et d’autres travaux. Ils ne comptent plus leur temps de travail. Qu’adviendra-t-il en cas de maladie, d’accident ? Et la formation ? Comment ces nouveaux « forçats » vont-ils trouver le temps pour se former, pour suivre l’évolution des techniques et éventuellement se reconvertir sur de nouveaux outils et de nouvelles méthodes de travail ? La grande entreprise, pour sa part, est parvenue à se débarrasser de ses salariés qui, en vieillissant auraient été moins rentables, travaillant à un rythme de moins en moins soutenu, pour un salaire en constante progression. Les objectifs des experts du patronat sont limpides. Chacun en conçoit facilement les motivations. Les bases de notre société en seront sapées, la population ne pourra qu’en souffrir, mais là n’est pas la question : les profits des grandes entreprises seront, eux, en constante progression et n’est-ce pas l’essentiel ?

Petit commerce, mais grands horaires

Ce système a déjà été étendu aux autres secteurs de l’économie, tant dans la production agricole que dans la mise sur le marché. La mise sur le marché est incontournable pour rémunérer les capitaux investis dans la fabrication de produits ou dans le commerce de gros. Le quadrillage du territoire par les grandes surfaces n’est pas simplement un moyen très efficace de dégager du profit, il est aussi le catalyseur qui va obliger les petits commerçants, travaillant avec des marges dérisoires, à « décider librement » d’ouvrir leurs boutiques sur des plages horaires interminables. La grande surface impose pour chaque produit un prix très bas qu’un petit commerçant ne peut pas tenir : ses prix d’achat sont parfois supérieurs au prix de vente des hypermarchés. Pour conserver une certaine clientèle et obtenir un revenu acceptable, le petit commerçant est contraint de travailler tous les jours, fériés compris, semaine et dimanche. Il est plus assidûment attaché à son comptoir que si on avait dû payer un garde-chiourme pour cela. Dans les villages, le marché est trop réduit pour permettre le maintien des petits commerces spécialisés. Plusieurs commerces sont regroupés en un seul et le gérant en arrive à envier « l’arabe du coin » parisien. Certes, lui aussi travaille longtemps, mais au moins, il a une clientèle assez large pour assurer un chiffre d’affaires suffisant pour au moins couvrir les frais !

L’agriculture se paupérise

En agriculture, on retrouve de nombreuses situations similaires qui peuvent être analysées selon le même schéma. La chaîne qui maintient les agriculteurs sur leurs exploitations est évidemment l’investissement imposé à chaque génération, que ce soit pour la terre, le matériel d’exploitation, les bâtiments ou le cheptel. Les organisateurs du marché agricole, nationaux ou européens, ont rempli leur objectif de faire produire à un prix proche du cours mondial les quantités suffisantes pour répondre à la demande sans réelle surproduction. Si on considère l’Europe comme une grosse entreprise qui paye les agriculteurs pour produire les matières premières agricole au moindre coût, on peut dire qu’elle s’en sort plutôt bien : les subventions versées à l’agriculteur – son salaire ? – représentent un gros Smic11. En plus, elle n’est pas obligée de fournir les outils de travail, les agriculteurs prennent le risque d’investir eux-mêmes ! On constate d’après les chiffres de la Chambre Régionale d’Agriculture de Midi-Pyrénées, que la valeur ajoutée ne cesse de décroître du fait de la baisse des prix et que le résultat courant avant impôt de 93 n’a fait que rattraper celui ce 89, en francs courants. L’information essentielle donnée par ce tableau est que, en moyenne pour notre région, l’agriculture est devenue une activité à rentabilité nulle. Le résultat est de l’ordre de la subvention. Si l’Europe se comportait en capitaliste, si la subvention venait à disparaître, l’agriculture de Midi-Pyrénées ne survivrait pas. Certes, jusqu’à la fin du siècle les subventions sont pratiquement assurées, mais qu’adviendra-t-il après ? De nouveaux producteurs émergent et le capitalisme libéral n’a pas l’habitude de payer un produit au delà du prix minimum. Prenons nos productions traditionnelles du sud-ouest : Le maïs, la Chine est actuellement de second exportateur mondial de céréales secondaires avec 12 millions de tonnes de maïs exportées en 199412 ; le tabac, la Chine, encore elle, réalise 45 % de l’offre et reste le premier producteur en augmentant sa production de plus de 11 % en 1994 ; le vin blanc, des pays comme l’Australie, le Chili ou la Californie nous taillent des croupières sur nos marchés traditionnels de l’Europe du Nord, profitant du boycott des produits français consécutif aux essais nucléaires dans le Pacifique ; les palmipèdes gras subissent la concurrence des pays comme la Roumanie, la Hongrie, la Pologne ou Israël ou celle d’autres régions de France comme l’Alsace et la Vendée. Ces nouvelles productions déséquilibrent le marché et provoquent la chute des cours. En résumé, notre agriculture ne survit que grâce aux subventions, elle commence à être sérieusement concurrencée sur ses produits les plus traditionnels par de nouveaux producteurs offrant des produits d’une qualité équivalente à un prix souvent inférieur. On peut se demander si l’Europe continuera à verser longtemps des subventions lorsque les pays à faible revenu seront en mesure de répondre à la totalité de la demande à un prix défiant toute concurrence et très éloigné de nos prix de revient.

Déjà, l’agriculteur est amené, comme la plupart des travailleurs indépendants, à ne plus compter son temps de travail pour un revenu dérisoire. Combien de fois avons-nous vu la même séquence aux informations régionales de l’éleveur affirmant travailler 70 heures par semaine ? Cette situation se rencontre le plus souvent dans les élevages « intégrés ». Par contrat, un éleveur achète un lot de jeunes bêtes et l’aliment pour les « faire venir ». Au bout d’un temps fixé, ces bêtes sont reprises et payées au poids. L’éleveur prend le risque sanitaire : les pertes sont à sa charge, ainsi que le travail. Le cosignataire du contrat, pour sa part, spécule sur les cours. Ce type de contrats se signe aussi bien pour les veaux « en batterie » que pour des bandes de volailles.

A chaque fois qu’un marché atteint une certaine taille, il attire les profiteurs qui cherchent à récupérer la plus grande part de la plus-value de la filière. Une grande entreprise peut investir pour en contrôler les établissements industriels, comme la fabrication des aliments et l’abattage. Tenant deux bouts de la corde, elle est en mesure d’étrangler les étapes intermédiaires. Elle n’ira pas jusqu’à étrangler complètement les éleveurs ; elle préfère leur laisser juste assez de mou pour éviter la complète asphyxie. Mais elle leur serre suffisamment la gorge pour leur faire rendre le maximum de profit, laissant à ces nouveaux prolétaires le travail, les nuisances, les risques et un minimum de revenus. Il faut bien payer les investissements !

Que ce soit ici ou dans les autres pays, le travail n’est jamais bien considéré ni bien rémunéré. A la lecture de certains ouvrages économiques, on est parfois abasourdi par les formulations. On se demande s’il faut les prendre au deuxième ou au dixième degré. Par exemple, ce genre de phrase 13 : « Le premier producteur mondial ralentit sa production. La fin de l’apartheid a entraîné des hausses de salaires qui nécessitent des restructurations ». Même Monsieur Sylvestre des Guignols de l’info est renvoyé à dix mètres par un tel naturel dans le cynisme. C’est vrai, quoi, s’il faut payer le travail autrement qu’à coup de triques, on ne s’en sort plus ! Déjà qu’il faut payer ceux qui donnent les coups – pas trop cher, quand même, on les recrute dans la même population, comme pour les vigiles dans nos hypermarchés de banlieues. C’est une constante bien établie dans la logique capitaliste, le travail est toujours jugé hors de prix : jusqu’à gratuit, ça va, après c’est déjà trop cher !

