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Écrivain franco-libano-palestinien, dernier roman : Le caprice de vivre (éditions Elyzad)

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Billet de blog 17 novembre 2023

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J’aurais préféré ne pas parler politique

J’aurais préféré ne pas parler politique, car que dire ? Je suis écrivain et c’est en racontant la petite histoire que j’espère dire la grande. J’aurais préféré ne pas parler politique, car que dire ? Le reste, on l’oubliera. On oubliera les chiffres, on oubliera les gouvernements, on oubliera les discours institutionnels, on oubliera ces mots que j’écris ici. On ne se souviendra qu’en racontant. La fille qui rentrait de l’école avec ses copines. Le fils qui allait chercher le pain.

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J’aurais préféré ne pas parler politique, car que dire ? Je suis écrivain et c’est en racontant la petite histoire que j’espère dire la grande. Parce que c’est ainsi, j’en suis toujours convaincu, qu’on rend hommage à ceux qui désiraient juste vivre. Aux morts qui n’ont que faire qu’on se venge, eux, qui veulent seulement qu’on ne les oublie pas, qu’on se souvienne.

J’aurais préféré ne pas parler politique, car que dire ? Le reste, on l’oubliera. On oubliera les chiffres, on oubliera les gouvernements, on oubliera les discours institutionnels, on oubliera ces mots que j’écris ici. On ne se souviendra qu’en racontant. La fille qui rentrait de l’école avec ses copines. Le fils qui allait chercher le pain. Elle, lui, on s’en souviendra, en les racontant. J’aurais préféré ne pas parler politique, car que dire ? Je préfère raconter. 

Alors pourquoi ? Pourquoi parler politique ? 

Car comment faire autrement ? Devant le traitement médiatique des dernières semaines ? Devant cet acharnement à n’évoquer, plus d’un mois plus tard, que les massacres du 7 octobre par le Hamas alors que le gouvernement d’Israël bombarde en ce moment même enfants, femmes et hommes civils, use du phosphore blanc, du blocus, du déplacement forcé de populations et de tant d’autres choses interdites par le droit international ? Devant ce silence sur ce qu’on nommera à coup sûr un génocide ? Devant ce massacre du Hamas qui semble être la seule horreur dont on veuille bien parler, à quoi tout ramène ? Comme s’il n’y avait rien avant, rien après ? Comment faire autrement que parler politique quand on sait que l’attaque du Hamas est l’axe de communication principal du gouvernement israélien et qu’il fonctionne en France ? Qu’on lui obéit en répétant en continu l’horreur du 7 octobre sur les plateaux, encore et encore ? Qu’on lui donne la seule place, alors que se produit une autre horreur, un génocide, un exode, une Nakba que l’on n’évoque presque pas, ou tout au mieux d’une phrase pour se donner bonne conscience ? 

Devant ces éléments de langage eux-mêmes du gouvernement israélien que l’on finit par employer sur les plateaux et dans les colonnes ? Devant ces journalistes qui déclarent que l’armée israélienne « retrouve des corps » qu’elle a pourtant assassinés elle-même, tandis qu’on a incité avec acharnement à l’étiquette « terroriste » pour le Hamas, qu’on lui a refusé le nom de « combattant » ? Que penser, dès lors ? Que penser de ceux qui demandent sans cesse aux pro-palestiniens de soigner leurs formulations, de ne surtout pas parler de génocide, de Nakba, quand on ne s’encombre pas une seconde de prudence et d’objectivité de l’autre côté ? Quand on ne fait voir l’histoire que par la focale du gouvernement israélien et de ses mots ? 

Devant ces éditorialistes qui jouissent d’une grande audience alors qu’ils sont ouvertement islamophobes ? Devant ces directeurs de rédactions racistes qui soupçonnent leurs journalistes arabes d’être biaisés, orienté envers les Palestiniens ? Quand on sait que le gouvernement israélien a interdit à la presse de se rendre à Gaza ? Que ce dernier, en contrepartie, ne cesse de diffuser un documentaire dans lequel il retrace les exactions du Hamas du 7 octobre à des journalistes ? Quand on sait combien en France, pays traumatisé par le terrorisme et les attentats, ce discours peut être convaincant contrairement à celui de l’occupation sur notre sol, du blocus, de la famine, qu’on ne connaît plus depuis longtemps. 

Devant ceux qui croient encore que tout commence là, avec l’attaque du Hamas ? Que ce que nous vivons ne s’inscrit pas dans une Histoire de l’injustice ? Devant ceux qui, comme au gouvernement français, condamnent à tout vent les actions du Hamas et engagent le gouvernement d’Israël à user de tous les moyens possibles pour rétablir l’ordre ? Devant ceux qui, se vantant de défendre les droits de l’homme, cautionnent un gouvernement, avec un territoire, une population, une législation à employer comme il l’a toujours fait une pratique barbare ? Barbare en effet, cette loi du talion gonflée qui consiste à fonder une politique, en 2023, sur l’idée de vengeance, sur l’idée inhumaine qu’en tuant, en tuant toujours plus, de civils (car Netanyahou sait que c’est inévitable au moment même où il annonce vouloir « écraser » le Hamas), d’hommes, de femmes, d’enfants on rendra justice à ceux qu’on a perdus ? 

Devant ceux qui se targuent de défendre la vie humaine en légitimant ces meurtres ? Si c’était la vie humaine que l’on voulait protéger alors il n’y aurait que cela à faire. Il n’y aurait qu’à désapprouver le Hamas, la politique de Netanyahou, à laisser les gens manifester pour pleurer leurs morts d’où qu’ils viennent, à afficher le drapeau de tous les pays qui perdent des vies. C’est cela, penser à la vie humaine, rien d’autre.

Devant ceux qui, si nombreux, n’ont pas pris une minute, une seconde, pour pleurer ? Pour pleurer seulement ? Pour pleurer la mort de ces Palestiniens et de ces Israéliens, de ces femmes, de ces enfants avec leurs joues roses et leurs grands yeux ? La mort de ces enfants qui ne savent rien, eux, qui n’ont rien fait et que nous n’avons pas même la décence de regretter, de regretter seulement. Sans les instrumentaliser pour trouver des solutions dont ils se fichent. Car ils ne seront pas là, ils ne seront jamais là, eux, pour voir les solutions. 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.