Jacques MARET

Agriculteur, auteur du «Naufrage paysan».

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Billet de blog 25 juin 2012

Jacques MARET

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Le temps des restrictions est arrivé, l'alimentation ne fera pas exception...

Toutes les prévisions indiqueraient que la population humaine va atteindre 9 milliards d'habitants, et qu'il faudra les nourrir... Mais la pénurie alimentaire commencera bien avant que nous soyons 9 milliards...

Jacques MARET

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Toutes les prévisions indiqueraient que la population humaine va atteindre 9 milliards d'habitants, et qu'il faudra les nourrir... Mais la pénurie alimentaire commencera bien avant que nous soyons 9 milliards...

Déjà, en 2008, des émeutes de la faim ont eu lieu, en Egypte par exemple. Celle-ci dépend aux trois quarts des importations, qui étaient financées par les rentrées du tourisme de masse. Ce tourisme est tari ou presque depuis la chute de Hosni Moubarak, il faudra donc que le gouvernement égyptien trouve de quoi nourrir ses 90 millions d'habitants... et ce ne sont plus les crues du Nil qui fertilisent ce long couloir vert au milieu du désert. La solution est-elle d'optimiser la production de façon toujours plus technique, ou de s'adapter au territoire?

L'agriculture intensive continue à nous proposer toujours plus de solutions, basées sur la dépendance de l'exploitant agricole à l'achat d'intrants en tous genres, depuis les semences et engrais jusqu'à la nourriture des animaux. Tout est basé sur des flux d'énergies démesurés, laquelle va devenir rare et chère. L'élevage industriel intensif dépend de cultures issues d'autres continents et la France importe la surface agricole utile de 3 à 4 départements !

L'agriculture française, cette  belle réussite...

Sa balance commerciale affiche un solde positif, dû à 90%, aux ventes de vins et spiritueux. La productivité est 100 fois plus forte qu'il y a 50 ans, mais trois fermes disparaissent toutes les heures... La rentabilité financière est-elle meilleure dans ce système d'interdépendance, ou au contraire, les entreprises sont-elles fragilisées? Les ratios financiers sont sans appel.

Prenons le problème à l’envers : pour un revenu quasi identique, une ferme durable (paysanne, biologique ou non chimique) consomme deux fois moins d'espace rural, a besoin de deux à trois fois moins de capitaux investis et de fonds publics de la Politique Agricole Commune. Sans compter une très forte diminution des intrants, notamment engrais et chimie, tous basés sur le pétrole. Et cerise sur le gâteau, ces fermes donnent plus de travail par hectare, ce qui en ces temps de crise devrait peser plus que la polémique sur les viandes halal, casher ou autres.

Parmi ces intrants, les semences, vendues à prix d'or par les firmes, sont une lourde charge. Les paysans ont toujours ressemé et sélectionné leurs récoltes. Pourquoi la loi française l'interdit-elle, contrairement au bon sens et au traité sur les ressources phytogénétiques (Tirpa) ? Engrais et traitements chimiques, grands consommateurs de pétrole, vont-ils devenir aussi lourds financièrement pour les agriculteurs que pour les pêcheurs, dont la quasi-totalité du chiffre d'affaire passe dans le carburant? Cette charge est divisée par 5 dans les fermes respectueuses de leur territoire.

Et notre santé dans tout ça ?

 La Direction Générale de l’Alimentation et l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail défendent notre santé devant le concombre «bio et tueur». Mais notre santé est-elle défendue contre les produits chimiques, lors des Autorisations de Mise sur le Marché? L'actualité démontre l'inverse: agriculteurs malades de la chimie devant les Tribunaux, qu'il faut soigner et indemniser, eaux gravement polluées, algues vertes omniprésentes. Or, l’Administration comme les ministres de l'Agriculture successifs autorisent des pesticides mal testés : la directive européenne 91/414 impose que les effets du mélange soient connus. Le Conseil d'Etat (décision du 7 mars 2012) vient d'obliger le Ministre à évaluer le Round Up Express, dont le mélange, désherbant et solvant, ou adjuvant, n'avait jamais été testé...

De qui se moque-t-on, ou plutôt, de qui l'Administration est-elle le pantin?

L'Administration ne fait ni contrôle, ni expertise, se moque de notre santé, et de celle des utilisateurs. La directrice des produits phytosanitaires affirme que les modifications mineures de composition sont trop nombreuses pour être contrôlées.... Ces modifications mineures portent sur les adjuvants, qui doivent être évaluées!

Le Grenelle de l'environnement prévoit une diminution de 50% des quantités de la « Chimie Agricole » (Plan EcoPhyto 2018)  et que l'agriculture biologique représente 20% des surfaces agricoles en 2020.

Les objectifs sont clairs et entrés dans la loi.

Mais on laisse passer de nouveaux produits, aussi peu testés que les précédents: malgré la condamnation en justice d'une forme de Round Up, le nombre de « formulations » a doublé en 3 ans...

On prétend que les données industrielles de la chimie agricole seraient couvertes par le secret commercial. L’enjeu n’est pas la santé des industriels de la protection des plantes mais bien la nôtre ! L'association « phyto-victimes risque hélas d'avoir beaucoup d'adhérents !

On institue une simplification outrancière des règlements pour l'irrigation des maïs destinés aux élevages industriels, et personne ne se préoccupe de la Directive Cadre sur l'Eau.

Le moratoire sur la culture du MON810 laisse espérer que le miel ne serait pas contaminé... Mais le syndicalisme « majoritaire » l'a déféré devant le Conseil d'Etat pour entrave à la compétitivité. L'Administration produira-t-elle l'étude sur les larves de coccinelles victimes du MON810 (A Hilbeck, ETHZ)? Et que les abeilles trouvent bien le pollen OGM?