L’objectif du capitalisme libéral est donc de supprimer le salariat. De le remplacer progressivement par des travailleurs indépendants, auxquels le travail sera attribué par contrat – ordinaire et non pas contrat de travail. Dans un premier temps par les personnes de la région, mais pourquoi pas, plus tard, par des travailleurs indépendants étrangers. Ces travailleurs indépendants sont maintenus le plus longtemps au travail par une chaîne immatérielle qui s’avère plus efficace que le fouet du garde-chiourme. Pour pallier le très faible niveau de leur rémunération, ces nouveaux forçats sont amenés à « décider librement » de travailler bien au-delà de ce que pourrait exiger d’eux un employeur respectueux du Code du Travail.

L’ennui, c’est que ces « forçats », prennent eux-mêmes des salariés. Alors, si la situation du travailleur indépendant n’est déjà pas des plus brillantes, quelle peut être celle de son salarié ? La plaisanterie la plus usée, à la fin de l’éternelle interview de l’éleveur sur France 3, n’est-elle pas : « Bon, c’est pas tout ça, faut que je me remette au boulot pour payer mon salarié ! ». Le CNPF doit-il démultiplier ses formations dans les campagnes ? Il serait temps que tous les employeurs soient au même diapason : un salarié ne se conçoit que s’il rapporte au moins le coût de son salaire ; la création d’un poste de travail est toujours préalable à la naissance du profit.

On peut plaisanter sur l’agriculture mais, il ne faut pas prendre les agriculteurs pour ce qu’ils ne sont pas. Si on leur montre correctement les avantages du groupement d’employeurs, ils sauront être solidaires, pas seulement pour la subvention, mais pour mettre leur salarié permanent à la disposition d’un groupement...Créer de nouveaux emplois par ce moyen, sera une tout autre affaire.

Inéluctablement, le secteur agricole perd ses emplois. La production a été touchée par la chute des prix et a fait de gros efforts de productivité. Le secteur des services, sous l’effet des regroupements et des fusions, abandonne le terrain et draine la plus-value de l’agriculture en dehors de son champ d’action. Jean De Cambiaire14, directeur de la caisse de Crédit Agricole du Tarn, n’écrivait-il pas déjà en 1954, en comparant la banque capitaliste ordinaire et le crédit agricole mutuel : « C’est un lieu commun de souligner l’exploitation éhontée qui a sévi dans certaines campagnes ; la banque a beaucoup pris à l’agriculture, elle ne lui a que très peu prêté. » Plus loin, il insiste encore : « Si, en effet, le crédit agricole en France était un crédit capitaliste, la moitié des agriculteurs emprunteurs seraient, chaque année, déclarés faillis. » Nous l’avons échappé belle, encore heureux que l’agriculture se soit dotée d’un tel outil et l’ait conservé à l’abri des tentations capitalistes . A moins, évidemment, que les décisions prises depuis 1954 ne soient pas toutes allées dans le bon sens !

Le Capitalisme libéral a bonne presse...

Ce n’est, on s’en doute, ni par plaisir ni par méchanceté que les grands patrons échafaudent ces machinations. (Tous ne sont pas foncièrement mauvais. Certains pratiquent même la charité : quelques pauvres de leur entourage peuvent se révéler parfois amusants et sympathiques, à condition d’avoir l’odorat peu délicat15, !) Ces intentions ne sont, en fait, que les moyens jugés actuellement les mieux adaptés pour atteindre le seul but respectable qui vaille dans notre société : le profit. Ces programmes ne sont pas seulement théoriques ; ils se mettent aussi en pratique et ne provoquent pas la levée de boucliers à laquelle on aurait pu s’attendre. L’esprit critique des Français a été anesthésié d’une manière tout à fait particulière et étonnante par sa sélectivité et sa candeur.

De tout temps, l’Église a préféré promettre une vie meilleure après la mort plutôt que participer à l’amélioration de la vie actuelle sur cette terre. Contrairement à la Déclaration des Droits de l’Homme16, la force publique, la police et l’armée ont été mises à la disposition de la minorité possédante. Pour s’en convaincre il n’est pas nécessaire de remonter à la répression de Fourmies en 1891, il suffit de se poser la question : « Quand le monde du travail a-t-il pu faire intervenir la force publique pour faire défendre ses droits contre le capitalisme ? » La bourgeoisie, surtout la « haute », assise sur sa propriété et ses actions est bien évidemment le pilier principal du capitalisme. Sa presse bien pensante et la classe politique en étant les arcs-boutants représentant la propagande et la légalité.

Restent toutes les autres composantes de la société ; tous ceux qui subissent l’exploitation des capitalistes. En premier lieu les politiques qui ne se disent pas de droite. Le congrès de Rennes a sonné le glas des dernières illusions de la population. Elle n’attendait déjà rien de bon des politiciens de droite ; elle a fait maintenant une croix sur l’autre bord et n’attend rien de mieux des politiciens de gauche.

Quant aux organisations syndicales, elles ont su rester extrêmement positives. Elles ont avalé toutes les couleuvres dans l’espoir d’obtenir le rôle de partenaire privilégié des instances patronales. Pendant des années, elles se sont abstenues de faire des vagues et ne se sont préoccupées que des problèmes qui auraient trouvé une solution sans leur intervention. Elles ont fait la part du feu, très largement. Toutes les attaques contre l’emploi : regroupements, restructurations, fusions, licenciements, délocalisations, ... ont trouvé grâce à leurs yeux. Le chômage a progressé sans qu’elles agissent pour l’endiguer. Elles ont su faire du marketing, avoir un positionnement différencié, parler, mais parler seulement, de solidarité... Elles ont totalement confondu le moyen et le but. Les adhérents ne se syndiquent pas pour faire progresser un volume de cotisations, mais pour améliorer réellement leurs conditions de salariés face aux attaques du libéralisme. Or, les seuls cris de victoire ne concernent plus que l’augmentation du nombre d’adhérents. Ceux-ci en arrivent à se demander si les appareils nationaux cherchent vraiment à défendre leurs intérêts. Ils constatent de plus en plus que lorsqu’une organisation syndicale invoque l’intérêt général, c’est pour en arriver à défendre les intérêts du capital, contre les leurs !

