En cette période de « populisme exacerbé » et de critique systématique des décisions gouvernementales pourtant instruites par les meilleurs spécialistes dans les meilleures intentions d'efficacité et de rentabilité, comme par exemple au sujet des 80 km/h, il est nécessaire de faire de la pé_da_go_gie. Tout citoyen responsable se devant d'y participer, je me lance aussi. Puisque la mode est de parler de mètres et de secondes, je vous propose de commencer par un petit exercice de calcul simple :
Sur une route secondaire sans séparateur médian, vous êtes au volant d'un Véhiculo longo de 16,5 mètres de longueur, vous disposez d'un limitateur de vitesse correctement étalonné que vous avez réglé à 79 km/h de peur d’encourir une amende pour vitesse excessive.
Vous vous rapprochez d'un autre Véhiculo longo qui est si lourdement chargé de billes de bois qu'il ne peut dépasser les 65 km/h sur le plat.
La distance qui vous sépare s'amenuise et tend vers les 50 m réglementaires. Vous devez alors estimer la distance de visibilité suffisante pour amorcer votre manœuvre de dépassement.
Facile me direz-vous, on le pratique tous les jours :
Alors à votre avis quelle doit être cette distance ?
143 m ?
500 m ?
800 m ?
plus ?
Vous avez trouvé la réponse ? Vérifions ensemble, voulez-vous.
Le nez de mon camion (A) est à 50 m du cul – oui c'est comme ça, madame, qu'on dit chez les routiers – du camion de bois (B). La longueur de B est également de 16,5m. Je commencerai à me rabattre lorsque mon cul sera à 10 m devant son nez. Et je compte encore 50 m pour me rabattre et libérer totalement la voie de gauche. Ce qui fait donc 50 + 16,5 + 10 + 16,5 + 50 = 143m !
Ce chiffre, vous l'aviez trouvé, n'est-ce pas ? C'est votre réponse ?
Et non, ce n'est pas ça du tout, c'est simplement la distance que A doit parcourir en plus de B grâce au différentiel de vitesse.
Ce différentiel de vitesse est : 79 – 65 = 14 km/h ou 14000 m en 3600 secondes.
On trouve le temps qu'il faudra à A pour faire 143 m de plus que B avec le rapport habituel :
3600 secondes / 14000 mètres x 143 mètres = 36 secondes et 77 centièmes.
Connaissant le temps et la vitesse, on obtient alors la distance que A va parcourir pendant ces 36,77 secondes :
79000 m / 3600 secondes x 36,77 secondes = 806,92 m
Voilà, ce chiffre, vous l'aviez aussi trouvé.
C'est donc votre réponse ?
Perdu ! Ce n'est encore pas ça du tout !
Parce que lorsque vous parcourriez ces 806 m, un usager venant en sens contraire roulant également à 79 km/h aura parcouru de son côté ces mêmes 806 m avant d'arriver à votre point de rencontre. Il vous faut donc au total (806,62 m + 806,62) une visibilité de plus de 1,600 kilomètre pour pouvoir amorcer ce dépassement.
C'était ça votre réponse ?
Encore perdu ! Ce n'est pas encore tout à fait juste parce que lorsque vous vous êtes rapproché à 50 m derrière le camion B, vous n'aviez pas la visibilité suffisante ou il y avait un véhicule en face, un sommet de côte, un obstacle, une ligne continue... ce qui ne vous a pas permis de dépasser « à la volée ». Vous avez donc dû ralentir, peut-être même tomber, vous aussi, à 65 km/h pour « ne pas suivre de trop près, respecter la distance minimum ».
Il vous faut donc tenir compte du délai d'accélération pour atteindre de nouveau les 79 km/h, délai en secondes, qui se transforme en mètres parcourus.... Et là, ça commence à devenir quand même un peu plus compliqué. Avec tout ça, il doit bien falloir au moins 2 kilomètres de libres devant vous pour lancer ce dépassement.
Bon enfin, quand on a une bonne vue, on doit bien trouver sur une route secondaire sans séparateur médian un tronçon droit et plat de 2 kilomètres sans personne en face, sans ligne continue, sans plot ni îlot de direction... Sauf que, quand ça veut pas, ça veut pas ! ...
Le temps que vous rouliez à 65 km/h, coincé derrière le camion B, les deux camions se sont rapprochés ensemble du tracteur agricole tirant son pulvérisateur et, lui, il ne roule pas à 65 km/h, même pas 22 !
Le calcul pourrait se refaire avec ce différentiel de 65 - 22. Mais comme on l'a vu, l'arithmétique est une chose, le trafic une autre.
