Jacques MARET

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Billet de blog 4 juin 2018

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Le point sur le bénévolat et le wwoofing

Lettre addressée à Yann Kindo, en référence à l'article paru sur Mediapart le 17 février 2018 "De l'exploitation en milieu fermier écolo"

Jacques MARET

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Monsieur Kindo,

Après la lecture d’une deuxième critique à l’encontre du bénévolat dans les lieux écolos et de permaculture, j’aimerais apporter quelques remarques. Je fais ici référence à l’article paru dans La France Agricole la semaine du 18mai[1], et celui paru sur le site mediapart.fr le 17 février.

Ces articles sont pratiquement identiques. Vous faites passer deux messages dans ceux-ci.
Le premier est que ces lieux font de la publicité mensongère. Ils prétendraient produire beaucoup alors qu’en réalité, ils produisent peu et rentrent dans leur frais grâce à l’apport de main d’œuvre gratuite.
Le deuxième est un avertissement adressé aux potentiels intéressés. Faites attention de ne pas vous faire exploiter par ces « gourous ».

En ce qui concerne le premier point ; la permaculture est réellement plus productive par unité de surface que l’agriculture conventionnelle. Un paysan passionné peut cultiver de la terre avec plus de précision que de grosses machines. L’agriculture conventionnelle produit plus par personne c’est vrai. Mais vaut-il mieux donner du travail à des machines ou à des hommes et des femmes ? Ceci est l’objet d’un autre débat.

Si ces lieux produisent insuffisamment selon vos critères c’est car ils ont une vocation essentiellement pédagogique. Le but n’est pas de sortir un maximum de paniers de légumes, mais bien de montrer aux gens comment faire pousser des plantes tout en prenant soin de la terre.

Et il se fait qu’aujourd’hui, énormément de gens s’interrogent sur la façon de prendre soin de la terre de façon durable, sans chimie, sans OGM (et pour les plus cohérents, sans pétrole). Ces lieux comme Terre et Humanisme et la ferme du Bec Hellouin sont parmi les premiers à avoir cherché des solutions et les avoir diffusées. L’afflux d’intéressés, de stagiaires, de paysans en herbe et de touristes en tout genre est devenu énorme. Pour permettre à tout ce monde de venir ils ont dû instaurer des règles et même demander une petite contribution. Il n’y a rien d’étonnant à cela. Et puis tous ne sont pas payants. L’écrasante majorité est gratuite, vous venez juste de citer les deux acteurs principaux de la scène agroécologique.

Ensuite, la « main d’œuvre gratuite » comme vous dites est non-qualifiée. Elle n’a pas d’outils, pas ou peu de connaissances et ne « travaille » que 20 heures par semaine[2]. Et parmi ces heures, il y a du temps qui part en explications, en apprentissage… En réalité, ces 20 heures pourraient être divisées par 3 ou 4 si elles étaient effectuées par un professionnel. Donc la valeur financière ajoutée de bénévoles est faible et ne fait que compenser le gîte et le couvert dans la plupart des cas.

Mais je ne peux pas dresser un tableau précis du wwoofing. D’une part chacune de mes expériences étaient uniques donc je ne peux généraliser et de l’autre il n’est pas uniquement question de cash dans ce système. Tout comme le bénévolat dans d’autres domaines (aide aux personnes handicapées, aide aux pays en voie de développement etc.) il est basé sur une confiance mutuelle des deux parties qui retirent chacune des bénéfices variés qui n’ont pas toujours de valeur pécuniaire. Très concrètement : le bénévole gagne une expérience hors du commun (ex. égorger et préparer un poulet), des rencontres enrichissantes avec des gens de la campagne, des connaissances nouvelles (ex. faire un macérat, planter des choux). Vous rigolez mais le simple fait de travailler à genoux est déjà renversant pour le citadin type. L’accueillant en revanche gagne de la compagnie, de l’aide au quotidien (ex. nourrir les cochons, cueillir des champignons) et trouve du plaisir à transmettre son savoir.

En ce qui concerne le deuxième point ; il y a sans doute des gens qui profitent du système. Comme dans tout système, il y a des profiteurs. De la politique aux lobbys, et de l’agriculture à l’industrie. Merci de nous mettre en garde, il n’y a aucun risque. Le bénévolat étant un contrat de confiance, chaque partie peut y mettre fin immédiatement et sans conséquences.

Vous l’aurez compris, j’étais très en colère à la lecture de vos articles. Traiter quelqu’un de « gourou » et son entreprise de « vaste escroquerie » est limite insultant. Surtout qu’en contrepartie, vous ne proposez pas de solutions.

Je comprends votre besoin d’informer les gens que la permaculture est un terme à la mode et que sous ses allures flamboyantes se cache une vérité plus terne. Mais soyons patients. Le mouvement prendra de l’ampleur, de nouveaux lieux verront le jour et l’offre se développera. La pédagogie cèdera sa place à la production qui donnera naissance à de nouveaux emplois… rémunérés cette fois.

Cordialement,

Arnaud Laurencin (avec l’autorisation de Jacques Maret)

[1]https://www.facebook.com/groups/2372478815/permalink/10156581716083816/?comment_id=10156597842438816&reply_comment_id=10156601439838816&notif_id=1527781542489930&notif_t=group_comment_reply

[2]Selon la charte de www.wwoof.fr

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