Prenons, par exemple, une publication d’une organisation syndicale représentative17. L’analyse des situations dans les pays voisins, Italie ou Espagne ne manque pas de perspicacité. On peut y lire qu’en Espagne les deux principaux syndicats « restent aux aguets, l’arme au pied, dans l’attente du programme du prochain gouvernement. Celui-ci n’est-il pas déjà submergé de recommandations de la part des ses amis des lobbies financiers et industriels ? Coup sur coup, deux des plus grandes banques du pays, le BCH et le BBV, viennent de présenter leur propre cahier de revendications : revoir (à la baisse bien sûr) les régimes de retraite, précariser (davantage encore) les contrats de travail, modifier (évidemment pas pour les améliorer) les systèmes d’assurance maladie et de prestations chômage, rationaliser (synonyme pudique de réduire) le secteur et les services public... »

Par contre, dès qu’il s’agit de notre situation, Franco–Française, elle chausse des lunettes opaques et abandonne tout esprit critique. A la page 11 du même magazine, on découvre l’article suivant : « BAS SALAIRES ET CLASSIFICATIONS : des négociations décevantes. Les négociations de branches sur les bas salaires et les classifications ont peiné en 1995 : 67 branches sur 129 présentent une grille salariale avec au moins un coefficient inférieur au Smic. Dans de nombreuses branches, le patronat refuse de véritables négociations sur les minima sociaux. Au mieux, il accepte des ajustements en fonction du Smic. Les secteurs des grands magasins, de la maroquinerie, des coopératives de consommation sont en situation de blocage depuis plusieurs années. Dans la chaussure, la chimie, le pétrole, le patronat prend des décisions unilatérales sans concertation avec les syndicats. En matière de classifications, domaine dans lequel une cinquantaine d’accords ont été signés depuis 1990, on est au point mort puisque rien n’a été signé en 1995. Ces résultats inacceptables pour la CFDT remettent en cause le rôle des négociations de branches... »

De même, page 6 de la même livraison, on apprend que dans la branche HACUITEX (HAbillement, CUIrs et TEXtiles) les organisations ont été bernées à la fois par le patronat et par les politiques. Les syndicats entendaient obtenir « une véritable réduction du temps de travail, sans perte de salaire, tout en consolidant l’emploi dans cette filière, 25 000 suppressions d’emplois étant annoncées d’ici deux ans [...]  La CFDT avait annoncé son intention d’exiger des entreprises le maintien de l’emploi, l’embauche des jeunes et la réduction du temps de travail. [...]  les aides publiques devaient avoir des effets réellement positifs pour l’emploi et les salariés concernés. La fédé n’avait pas manqué de rappeler que ces baisses de charges sociales patronales étaient liées, lors de leur annonce, à la conclusion d’un accord de branche sur la réduction du temps de travail et son aménagement. Un donnant – donnant cher au premier ministre et de nature à satisfaire la CFDT, qui a toujours dénoncé l’octroi d’allégements de cotisations patronales sans contreparties pour l’emploi. Coup de théâtre le 7 mars : un débat parlementaire modifiait de manière significative cette contrepartie. Les aides ne seraient plus subordonnées à la conclusion d’un accord de branche, mais simplement en tenant compte des résultats de la négociation, même si celle-ci n’avait pas abouti. Aux oubliettes le donnant – donnant. Travail au rendement, bas salaires et heures supplémentaires gratuites sont souvent le lot des 350 000 salariés de la branche. CGT, CFTC, CGC et CFDT, qui insistent sur l’aspect unitaire de leur démarche, estimaient qu’une première étape à 35 heures par semaine, sans perte de pouvoir d’achat, était possible. Il y a urgence : entre les délocalisations et la dévaluation de la lire, qui a dopé les exportations de textiles italiens, les industries du textile, de l’habillement et de la chaussure ont perdu la moitié de leurs emplois en une dizaine d’années. Par ailleurs, les fédérations constatent que les technologies et les gains de productivité n’ont ni participé à l’amélioration des conditions de travail des salariés, ni servi l’emploi. »

Le plus étonnant dans ces deux articles, n’est-ce pas l’étonnement affiché ? Comment concevoir que des responsables aussi bien informés puissent encore s’étonner des pratiques du patronat français et de leurs relations privilégiées avec la classe politique ? Sur ce point, ne serait-ce pas la même vérité en deçà et au delà des Pyrénées ? Avec leurs informations, comment peuvent-ils croire ou vouloir nous faire croire que les plus libéraux des ultralibéraux sont prêts à abandonner la plus petite parcelle de leur profit, pour créer de l’emploi, réduire le temps de travail... ? Il suffirait de le leur demander poliment ? Sans une réelle prise de conscience, sans guerre, la fleur au fusil ?

Les allégements de cotisations patronales, promis par le Gouvernement dans cette affaire, sont de l’ordre de 2,1 milliards de francs. Ne dit-on pas que les cadeaux sont faits pour entretenir l’amitié et qu’il faut savoir renvoyer l’ascenseur ? Qui, en dehors de quelques grands patrons, aurait eu les moyens et le flair de mettre sa logistique à la disposition d’un candidat dans une campagne électorale moderne ? L’usage d’un jet privé, pour aller de ville en ville, serait-il, par exemple, réservé au seul candidat qui a toutes les chances d’être élu ?

La dernière composante, mais non la moindre, regroupe tous les salariés, les travailleurs, la population. Dans une démocratie, ils représentent la majorité. Ils sont le nombre. Tous ceux qui souffrent du capitalisme pourraient donc battre ses représentants aux élections. Mais il a si bien su se positionner, si bien su se vendre, que ses victimes sont aussi ses premiers défenseurs. Que fait le salarié qui vient d’être viré ? Il court dans une banque ou une caisse d’épargne déposer les quelques sous de son indemnité de licenciement. Et, capitaliste dans l’âme, il espère bien que, puisqu’il n’a plus désormais d’emploi, son argent va travailler à sa place et lui rapporter des montagnes de profit. Qui lui expliquera donc que si son emploi a été supprimé, c’est justement parce qu’il n’a pas été jugé suffisamment profitable : c’est la recherche débridée de la profitabilité des capitalistes qui l’a mis sur la paille en provoquant la suppression de son emploi ?

La Mondialisation de l’économie

L’Union Européenne constitue à elle seule un marché de plus de 300 millions, mais pour les marchands, ce marché est encore trop étroit et il importe d’étendre ses facilités à la planète entière. Après quelques péripéties et rodomontades, les accords du GATT ont finalement été adoptés relativement facilement et le GATT a officiellement rendu l’âme pour renaître sous les traits de l’OMC, l’Organisation Mondiale du Commerce.

La mondialisation n’est plus inéluctable

Dans les années trente, le protectionnisme  – en particulier américain – était la règle. Pour parvenir à augmenter le flux des échanges et donc leur profit, les marchands ont progressivement fait admettre que la suppression des barrières douanières permettrait une croissance générale créatrice d’emplois. Pendant longtemps ce credo a été indiscutable et indiscuté. Il semble bien, cependant, que la tendance soit en train de se retourner une nouvelle fois et que la mondialisation de l’économie ne soit plus considérée comme une théorie scientifique inéluctable mais une simple stratégie commerciale inventée seulement pour maximiser le profit du petit nombre.

En effet, quel serait le scénario idéal pour produire le plus grand profit ? Des matières premières (agricoles ou minières) presque gratuites ; des coûts de fabrication et de transport quasiment nuls ; une vente au prix fort. Pour parvenir à ce nirvana, la répartition des tâches se fait d’elle-même : aux pays pauvres, le droit au travail, aux pays riches, le plaisir de la consommation. L’inverse ne serait pas lucratif !

L’inconvénient majeur de ce scénario est de bouleverser les équilibres établis. La population des pays industrialisés vit de son travail et n’est pas prête à liquider son patrimoine pour se ruiner en consommant dans le but d’enrichir les marchands. Le déséquilibre créé par cette nouvelle répartition mondiale les rôles à non seulement provoqué les premières files d’attente dans nos ANPE, il a, de plus, provoqué une inquiétude profonde, bloquant la consommation.

