« Le voile apparaît à tort ou à raison comme discriminatoire à l’égard des musulmans ». Que le sociologue Alain Policar ait été renvoyé pour ces propos du conseil des sages de la laïcité par Nicole Belloubet il y a deux semaines est l’indice supplémentaire d’un malaise tout à fait français.
Le problème de la loi de 2004 sur les signes religieux dans l’éducation publique, disons-le d’emblée, ne vient pas des vêtements, mais de l’interdiction ou non de les porter. Depuis les attentats de 2015, son application s’est affermie à l’endroit des musulmans. Voile, burqa, tout y passe.
L’article L. 141-5-1 selon lequel « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit », dont l’ambiguïté est intentionnelle, donne le champ libre à un racisme légalisé et pourtant illégal. Il s’agit d’interdire les signes religieux certes, mais aussi les signes dont le caractère religieux est « ostentatoire », ce qui implique une intention de faire religieux.
Nul besoin qu’une tenue soit religieuse pour exclure, il suffit que n’importe quelle tenue soit portée, estime-t-on à la louche, dans un but religieux. Un soupçon suffit, et non une preuve, car comment prouver que quelqu’un qui ne dit rien porte en effet son vêtement dans une intention ou une autre ?
Adieu la présomption d’innocence, adieu les faits, bonjour la suspicion. Autant dire qu’avec celle qui pèse sur les musulmans en ce moment, les interpellations racistes continueront de pleuvoir.
La difficulté provient de ce que l’établissement de cette loi de 2004, lui, n’a rien d’ambigu. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le but n’est pas d’interdire les vêtements religieux. Quel vêtement peut être scrupuleusement religieux, au juste ?
Il n’y a évidemment ni voile, ni burqa, ni burkini dans le Coran. L’idée est davantage de surveiller. De sonder quels musulmans pratiquent leur religion et comment, afin de repérer ce que l’on voit comme une menace.
Être « ostentatoire », en d’autres mots, c’est être à surveiller. Être fiché « O » pourrait-on dire. Comme si le terrorisme gagnait là, entre les plis des tissus, comme si ce n’était pas l’abandon d’enfants par l’État français qui nourrissait leur radicalité.
Difficile de ne pas voir ici une façon bien commode pour le gouvernement de s’attaquer aux musulmans et de s’attirer les voix de l’extrême droite.
Quoi de neuf ? répondra-t-on. La discrimination envers les musulmans ne date pas d’hier.
Il suffit de penser au « nettoyer au Kärcher la cité » de Sarkozy, au « bruit et l’odeur » de Chirac, à l’abandon des cités à la ghettoïsation par l’État français, aux ratonnades, au décès de la petite Malika Yezid, huit ans, après avoir été frappée par des gendarmes pendant un interrogatoire à la suite duquel on déclara, dans un rapport, qu’elle était en réalité morte « de peur », puis « suite à une gifle donnée par son père », aux Algériens jetés à la Seine, à la guerre du Rif, au bombardement de Casablanca, à la prise de Sfax, à celle d’Alger, à la traduction des Mille et une nuits par Galland et ses clichés et préjugés, aux « arabes, peuple brigand » dans L’esprit des lois de Montesquieu, à l’Arabe « avare, cruel, tyran » de Furetière dans son Dictionnaire, aux trois-cent-mille musulmans expulsés par l’Inquisition, à leur conversion forcée au Christianisme, au « vil peuple », à « l’amas de paille », aux « excréments de la race humaine » que sont les Sarrasins pour l’historien Nogent dans sa chronique de la première croisade. Entre autres.
De neuf, existe aujourd’hui en revanche une division du travail autour de cette surveillance des musulmans dans l’espace publique. L’école en particulier prend l’allure d’une prison tout droit inspirée du panoptique de Bentham, ainsi que l’affaire d’Alain Policar, celle de la cité scolaire Maurice Ravel et tant d’autres le montrent.
On y trouve un peu partout des gardiens, des surveillants. Des proviseurs, un jour peut-être des professeurs, des élèves qui sait, que l’on oblige à rechercher sans formation aucune ce que l’on voit comme des signes de terrorisme à venir, à patrouiller dans les couloirs en quête de radicalisation chez les élèves.
Nul ne conteste que la radicalisation existe à l’école, seulement est-ce là une solution pour la vaincre ?
Peut-on réellement venir à bout du terrorisme ainsi, en le réduisant à des vêtements portés ou non par des adolescents ? Le souhaite-t-on, surtout ?
Veut-on surveiller le corps de nos jeunes, de nos jeunes femmes en particulier, qui trop couvertes par un voile ou trop visibles à cause d’un crop-top, sont toujours les victimes de cet étroit chemin entre pudeur et exhibition que le patriarcat édicte ?
Ne serait-il pas plus humain (et plus efficace) de prendre le problème de la radicalisation à sa source ?
De vaincre le terrorisme à sa racine : celle du rejet socio-économique ?
De baisser les loyers en ville, de donner du travail, de condamner publiquement et politiquement comme aucun président français ne l’a fait les soupçons, les amalgames entre musulmans et terroristes, de rendre le pays aimable pour tous en un mot ?