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Billet de blog 5 juin 2024

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L’universalisme n’existe pas

La deuxième édition de la fête de l’universalisme a eu lieu ce dimanche à Paris sans que cela ne semble remuer qui que ce soit. Difficile de savoir pourtant ce que l’on fête là au juste, entre les débats aux titres éloquents tels que « L’universalisme au défi de l’idéologie woke » ou encore « Le retour de la censure ? Les démineurs éditoriaux ». De quel universalisme parle-t-on ici ? Quel en est le sens en France ?

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La deuxième édition de la fête de l’universalisme a eu lieu ce dimanche à Paris sans que cela ne semble remuer qui que ce soit. Difficile de savoir pourtant ce que l’on fête là au juste, entre les débats aux titres éloquents tels que « L’universalisme au défi de l’idéologie woke » ou encore « Le retour de la censure ? Les démineurs éditoriaux (sensitivity readers) ».

De quel universalisme parle-t-on ici ? Quel en est le sens en France ?

Le terme, posons d’abord cette précaution, est historiquement pensé par des hommes blancs, non pas la couleur de peau mais la réalité sociale à laquelle elle renvoie, les situations spécifiques que vivent les gens de cette catégorie en société. Dès son origine, il n’inclut aucunement les racisés.

Mais l’universalisme en France est aussi et surtout une fiction reposant sur une idée simple : pour que l’origine ne compte pas, il s’agit de faire comme si elle ne comptait pas, de prétexter qu’être arabe, africain, ne change rien à la façon dont on est traité. C’est bien évidemment faux, et l’on dessert d’autant plus en prétendant que c’est vrai.

L’illusion est donnée que les citoyens français ont les mêmes chances de gagner et, de ce fait même, on est autorisé à dire que ceux qui ne réussissent pas manquent seulement de volonté, de talent, ou d’esprit d’intégration.

Même des Africains et Arabes (femmes et hommes) en viennent à défendre cette croyance selon laquelle la France, indifférente à la couleur de peau, serait équitable, juste. Ils se prosternent devant elle dans leurs prises de parole, déclarent qu’on devrait l’aimer dans des débats comme ceux qui auront lieu lors de la fête de l’universalisme, dans des interviews sur CNews et d’autres chaînes chauvines d’extrême-droite qui jubilent évidemment devant ces discours, mais aussi dans des médias autrefois de contre-pouvoir et virant de plus en plus à tribord.

Sur leur plateau, leur scène, et dans leurs colonnes, ces Francophiles prétendent que les valeurs de la République sont universelles, que la liberté, l’égalité, la laïcité sont appliquées de façon égale à tous les citoyens, sans distinction, et s’étonnent ensuite de ce que certaines et certains aient la mauvaise foi de ne pas s’intégrer, de se réfugier dans le communautarisme, le radicalisme.

La phrase de Lévi-Strauss dans Tristes tropiques résonne hélas encore aujourd’hui : « il faut beaucoup de naïveté ou de mauvaise foi pour penser que les Hommes choisissent leurs croyances indépendamment de leur condition ».

Comme si c’était là une cause et non une conséquence. Comme si ces soi-disant ennemis de l’intégration n’étaient pas rejetés avant par la République au fin fond de leurs cités, par les loyers trop élevés, les lycées et collèges de secteur, la discrimination à l’emploi, l’absence d’un projet politique qui les inclut, la suspicion permanente à l’endroit de l’Islam, la déchéance progressive du socialisme et des aides publiques, la toute-puissance d’un libéralisme qui n’a que faire des minorités, comme si se replier sur une appartenance quelle qu’elle soit pour ne pas être exclu et seul, sur une communauté, n’était pas le résultat de ce rejet par cette France soi-disant universaliste et égalitaire.

Curieux par ailleurs comme c’est ce communautarisme seul dont on se plaint. La France compte des groupes divers allant jusqu’à plus de cent mille adhérents, des associations, des francs-maçons, des syndicats, des quartiers à circuit court comme celui du septième arrondissement de Paris mais il suffit que des Arabes, des Africains se réunissent pour que l’on hurle au communautarisme.

L’universalisme en France, n’en déplaise à la fête du même nom, n’existe pas. Pas encore du moins. Il faut en faire le deuil pour espérer l’atteindre un jour. En attendant, le défendre, c’est donner des armes à un discours perpétuant l’oppression des minorités. C’est l’excuser en prenant cette fable sur l’universalisme, sur la République aveugle à l’origine, pour une vérité.

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