Sans cette panne providentielle de la consommation, nous n’y coupions pas. La mondialisation de l’économie, parée de toutes les vertus, allait faire un triomphe. Tous les moyens de communication étaient mobilisés pour nous pénétrer de ses avantages : les pays du sud-est asiatique sont dynamisés par un taux de croissance que nous ne connaissons plus depuis longtemps dans nos vieux pays. La mise en concurrence généralisée doit tirer notre propre croissance. Nos entreprises vont renouer avec le profit, permettant ainsi de créer des emplois. Certes, le combat sera difficile, mais cette concurrence salutaire permettra un sursaut de notre appareil productif, à la condition de moderniser nos outils industriels dépassés et de transformer les mentalités archaïques de nos travailleurs. Seuls les hérétiques ou les ignares, en tout cas les ringards, ne sont pas d’accord avec cette doctrine.

La nouvelle thèse qui commence à prévaloir maintenant, en opposition avec cette position extrême, serait plutôt de constituer des blocs régionaux à l’intérieur desquels les différences de niveaux sont nettement moins marquées. Les pays industriels, généralement démocratiques, sont obligés de prendre en considération les récriminations de nombre de leurs électeurs et il faut avouer que la mise en concurrence généralisée entre tous les travailleurs de la planète aurait généré des convulsions qu’aucun état démocratique ne peut imposer impunément à sa population.

La mondialisation de l’économie, suicide social des populations des pays industrialisés ?

Les ouvrages d’économie que j’ai pu consulter mettent en fiches tous les pays de la planète mais sans croiser d’une façon claire les données relatives au revenu et à la population. On trouve, d’une part, le PIB par habitant et, d’autre part, le nombre d’habitants pour chaque pays et la comparaison n’est pas des plus aisées. On pourrait, en effet, comparer le Liechtenstein (PNB par habitant en 1992 = 33 000 dollars) et la Chine (PNB / hab. 400 $) mais sans relation avec le nombre d’habitants, la vision est tronquée. Une moyenne de. ces deux pays relèverait de la fameuse recette du pâté d’alouettes – 1 cheval pour 1 alouette. Et il n’est pas encore certain que la proportion soit la bonne puisque le Liechtenstein comportait en 1993 seulement 30 000 habitants alors que la Chine en annonçait 1 205 000 000 !

Intuitivement, on se représente le monde comme un grand bassin peu profond dans lequel plonge un tube de grande hauteur mais de faible diamètre. Les pays à faibles revenus symbolisés par le niveau du bassin et les pays industrialisés par le contenu du tube. La mise en concurrence, en égalisant les revenus, viderait le tube et ferait monter le niveau dans le bassin. Sans calcul, il est difficile de se faire une idée même approximative des proportions atteintes. On conçoit bien que le tube se vide, mais jusqu’à quel niveau montera l’eau du bassin ? A partir des données de 226 pays recensés, j’ai donc reconstitué un graphique qui permette de montrer à la fois le PNB par habitant et l’étendue de chaque population concernée. Pour avoir des séries complètes j’ai dû prendre le PNB par habitant de 92 et la population de 1993, mais l’homogénéité des données n’en a pas vraiment souffert. Le résultat est donné en annexe 1. Le niveau se stabiliserait aux environs d’un PNB par habitant de 4 200 dollars par an. Pour fixer les idées, avec un dollar à 6 F, cela ne fait que 25 200 F par an, donc 2 100 F par mois ; ce qui représente moins d’un RMI, actuellement de 2 374 F / mois !

Le PNB par habitant de la France était en 1992 de 23 540 $. Le faire baisser à 4 200 $ équivaut à le diviser par un facteur supérieur à 5,5. D’un autre côté, les chinois, par exemple, passeraient de 400 $ à 4 200 $ soit une multiplication par 10,5. Si du côté chinois une telle perspective est alléchante, elle est totalement inacceptable du côté français. On aura beau choisir la meilleure manière de le présenter, ce ne serait plus de la solidarité mais un suicide social. La prise de conscience de ces chiffres est primordiale pour ne pas se retrouver pris un jour, pieds et poings liés, dans un processus impossible à arrêter.

Cette approche est évidemment biaisée et incomplète. Elle prend les chiffres actuels en les projetant à une date à laquelle la concurrence totale entre tous les pays aurait stabilisé tous les revenus à un même niveau. Ce qui n’est pas encore le cas actuellement de tous les pays de l’Union Européenne puisqu’on trouve aussi bien la Suède à 29 200 $ que le Portugal ou la Grèce aux environs de 7 900 $. Mais on peut estimer que la libéralisation des échanges va conduire à une homogénéisation semblable à celle des régions d’un même état, notre écart avec la région parisienne étant significatif mais non démesuré.

Les données démographiques

La première raison du chômage est purement arithmétique : la population en âge de travailler augmente plus vite que le nombre des emplois offerts. Le volume de la population est un élément essentiel dans l’étude du chômage. L’accroissement suit une courbe vertigineuse :

Population mondiale (en milliards d’habitants)

1830 : 1

1930 : 2

1960 : 3

1976 : 4

1987 : 5 

1997 : 6

Actuellement, la population compte chaque année 138 000 000 naissances pour 51 000 000 décès soit une augmentation moyenne de 240 000 individus par jour. Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, la population devrait se stabiliser, du moins, les démographes l’affirment. L’ennui, c’est qu’ils ne savent pas vraiment quand et à quel niveau. Les dernières études des experts de l’ONU, réalisées en 1992, situent cette stabilisation aux alentours de 2150. Quant au nombre d’habitants, avec la variante haute, il atteindrait 21 milliards d’individus ; avec la variante basse, il reviendrait au niveau de 1987, soit 5 milliards ; l’hypothèse moyenne s’établissant à 11 ,5 milliards. A plus court terme, en 2025, ces chiffres seraient respectivement de 7.6 de 8,9 et de 8,3 milliards.

Bien que la démographie soit « la plus exacte des sciences sociales », ses marges d’erreur sont gigantesques. Ses conclusions sont cependant suffisantes pour ne laisser présager à court terme aucune amélioration de l’emploi par la diminution de la population en âge de travailler. A moins évidemment que la folie des hommes ou de la nature ne provoque ce cataclysme redouté. Associée à celle de la productivité, l’augmentation de la population produit et produira encore longtemps un déséquilibre entre l’offre globale d’emplois et demande mondiale.

La solution ne peut provenir du partage de cette pénurie mais de la transformation de notre conception de la vie et du travail. Celui-ci ne doit plus être considéré comme le trésor rare et maléfique que chacun cherche à se réserver et qui ne sert, en fait, qu’à enrichir le petit nombre, mais comme une charge à répartir sur le plus grand nombre pour que chacun soit allégé et puisse d’abord penser à ses raisons de vivre sans se focaliser sur les moyens. Tout le monde serait d’accord pour partager les affres du travail ; personne ne souhaite gâcher sa vie et celle des siens !

Les chemises du Bangladesh...

Le 17 novembre dernier, l’association « Artisans du monde18 » intervenait sur une radio, France-Inter je crois, pour dénoncer l’esclavage et le travail forcé de prisonniers, de femmes et même d’enfants qui se pratiquent encore dans certains pays... et les entreprises – dont quelques-unes françaises –, qui profitent de cette scandaleuse pratique pour augmenter encore leurs bénéfices. A cette occasion, elle a repris l’exemple, qui commence à être connu, des fabriques de chemises au Bangladesh.