Comme le camion B n'a pas pu, lui non plus, pour toutes les raisons déjà évoquées, dépasser le tracteur « à la volée », il lui a bien fallu descendre à 22 km/h et, pour « remettre la gomme », un camion lourdement chargé de bois a besoin de pas mal de temps, donc de kilomètres libres devant lui, sans personne en face, sans ligne blanche, sans patelin, sans chicane...
La très longue file de voitures et camions qui s'est agglutinée derrière vous roule maintenant à 21,5 km/h et, au volant de son tracteur, le paysan tout fier se tord de rire en admirant dans son rétroviseur cette caravane interminable de vacanciers qui serpente dans sa campagne comme une invasion de doryphores ou de chenilles processionnaires !!!
Tout à sa contemplation il n'a pas vu à temps le jeune paralytique traversant sur le passage piétons dans son fauteuil électrique : L'embardée désespérée pour tenter de l'éviter aura été vaine. L'infirme et son fauteuil sont écrabouillés et le pulvérisateur en valdinguant contre le muret de la salle des fêtes explose et asperge tous les alentours.
Le gamin aurait peut-être survécu si ce village perdu n'était pas dans un désert médical et si les services de secours d'urgence n'avaient pas été regroupés pour une meilleure gestion administrative et comptable au chef-lieu du département.
Mais dans toute situation, y compris les plus dramatiques, il faut savoir être positif et relever les bons côtés. Cet infirme n'avait pas été broyé à la naissance comme on le fait généralement pour les poussins inutiles et, sans avoir jamais rapporté le moindre bénéfice à la société, il lui avait déjà coûté un pognon de dingue. Sans cette interruption anticipée, il aurait encore coûté énormément plus sans jamais travailler pour un employeur, sans jamais rien produire surtout pas de bénéfices...
Le paysan et son pulvérisateur avaient déjà été, dit-on, à l'origine du handicap du gamin. À l'époque où il ne raisonnait pas vraiment, il avait la main un peu trop lourde pour doser sa bouillie de phytosanitaires et il arrosait copieusement son champ près du jardin où la future mère de l'avorton se faisait dorer au soleil pendant sa grossesse.
Par bonheur, on ne déplore pas d'autre victime corporelle. Le paysan s'en est sorti miraculeusement. Les mariés et leurs invités qui posaient pour la photo souvenir sur les marches de la salle des fêtes ont seulement été douchés par le contenu du pulvérisateur.
Certes, la vue du sang, l'odeur de la bouillie, la robe et la traîne de la mariée maculées et perdues ont causé des vomissements, des évanouissements, un vrai choc psychologique. Mais considérant la force de caractère habituelle chez ces ruraux, l'absence de professionnels locaux et le coût éventuel des déplacements de spécialistes venant de la préfecture ou de la région, il n'a pas été jugé efficace ni rentable de constituer une cellule d'aide psychologique pour écouter tous les invités du mariage.
Évidemment, on ne saura que lorsque la mariée aura accouché – puisqu'elle avait pris un peu d'avance sur le calendrier – si son enfant souffrira des mêmes symptômes que la victime du jour. À n'en pas douter, avec la rapidité des changements initiés par le gouvernement, il sera alors loisible de décider s'il faut ou non broyer à la naissance ce poussin inutile et coûteux.
Quant aux causes de l'accident, la sécurité routière a considéré qu'il était à répertorier uniquement dans la rubrique « vitesse excessive ».
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Trêve de plaisanterie. Le conte caricatural ci-dessus, émaillé de quelques travers de notre époque n'avait pour but que de mettre en évidence la nécessité d'un fort différentiel de vitesse pour effectuer un dépassement.
Quand on a passé notre permis, on nous a inculqué qu'il fallait « accélérer franchement » pour que le dépassement soit le moins long possible en durée comme en distance, dans le but d'améliorer la sécurité.
Avec l'instauration de la vitesse limitée, est arrivé le temps de l'hypocrisie : il faut certes accélérer franchement mais ne pas outrepasser la vitesse limite !
Pourtant, lors d'un dépassement on ne regarde pas son compteur et on ajuste la vitesse nécessaire en fonction de la distance disponible.
Évidemment, Montesquieu étant mort et enterré, avec des lois qui manquent d'esprit, on trouve par la suite des contraventions dans nos boites aux lettres.
Maintenant avec la limitation de vitesse à 80 km/h, on n'aura pour ainsi dire jamais la distance suffisante pour effectuer un dépassement en toute sécurité. Les dépassements étant pratiquement impossibles, les files de voitures, de camions, de caravanes et autres véhicules lents rouleront à la vitesse du moins rapide.