Et pendant ce temps là, on achève bien les paysans écolos....

Le bon sens économique, les Lois Grenelle, les consommateurs devraient hâter l'avènement des agriculteurs autonomes et respectueux, vers une meilleure alimentation. Grâce aux  règlements du « deuxième pilier » de la Politique Agricole Commune les moyens existent pour y arriver.

Mais, à l'inverse des Autorisations de Mise sur le Marché, l'Administration applique dans toutes leurs complexités les mesures d'agroenvironnement. Les paysans écolos doivent toujours prouver le respect de leur contrat, et l'Administration les harcèle: contrôles tatillons et répétitifs, paiements effectués en retard, voire pas du tout.

L'année 2011 est révélatrice:

Les primes de l'agriculture chimique (DPU) ont été payées pour moitié avec six semaines d'avance, la 2e moitié à la date prévue. Les primes environnementales ont été payées de trois semaines à quatre mois plus tard. Et pas en totalité...

Certaines zones Natura 2000 attendent depuis 20 ans les documents de gestion et de financement,  prescrits par la Directive Habitat, pour maintenir en état des lieux de protection de l'eau, d'espèces ou milieux remarquables, de zones humides. Certaines autres sont bordées par des installations classées, comme des déchetteries, des autoroutes, contrairement à la loi.

Les Primes de Soutien à l'Agriculture Biologique, conversion ou maintien, sont passées en 2011 dans le même « Pilier » que celles de la chimie ou DPU. Devenues légalement annuelles, au lieu de contrats de cinq ans, il a fallu cependant signer des engagements de cinq ans, variables d'un département à l'autre. Les primes de Maintien de l'agriculture Biologique, possibles en droit européen depuis 1998, n'existent en France que depuis 2010. Passées dans le Premier Pilier, elles sont compatibles et cumulables aux Mesures Agri-Environnement du Deuxième Pilier.

L'Administration française continue à les  prétendre non-cumulables, toute à sa précipitation de contrôle et d'admonestation d’une agriculture biologique pourtant plébiscitée par les citoyens consommateurs. Les autres pays européens appliquent ces mesures de soutien depuis 15 ans : on peut être surpris des difficultés à organiser  la filière biologique en France !

Et cerise sur l'Administration, l'agriculture biologique est surveillée : des fonctionnaires se sont livrés à un recensement des agriculteurs bio, leurs surfaces exploitées et leur chiffre d'affaires. Mme Danielle Bousquet, députée des Côtes d'Armor, a demandé au Ministre de lui indiquer pour quelles raisons des fonctionnaires de police se livrent à une enquête sur l'agriculture biologique en France.

Pour montrer les inepties de la cogestion et le mépris de l'agriculture biologique ou environnementale, il faut en arriver jusqu'au Conseil d'Etat....

Les préfets refusent la compensation légale au titre des intérêts de retard, et font répondre par un sous responsable de service de la Direction Départementale des Territoires, à côté de la demande, car il n'y a rien à répondre à l'injustice faite à cette agriculture citoyenne. Le Conseil d'Etat vient de condamner le Ministre (décision du 11 avril 2012) pour sa volonté de ne pas payer 4 euros sur une somme de 9070€, (vous lisez bien : QUATRE euros !), et avec 8 mois de retard. L'Etat a été condamné 4 ans plus tard à 2 500 euros d'indemnisation, après 3 procédures. L'Administration cherche à user les paysans biologiques. Voire à être condamnée par la Cour de Justice de l’Union Européenne pour rétention de fonds européens…

L'Administration agricole et alimentaire doit cesser d'être complice des Firmes de l'Union des Industries de la Protection des Plantes, elle doit préserver la santé de tous et notre environnement. Elle doit favoriser ceux qui œuvrent dans ce sens, en excluant la chimie de la nourriture produite et vendue à leurs consommateurs et voisins.

Nous demandons donc à nos décideurs et élus

Pourquoi siéger en Assemblées, voter lois ou règlements, si l'Administration se laisse dicter ses décisions par des lobbys prétendant défendre l'emploi? Pourquoi faut-il 20 ans en France pour interdire un produit, ou 12 ans pour mettre en place les paiements des mesures biologiques ?

Est-il possible de retarder de 6 mois les paiements de la PAC pour certains membres de la profession, sans réactions devant les préfectures? Comme la concurrence doit être « libre et non faussée », nous exigeons que la PAC chimique soit payée avec le même retard que les paiements agri-environnementaux !

Mesdames, Messieurs les élus, ayez le courage de demander à l'Administration d'appliquer textes et règlements, et de ne plus écouter,  les sirènes du productivisme, des lobbies de la chimie.

Ayez enfin le courage d'entendre ce que souhaitent les citoyens consommateurs, et lisez mot à mot le « Rapport Perruchot », il est édifiant sur le syndicalisme agricole.

Et n’oubliez pas d’imposer à l'Administration de respecter la loi républicaine....

Pour que le Parlement et Commission Européens soient clairement informés, quelques paysans agrobiologistes viennent de déférer la France devant le Parlement, pour qu'elle respecte ses obligations et les Règlements des Premier et Second Piliers de la PAC. De nombreux autres paysans les accompagneront anonymement, pour ne pas risquer de représailles de la part de l'Administration ou du syndicat dit majoritaire, du Crédit, de la Mutualité Sociale Agricole, etc...

Jacques Maret

http://www.jacquesmaret.net/les-actions-de-jacques-maret/blog

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