Sous la plume des économistes19 la situation est idyllique : « L’industrie est l’avenir du pays, avec en tout premier lieu l’industrie textile qui totalise à elle seule 50% des exportations du pays. La qualité de la main-d’œuvre et son coût faible, liés à l’intelligence des cadres, font que l’industrie textile a encore de beaux jours devant elle. Le taux de croissance de l’indice de la production industrielle prouve ce nouvel essor. »

L’industrie textile a terriblement souffert des délocalisations. Si certaines niches exigeant une très grande réactivité ont été maintenues dans nos pays industrialisés, les autres, et en particulier toutes les « séries longues » ont été systématiquement transférées dans les pays à faibles revenus. Et s’il est un domaine où les séries sont longues, c’est bien celui de la chemise. Le Bangladesh a quasiment récupéré l’ensemble de la production mondiale. Malgré cette réussite industrielle, la situation est loin d’être enviable : le niveau de vie est un des plus faibles de la planète (223 $ par habitant en 1992).

De mémoire, je reprends les chiffres donnés à la radio. Cette chemise débarque à Marseille à environ 12 francs. En gros (si on peut le dire), les fournitures (tissus...) entrent pour 6 francs et les coûts de fabrication pour 1,50 F. Cabu, encore lui, reprend cette fable dans un dessin publié dans le Canard Enchaîné du 27 mars 1996. Ses prix sont encore inférieurs : 0,50 F. A vrai dire, Artisans du Monde parlait de l’ensemble des coûts de fabrication comportant l’amortissement des machines, l’énergie et le travail... Mais à ce triste niveau, qu’importe si le coût d’une chemise est 0,50 F. ou 1,50 F ! Il pourrait être encore dix fois plus élevé, à 15 F par exemple, sans que cette charge vienne pénaliser la vente qui se pratique aux environs de 300 F dans tous les magasins de France et des autres pays riches.

Au travers d’un tel exemple, chacun se fera son opinion sur le commerce mondial. Les uns n’y verront que la volonté de transférer du travail dans ces pays pour qu’ils puissent ainsi accéder à un niveau de vie décent. Pour ma part, je n’y vois qu’un moyen trouvé par un importateur capitaliste pour réaliser un profit maximum. Je suis bien convaincu que dans ces usines on utilise les mêmes arguments que dans toutes les autres usines du monde : la concurrence s’exacerbe, il faut réduire nos coûts de production, augmenter notre productivité sinon l’entreprise sera dans l’obligation de licencier. Au travail, esclave, et tais-toi !

A 15 Francs, le travail aurait encore pu être réalisé dans nos usines ; à 1,50 F et à plus forte raison à 0,50 F, c’est impossible. Avec la meilleure productivité, les meilleurs outils, les ouvrières ne pourront pas rivaliser avec leurs homologues bengalis. Le seul motif qui a prévalu à la suppression des emplois français dans le secteur textile a été l’accroissement du profit d’un petit nombre. Pour faire admettre ce qui est inadmissible, on veut nous faire croire que nous valons mieux qu’eux, que nous sommes supérieurs à ces pays qui n’ont que leur travail... En France n’avons nous que des génies à faire travailler ? Que vont devenir ceux qui, en France comme ailleurs, n’ont que leurs forces et leur courage à vendre ? Que ferons nous des « travailleurs » français et qui plus est « manuels » ?

De toutes parts, on reçoit des messages visant à inculquer au bon peuple que le Commerce Mondial est bénéfique pour les emplois, y compris dans nos pays industrialisés. Une première série d’informations nous rappelle que le bilan de nos échanges avec les pays à faibles revenus est bénéficiaire. Autrement dit, en valeur, nos exportations sont supérieures à nos importations. Il commençait à être trop flagrant qu’au prix où on leur paye les chemises, ils devaient en produire un maximum avant de pouvoir payer la voiture qu’on avait fabriquée pour leur patron. C’est pourquoi une autre information commence à circuler. Elle proviendrait du ministère de l’Industrie et est relayée par les journaux économiques20 comme La Tribune ou les Échos. On peut comptabiliser les emplois correspondant au commerce mondial (réels pour fabriquer les produits et services exportés ; virtuels, ceux qui auraient été conservés en France ou qui auraient pu être créés si les produits importés avaient été produits en France). « Contrairement à une idée reçue, la balance industrielle d’équivalents emplois est globalement déficitaire avec l’ensemble des pays industrialisés et très largement excédentaire avec les pays à faible coût de main-d’oeuvre. » N’est-ce pas étonnant ? Face aux pays de notre niveau, nous ne pouvons rivaliser, nos emplois sont phagocytés ; contre les pays à faible coût de main-d’oeuvre, qui n’ont pour seule richesse que leur travail, nous parvenons à leur ratisser leurs emplois ! C’est un prodige ou alors de la propagande. Il est difficile de contrer une telle information aussi complexe avec aussi peu d’éléments. La première réaction est de contester la définition des emplois virtuels. Peut-on ne prendre que les emplois directement supprimés par les importations ? Si nous considérons l’industrie d’armement, pourrions-nous dire par exemple, que la suppression des arsenaux et donc l’achat de nos chars d’assaut à l’étranger n’auraient supprimé que les emplois produisant exclusivement les chars Leclerc de l’armée française ? On sait très bien que les chaînes de montage ne sont mises en route que lorsque une production suffisante sur de nombreux pays a été recensée. Dans le cas des chemises, nos achats au Bangladesh n’ont pas seulement supprimé les emplois de ceux qui fabriquaient nos chemises, mais aussi les emplois de ceux qui fabriquaient les chemises vendues à l’exportation.

La mondialisation de l’économie est une tentative promue de longue date par ceux qui y ont fortement intérêt. Le matraquage médiatique tendant à faire croire à son caractère inéluctable commence à faire long feu. L’illusion se déchire et apparaît toute l’horreur de la solution capitaliste conduisant à une très profonde remise en cause des niveaux de vie acquis par la population laborieuse des pays industrialisés. Pour de longues années encore, on ne peut rien attendre de l’évolution de la démographie. La population va encore croître, la productivité aussi, et donc le chômage encore plus. La société devra cependant être transformée pour que le travail ne soit pas le seul moyen ni le seul but de l’existence. Pourrons-nous changer nos mentalités pour vivre sans travailler ? En attendant l’avènement de cette nouvelle Utopie, nous ne devons pas laisser sacrifier la partie de la population la plus sensible à la concurrence des pays à faible coût de main-d’oeuvre, celle des travailleurs les plus humbles, ceux qu’on oublie quand on prétend que nos pays sont capables de mieux faire que ces pays pauvres ! Les capitalistes sont capables de tous les mensonges pour supprimer la contestation et l’esprit critique au sein des populations chargées de consommer et de se taire.

Le détournement des mesures pour l’emploi

Je serais heureux de croire que les promoteurs des différentes mesures adoptées en faveur de l’emploi croyaient eux-mêmes fermement à leur succès et à la diminution pour ne pas dire à la fin du chômage. Malheureusement, je ne parviens pas à m’en convaincre. Peut-être parce qu’elles ont été trop facilement et trop rapidement dévoyées. Prenons par exemple les trois mesures suivantes : le CES, l’apprentissage et l’abaissement des charges sociales.

Le CES, un cadeau ?

Quand on essaye de lutter contre un fléau social tel que le chômage, on balance dans l’alternative : est-il préférable de supprimer la maladie – le chômeur doit retrouver un emploi –, ou doit-on se contenter d’en réduire les conséquences – Offrons un petit boulot et un petit salaire pour faire baisser la fièvre, pour que les chômeurs ne se révoltent pas.