Tant que les dépassements ne seront pas clairement interdits, tous les conducteurs excédés vont se rapprocher au maximum du véhicule qui le précède en espérant bénéficier d'une fenêtre de tir.
Et cette limitation de vitesse, qui était censée améliorer la sécurité va, en fait, réduire les distances entre véhicules et augmenter très fortement l'INsécurité.
Pour illustrer cette conclusion, prenons deux exemples simples que tout le monde a déjà vécus.
Vous êtes sur une autoroute, vous abordez une légère descente, la voie est toute droite et vous voyez tout au bout de la remontée qu'il n'y a absolument personne sur plusieurs kilomètres. On vous a construit une autoroute pour vous tout seul ! Il vous vient à l'esprit le conseil de votre garagiste : « Quand vous en aurez l'occasion, poussez donc l'allure sur l'autoroute pour dégommer votre moteur ». C'est le moment idéal, vous n'avez aucun risque d'attenter à la sécurité des autres usagers et, en ce qui vous concerne, à part un OVNI qui vous tombe sur la tête, qu'est-ce qui pourrait vous arriver ? Et si tel était le cas quelle serait la différence entre se vautrer à 130 ou à 160 km/h ?
La différence, vous la découvrez quand vous rentrez à la maison, c'est la contravention envoyée automatiquement suite à la photo prise avec ses jumelles par le gendarme bien planqué à la lisière du bois et qui, avec ce poste de choix explose tous les jours ses objectifs de contraventions.
L'autre exemple : vous êtes encore sur l'autoroute, le trafic est important mais fluide jusqu'au moment où un camionneur, avec son impératif de livrer avant la fermeture du réceptionnaire, décide, bien qu'il ne roule qu'à peine 1 km /h plus vite que son collègue, de lancer un dépassement. La manœuvre est interminable. Toute la circulation se reporte sur la voie de gauche et les distances se resserrent.
Si bien que la voie de droite est totalement libre jusqu'à ce qu'un « petit malin » remonte toute la file par la droite. Cet acte n'est pas condamnable à ce stade. Il le devient quand, parvenu au niveau du camion, d'un coup de clignotant péremptoire, il force le passage pour s'insérer dans la voie de gauche. Même si le procédé est blâmable, il n'est pas suffisant, à lui seul, pour mettre en danger les autres usagers. Si les plus proches conducteurs ne font qu'effleurer leur frein pour laisser l'intrus se faufiler « en douceur », mais il suffit d'un seul peureux, qui freine avec vigueur, pour provoquer, en chaîne, avec le délai de réponse de plus en plus court, un resserrement de la file et à la fin, au mieux, un arrêt, au pire, un carambolage.
Dans ce cas, il n'y a pas de gendarme planqué à la lisière du bois pour envoyer une photo au conducteur fautif, parce qu'on ne peut pas anticiper le lieu où va se pratiquer ce méfait ou placer des gendarmes tous les kilomètres.
D'un côté, une manœuvre sans aucun risque qui va pourtant être sévèrement réprimée, de l'autre côté un agissement des plus condamnables et qui ne sera pourtant pas condamné.
On peut alors se demander si la politique du gouvernement est vraiment d'améliorer la sécurité des usagers ou tout simplement de faire rentrer le maximum d'argent avec les contraventions. La limitation de vitesse n'améliorera pas la sécurité et, au contraire, en diminuant les distances va rendre le trafic moins sûr et moins fluide.
Quant aux arguments qui tentent de justifier cette limitation, ils donnent eux-mêmes le bâton pour se faire battre : dire qu'en passant de 90 à 80 km/h on va réduire de 70 à 57 m la distance de freinage ne calmera jamais Madame Pernichon et ses adeptes. Tant qu'on n'arrivera pas à zéro, la route sera pour ces intégristes toujours trop « violente » !
En matière de sécurité, l'autoritarisme obtus fonctionne très mal. Le code de la route est censé édicter des règles, observées par tous, pour améliorer à la fois la sécurité et la fluidité du trafic. Pour qu'elles soient respectées sinon par tous, tout au moins par le plus grand nombre possible, il faut qu'elles soient respectables, c'est à dire reconnues comme étant la meilleure réponse au problème posé. Le moins que l'on puisse dire c'est que l'abaissement de la vitesse de 90 à 80 km/h n'est pas la meilleure réponse possible et, n'étant pas accepté par le plus grand nombre, ne sera donc pas respecté.
Enfin, si un camionneur inconscient débouche d'un chemin sans s'assurer que la voie est libre, ce n'est pas en « punissant » l'ensemble des conducteurs, en réduisant encore et encore leur vitesse, qu'on corrigera la conduite de ces délinquants qui ne sont qu'une petite minorité.