Au départ, le CES avait pour but de faciliter l’accès au travail à tous ceux qui sortaient du système éducatif sans une formation directement utilisable en entreprise ou de réinsérer des acteurs qui en avaient été écartés depuis trop longtemps comme les chômeurs de longue durée ou les mères de famille qui avaient préféré s’arrêter pour élever leurs enfants. Le CES ne se concevait alors que sur un mi-temps, d’une part, pour laisser un temps suffisant à la formation qui devait accompagner le contrat, et, d’autre part, pour ne pas laisser au bénéficiaire la moindre envie de se satisfaire d’une situation aussi précaire et d’un aussi faible revenu. Enfin, il était bien établi que ces contrats ne pouvaient en aucune manière être utilisés dans le secteur concurrentiel ou remplacer des emplois permanents existants.

Au fil des ans, la dérive aura été complète : la formation a été carrément oubliée ; le CES est « offert » aux personnes désespérées, en attendant mieux, pour réactiver un droit aux allocations de chômage qui s’épuise... ; l’Etat, toujours à la recherche d’économies, a inversé le sens de l’aide. De plus en plus de postes de l’Éducation Nationale ou des services hospitaliers ne sont plus tenus que par des CES – les gestionnaires de ces établissements ne parvenant à boucler leur budget de plus en plus limité qu’en recourant à de tels artifices. Dans une récente émission de télévision21, une jeune femme titulaire d’un diplôme de haut niveau et d’un poste de CES faisait cette réflexion : « Je n’ai pas à dire merci à quiconque, ce n’est pas l’Etat qui me fait un cadeau en me proposant ce CES, c’est plutôt moi qui fais un cadeau à l’Etat en en mettant à sa disposition mes compétences, pour un salaire aussi bas. »

On en arrive même à entendre des responsables politiques locaux qui se glorifient d’avoir « créé des emplois » en ayant réussi à monter des opérations telles que le débroussaillement des berges de rivières, basées exclusivement sur l’emploi des CES ! Il faut dire tout d’abord que les propriétaires sont légalement tenus d’effectuer cet entretien, qui prend du temps et donc coûte de l’argent sans pour autant créer des richesses – le mauvais bois n’est plus récupéré pour le chauffage ou la cuisine des propriétaires. Ils ont dont pris la mauvaise habitude de s’en exonérer. De leur côté, les maires sont responsables de la sécurité, en particulier contre les crues. Ils ont résolu les problèmes en dispensant les propriétaires de leurs obligations, en faisant assumer par la collectivité la charge abandonnée par des particuliers, et en légalisant, pratiquement, une forme de sous travail. Comme mesure en faveur de l’emploi, on peut trouver mieux ! Est-ce ainsi qu’on va permettre à nos jeunes de prendre pied dans notre société, de s’y construire un avenir, et de la faire évoluer en l’améliorant ? Craignons, qu’ainsi traités, les jeunes soient conduits à ne donner que le pire d’eux-mêmes. Le coeur de l’homme vierge est un vase profond...

L’apprentissage, nos patrons apprennent vite

Depuis longtemps, notre système éducatif était en butte aux attaques dirigées contre sa gestion, ses méthodes, son contenu, son financement. On ne cessait d’entendre dire, par exemple, que notre enseignement était moins bon que celui de l’Allemagne, qu’il était trop général, pas assez proche des attentes des entreprises, qu’il produisait des chômeurs... Il fut donc décidé de transformer l’apprentissage en ne le restreignant plus aux seuls métiers artisanaux. Les entreprises allaient pouvoir s’y investir et former leurs jeunes salariés pour les amener à des niveaux de techniciens ou d’ingénieurs.

On a aujourd’hui suffisamment de recul pour juger sur pièces. En premier lieu du point de vue financier ; la formation est un secteur qui aiguise bien des convoitises, les budgets sont colossaux et certains aimeraient bien profiter des quelques miettes qui s’éparpillent. Les entreprises ont réalisé une excellente affaire. Elles utilisent à leur profit la très grande partie de la taxe qu’elles devaient réellement payer auparavant ! Pour fixer les idées, une entreprise comme la Caisse Régionale de Crédit Agricole « économise » ainsi une somme rondelette, de l’ordre du million de francs. La contrepartie gênante : les établissements traditionnels qu’elle finançait auparavant ont dû faire une croix sur une partie de leur budget.

Le second point à considérer est l’allongement de la période d’essai. Les conventions collectives, n’accordent aux employeurs qu’une période de six mois pour décider si le jeune embauché sera conservé définitivement ou s’il sera renvoyé. Avec le mois de préavis, le choix devait être fait dans les cinq mois. Avec l’apprentissage, l’entreprise a maintenant deux ans pour se prononcer. Quatre ou cinq fois plus, belle avancée !

Auparavant, l’entreprise passait des annonces dans la presse pour recruter ses jeunes salariés. Elle fait maintenant de la publicité pour vendre son apprentissage. Elle commence d’abord à trier ceux qui auront le droit d’aller en IUT et de venir se former dans ses établissements. A raison de deux apprentis qui se relaient sur un poste tout au long de l’année, elle assure un poste plein financé par la taxe d’apprentissage. A l’issue de l’examen, elle renouvellera son tri, ne conservant à son service que ceux qui auront réussi à ne montrer que leur bon côté tout au long de ces deux ans.

Quand on étudie les raisons du chômage, on ne peut pas ne pas se poser la question suivante : « Quand une entreprise ne conserve que la moitié d’une promotion d’apprentis, que peut bien devenir l’autre moitié ? » Aller à la concurrence ? Malheureusement non. Les professions qui ont découvert les avantages de l’apprentissage ont su faire taire la concurrence et se sont regroupées pour créer leurs IUT. Les embauches ne se font plus que par cette voie. Un jeune qui n’a pas été pris par l’entreprise qui l’a fait entrer en IUT n’a plus que les solutions de la reconversion ou de la fuite en avant en tentant une qualification supérieure. Quant aux autres qui recherchent un emploi mais ne peuvent prétendre au bénéfice de l’apprentissage, qu’ils se fassent une raison, la porte de ces entreprises leur est désormais fermée.

Les entreprises ont su retirer des avantages conséquents de l’apprentissage, qu’importe si elles participent ainsi à l’accroissement du chômage, elles sont positives et ne s’intéressent pas aux déchets de la société. Les entreprises n’ont pas vocation à résoudre les problèmes sociaux d’une nation !

L’abaissement des charges sociales

Là aussi, le capitalisme a réussi à faire jouer toutes ses influences pour que soit décidée une mesure qui va dans le sens de sa quête permanente de baisse des coûts du travail. Les premiers à réclamer cette mesure étaient bien évidemment les victimes du capitalisme, ses fournisseurs, tous ceux qui sont condamnés à travailler et à faire travailler pour produire au prix le plus bas les matières premières ou les produits que le capitalisme saura vendre au prix fort. Ils ne se rendent pas compte que bénéfice de l’opération leur échappera toujours, allant enrichir encore plus ceux qui ont su leur faire réclamer ces nouvelles baisses22. Si les cotisations payées par les salariés n’ont pas cessé d’augmenter, celles des employeurs étaient déjà retombées au-dessous de leur niveau de 1970.

Tout à son profit, le capitaliste est totalement hermétique à la notion de solidarité. Il ne peut que déplorer les volumes des capitaux investis dans les budgets sociaux. Si encore il en avait la charge et s’il pouvait les faire travailler à son bénéfice, les cotisations ne seraient jamais assez élevées. Déjà, à force d’attaquer la gestion publique des budgets sociaux, il est parvenu à entrouvrir quelques portes, la santé est un tel marché ! Pour la vieillesse, le système « par répartition » est trop à son avantage face à son système de prédilection « la capitalisation ». Il doit donc être détruit, au moins réduit. Le chômage est déjà un bon moyen pour lui faire prendre l’eau, mais il ne suffit pas. Si l’on veut réduire les salaires, il n’est pas raisonnable de continuer à verser des pensions de retraites aussi élevées. Quand le système public sera quasiment perdu, les vrais financiers pourront enfin se repaître des capitaux de la solidarité.

L’autre voie pour réduire le coût du travail arrivera en son temps, à condition de ne pas brusquer les choses. La réduction du temps de travail, cette aubaine qu’il ne faut pas gâcher par un empressement intempestif. Déjà, de plus en plus de revendications vont dans ce sens. Quand tout le monde sera convaincu que c’est l’unique façon de faire baisser le chômage, alors le capitalisme pourra se laisser aller à la demande générale et rafler la mise. Celle des salariés évidemment, celle de l’État, comme c’est souvent le cas maintenant. Et enfin celle d’un budget social important, l’UNEDIC. La manœuvre se déroule en trois temps. Primo, la crainte du chômage stérilise les pensées, la réduction du temps de travail est présentée comme la panacée qui ne plaît pas du tout au patronat mais qu’il faut réussir à lui imposer. Secundo, les négociations si attendues sont enfin ouvertes, le patronat fait la sourde oreille, fait valoir tous les inconvénients qui vont obérer sa gestion, se défend pied à pied, demande et obtient une ribambelle de compensations dans l’organisation du temps de travail, en flexibilité, en baisse des charges... mais finit par signer dans l’euphorie générale savamment orchestrée. Tertio, l’amélioration de la productivité et l’absence de contrôle réel font que globalement les emplois ne sont pas plus nombreux qu’auparavant. Seules les contreparties obtenues par le patronat trouvent une application concrète. La flexibilité est accrue, le travail coûte moins cher, il y a toujours autant d’heures supplémentaires gratuites et toujours autant de chômeurs. Une nouvelle idée devra germer chez les experts de l’OCDE pour améliorer la situation de l’emploi. Aux dernières nouvelles ils l’auraient déjà trouvée : la retraite à 70 ans (oui, soixante-dix, vous avez bien lu).

Capitalistes, bas les masques ?

Depuis le début de ce document, j’utilise le terme de capitaliste qui doit, je le présume, énerver quelques-uns des lecteurs. Peut-être parce ce qu’ils estiment faire eux-mêmes partie de ce petit nombre de privilégiés, de cette oligarchie. Je tiens à les rassurer. On rencontre énormément plus d’individus qui se croient, à tort, des capitalistes que de capitalistes véritables qui pensent ne pas en faire partie.

Ce serait une erreur de penser que le capitaliste n’a que mépris pour tout ce qui n’est pas le profit. En fait, le capitaliste n’a aucun sentiment, n’a aucune morale. Le seul principe est de faire le profit maximum, quel que soit le moyen pour y parvenir. Sans aucun jugement sur les moyens utilisés.

Bien que les capitalistes travaillent et même travaillent peut-être plus que d’autres, ce n’est pas sur ce critère que l’on différencie les capitalistes du commun des mortels. Plutôt sur l’influence et sur les revenus qui sont tous les deux bien au-delà de ce que peuvent apporter le travail et la compétence.

La rentabilité en agriculture met à l’abri de cette appellation la quasi totalité des agriculteurs. Un capitaliste ne serait pas attaché à la propriété familiale, il l’aurait vendue au plus offrant depuis longtemps pour faire travailler son capital d’une façon nettement plus profitable !

Propositions

Au terme de cette longue analyse, il convient maintenant de faire des propositions concrètes. Il ne m’appartient pas de proposer des actions entièrement définies, mais d’énoncer des principes que ces actions devraient respecter.

  1. Ne pas faire appel aux seuls pyromanes pour éteindre l’incendie.

  1. Le capitalisme retire de si grands avantages du volume et de la progression du chômage, qu’il est difficile de croire qu’il n’ait aucune responsabilité dans la mauvaise situation du marché de l’emploi.

  2. Son seul but est la recherche du profit maximum. A l’intérieur du système de contraintes actuel, le meilleur moyen pour parvenir à son but est de créer du chômage dans les pays industrialisés et maintenir ce chômage à un niveau élevé.

  3. On ne peut pas faire appel au civisme, aux sentiments, à la morale du capitalisme, ces mots n’ont aucun sens pour lui. On ne peut pas lui demander d’aller de lui-même contre ses propres intérêts, de s’amender, d’aller contre son seul principe : ne pas produire un profit aussi important que possible pour réduire le chômage.

  4. Fin du « moins d’État ». L’État ne peut plus se cacher derrière sa politique du laisser faire.

  5. L’ultralibéralisme est parvenu trop facilement à faire admettre qu’aucune contrainte nouvelle ne devait lui être imposée, et qu’il était même nécessaire de supprimer toutes celles qui lui avaient été imposées précédemment.

  6. La politique économique d’un état ne peut se résumer à laisser faire les grandes entreprises lorsque leurs intérêts sont aussi manifestement opposées aux intérêts de la population. Pour avoir le droit d’accéder au marché français encore riche, le capitalisme doit remplir ses devoirs qui lui seront imposées par le politique.

  7. La seule manière efficace de lutter contre le chômage est d’imposer au capitalisme des contraintes telles que dans sa logique de production de son profit maximum, à l’intérieur d’un nouveau système de contraintes donné, il soit amené à créer, sur place, le volume de travail suffisant pour aller vers le plein emploi.

  8. En ce sens, le Code du Travail ne doit plus être systématiquement revu à la baisse comme il l’est actuellement mais de plus en plus renforcé. Lorsque le nombre d’accidents de la route s’élève, on ne supprime pas le Code de la Route, on le renforce et on donne plus de poids à la répression. En ce sens, le rôle de l’Inspection du travail doit donc être renforcé ainsi que le contrôle des acteurs sociaux locaux.

  9. Les responsables politiques sont des élus, ce qui implique qu’ils ne peuvent pas aller ouvertement à l’encontre des intérêts du plus grand nombre de leurs électeurs.

  10. Pour que la classe politique ne soit pas tentée de laisser faire les capitalistes contre les intérêts de leurs électeurs, il est nécessaire que la population soit consciente et avertie de la situation réelle et fasse savoir clairement qu’elle ne le supporte plus.

  11. Ce résultat ne peut être obtenu que si une formidable campagne d’explication s’impose non seulement dans notre pays, en Europe, mais également dans tous les pays qui se disent démocratiques. Tous les médias, toutes les organisations doivent se mobiliser pour délivrer ce message.

  12. En tant que Chambre consulaire, il appartiendrait à notre compagnie de donner un avis en ce sens aux pouvoirs publics, pour indiquer que l’agriculture n’est pas bien traitée par l’oligarchie capitaliste libérale.

  13. La « troisième voie » du Président de la République ne doit-elle pas s’appeler « l’économie concertée » dont la définition est depuis longtemps : « Système économique intermédiaire entre l’économie libérale, qui suppose l’absence de toute intervention étatique (sauf pour veiller à la libre concurrence), et l’économie dirigée, qui comporte une planification autoritaire poussée. »

  14. Pour aller dans cette voie il est nécessaire de s’entendre sur le « volet social » de l’Europe sans que les lobbies capitalistes ne l’aient auparavant vidé de toute sa substance. Là aussi, ce ne sera possible qu’avec l’aide d’une prise de conscience la plus large de la population.

  15. La Mondialisation de l’économie, mise en avant par les adeptes de l’ultralibéralisme ne peut conduire qu’à des catastrophes sociales. Ce serait la loi de la jungle généralisée, au seul profit du petit nombre.

  16. Il est préférable de se contenter de la constitution de blocs régionaux à la suppression totale des barrière douanières préconisée par l’OMC. Ces blocs constitués de pays aux niveaux de vie comparables seraient à l’abri du dumping social.

  17. Il faut refuser la politique des marchands. Les pays ne sont plus des colonies à exploiter. Dans les échanges internationaux, les prix offerts doivent être suffisants pour rémunérer correctement le travail réalisé dans ces pays, en fonction des prix qui y sont pratiqués.

  18. Restaurer la confiance en l’avenir.

  19. La population a été fortement traumatisée par le chômage. Les acteurs politiques, pour reconquérir leur crédibilité, doivent restaurer la confiance dans le pays. Non par des mots qui cachent le laisser faire, mais par des actions concrètes.

  20. La population ne doit plus vivre dans la hantise de perdre son emploi et sa place dans la société. On ne peut plus laisser les entreprises traiter ses hommes comme des kleenex, les jetant à la poubelle après un usage aussi rapide qu’intensif. « L’employabilité », pour être réelle et acceptable, ne peut se situer qu’à l’intérieur de l’entreprise. Celle-ci doit d’abord faire évoluer son personnel par la formation interne plutôt que de faire la sortie des écoles.

  21. Les contraintes financières doivent être telles que la suppression d’emplois dans le seul but d’améliorer les bénéfices devienne non rentable.

  22. Toutes les mesures envisagées doivent être analysées en tenant compte de la véritable nature du capitalisme libéral, pour éviter qu’elles ne soient détournées à son seul profit.

  23. La règle des quatre-vingts / vingt est à proscrire. Le rôle des responsables est de trouver des solutions acceptables aux cas difficiles et non de se contenter du succès des 80 % des cas qui se résolvent d’eux-mêmes.

  24. La confiance ne se décrète pas, elle se gagne tous les jours. Le redémarrage de la consommation viendra couronner les efforts d’un gouvernement qui aura su prendre en considération les souffrances et les aspirations de la population. Quant à l’économie, elle saura parfaitement s’adapter aux nouvelles contraintes qui lui auront été imposées et le redémarrage de la consommation compensera si besoin en était les inconvénients des nouvelles contraintes.

1 On aurait pu citer des exemples plus proches de nous. Mais cela aurait fait des histoires. Et ces exemples proches, ne sont-ils pas déjà suffisamment connus ?

2 Le Groupe des sept pays les plus riches (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) et, comme on ne s’en étonne plus chez les mousquetaires, les sept pays sont maintenant huit , avec l’Union Européenne.

3 Challenges N° 101 bis avec en page de garde : « Sortez de la crise – Devenez patron – Créer son entreprise, une vraie solution pour l’emploi – Une sélection de 16 pages pour découvrir Challenges

4 En 1883 déjà, Paul Lafargue écrivait dans Le Droit à la paresse : « Ah ! comme des perroquets d’Arcadie, ils répètent la leçon des économistes "Travaillons, travaillons pour accroître la richesse nationale" ».

5 Pour ceux qui auraient déjà oublié, faut-il reprendre la règle des quatre-vingts / vingt ? Soyez attentifs, enfin !

6 Excepté dans le sport – merci au football, le nouvel opium –, et dans la vente. L’esprit d’équipe permet encore de motiver les vendeurs. De leurs résultats dépendent, en effet, les primes de leur hiérarchie, alors qu’eux-mêmes sont à la commission et en concurrence sauvage avec leurs collègues de même niveau.

7 Chapeau à l’inventeur de la formule ! Il parvient à dissimuler l’objectif réellement recherché – mais pas très avouable –  sous l’expression de son contraire.

8 L’âge des ouvriers et l’engourdissement intellectuel lié à la parcellisation des tâches rendent plus difficiles et plus longues, donc plus coûteuses, les formations nécessaires en cas de changement de métier. Nier cette vérité n’aboutit qu’à refuser les moyens suffisants pour le succès des reconversions. Les employeurs, pour leur part, le savent bien, c’est pourquoi ils n’hésitent pas à se débarrasser des exécutants à partir d’un certain âge – de plus en plus bas.

9 Dans un marché limité, toute surproduction conduit à une chute des prix. Les meilleurs prix sont obtenus en période de pénurie orchestrée de marchandises. L’exemple le plus récent en a été le marché des barrettes de mémoire d’ordinateurs. A l’occasion, pour éviter la venue sur le marché d’un concurrent, on poussera la production aux limites de sa capacité, mais on ne mettra pas en place de nouvelles usines qui provoqueraient immanquablement la surproduction et l’effondrement des prix.

10 IBM, pour le nommer. Non seulement il se débarrassait de ses inspecteurs, mais il se donnait les moyens d’aborder la diminution, voire la fin à plus ou moins court terme des « gros systèmes » dont il était le spécialiste pour se redéployer vers les minis et micros

11 Source : « Premiers effets de la réforme de la PAC sur l’agriculture de Midi-Pyrénées » de D. ROMEAS de la CRAMP

Tableau 2 : Évolution des résultats des exploitations agricoles de Midi-Pyrénées d’après le R.I.C.A.

Évolution1989199019911992199393/8993/92Production340 500 F348 000 F345 000 F312 900 F315 900 F93101Valeur ajoutée169 100 F161 900 F152 700 F126 800 F117 300 F6393Subventions d’exploitation27 600 F31 000 F33 100 F53 800 F95 900 F347178Résultat courant avant impôt96 500 F86 400 F72 100 F68 100 F97 700 F101143R.I.C.A. : Réseau d’information comptable agricole – sur Midi-Pyrénées représentatif de 36 000 exploitations, soit environ une sur deux et en volume 85 % de la production régionale

12 Le nouveau bilan économique, politique et social du monde – Conjoncture 96 – Bréal Éditions – Les Échos, Le Quotidien de l’Economie Page 60 Les produits agricoles

13 Le nouveau bilan économique, politique et social du monde – Conjoncture 96 – Bréal Éditions – Les Échos, Le Quotidien de l’Economie. Page 118. L’or  - Un jeu à somme nulle. Il est question évidemment de l’Afrique du Sud dans cette citation.

14 Le Crédit Agricole Mutuel en France – Imprimerie coopérative du sud-ouest – 1954

15 Pouvais-je ne pas rappeler la fameuse incidente : « sans parler de l’odeur, » Dans certains milieux, les travailleurs sont parfois appelés des « puent la sueur » et même des « cons GP »

16 Article XII : La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.

17 CFDT MAGAZINE N° 215 Mai 1996

18 Association créée en 1974 sur une initiative de l’Abbé Pierre, dans le but de promouvoir un commerce international équitable, garantissant les conditions de travail et de rémunération décentes pour les travailleurs.

19 ATLASECO, Atlas économique mondial, 1995, Editions E.O.C.

20 Les échanges industriels créateurs nets d’emplois – La Tribune du 16 avril 1996. Excédent commercial 1994 : environ 20.000 emplois en plus – Les Échos du même jour.

21 J’y crois, j’y crois pas sur TF1

22 Avant les dernières baisses, les taux de cotisations sociales payées par les salariés et les employeurs avaient ainsi évolué :

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