Le mérite est omniprésent, quand nous grandissons, à l’école, au travail, dans la bouche des membres de nos familles, de nos voisins, de nos collègues, et des politiciens. Ce mot très simple nous rappelle que le monde est bien fait, et que les justes, les méritants, sont naturellement récompensés par le système.
Bien entendu nous n’avons pas toujours été dans une méritocratie, puisque c’est notre système actuel qui est sensé en être l’incarnation la plus pertinente. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Les méritocraties précédentes étaient mal construites, et avaient plus tendance à conforter le pouvoir d’un individu ou d’un groupe, au détriment des autres.
Loin de moi l’envie de remettre en question notre société idéale, mais… Et si notre méritocratie actuelle était encore imparfaite ? Pire, et si le mérite n’existait pas ?
Depuis l’enfance nous sommes évalués au mérite. De la punition à la récompense, au bon point et la mauvaise note, du diplôme à la bourse.
Tellement immergés dans ce système de valeur qu’il nous arrive rarement de le remettre en question, il faudrait pour cela qu’il existe une bonne raison de le faire. N’est il pas évident pour tout à chacun d’évaluer le mérite de son voisin, de son patron, de sa progéniture ?
Et pourtant lorsque l’on demande de définir ce concept, cela n’est plus si simple. Le mérite est pourtant invoqué tel une formule magique pour expliquer tant de manifestations étranges autour de nous. Cet homme possède des milliers de milliards ? Il les a mérités, il a travaillé dur, il a eu de bonnes idées, il fait avancer le monde.
Cet homme a eu la main arrachée par une grenade dans une manifestation ? Ce n’était pas très malin de ramasser ça, et puis pourquoi était il dans cette manifestation ? Il a sûrement mérité sa punition, en tout cas il porte pleinement en lui l’erreur qui a causé son traumatisme.
Cet homme a caché de grandes quantités d’argent au Fisc, il a été assez malin pour fraudé efficacement. S’il est suffisamment malin pour tricher, c’est qu’il mérite voyons.
Cette personne a été attrapée en train de voler dans un magasin, elle mérite une punition, elle mérite la prison, quelque soit la situation qui l’a mis à ce moment T à cet endroit, elle n’a que ce qu’elle mérite.
Le mérite semble tomber tout droit du ciel pour tantôt confirmer que notre monde est juste et légitime, tantôt pour punir ceux qui, aux yeux de ceux qui portent ce jugement bien sur, déméritent. Il n’est donc pas surprenant d’apprendre que le mérite nous vient de la religion. Premier organe porteur de morale et d’organisation sociétale à grande échelle.
« Propriété intrinsèque de l’acte humain bon, en tant qu'il a rapport à autrui, à la communauté humaine et à Dieu, et qui est susceptible d'appeler sur l'homme la miséricorde divine ». CNRTL
Le mérite découlerait donc de l’acte qui donne, qui fait preuve de bonté envers les autres et sa communauté, et permets d’attirer vers lui des faveurs divines, en expliquant les évènements positifs qui entourent les méritants. Très pratique, certifiant par la volonté divine que ceux qui possèdent ont mérités, et de façon réciproque, qu’une présence maléfique apporte le démérite chez les personnes touchées par la maladie ou la malchance. On notera tout de même qu’il ne s’agit pas uniquement d’un état de fait qui scande que le monde est parfaitement constitué et que la chance sourit aux bons comme aux mauvais. La morale ainsi que le bien qui en découle stipulent clairement que ce mérite émane d’un acte bon, dirigé de soi vers l’autre. Une position morale qui prends tout son sens dans l’organisation de la société, mais du coup une notion totalement absente du raisonnement cité plus haut, où celui qui profite du système et qui en trichant deviendrait méritant. Tant est, bien sur, qu’il partage avec ceux qui le jugent, de quoi les soustraire à une culpabilité personnelle, ou qui dans la même situation, auraient tout simplement fait de même.
Mais ce mérite, qui revient violemment comme un bilboquet pour nous rappeler que le monde fait unité et sens, à tout de même élargit sa définition depuis le couronnement de l’abandon de la religion et de la morale, et du sacre du libéralisme économique.
« Valeur morale procédant de l'effort de quelqu'un qui surmonte des difficultés par sens du devoir et par aspiration au bien ». CNRTL
Le mérite ne découle plus du résultat positif, mais de la capacité à l’effort, à l’abnégation, au sacrifice de l’individu, effectué pour tendre vers le bon. La notion morale survit, puisque l’acte doit, à défaut d’avoir apporter du bien, tenter de s’en approcher. La gymnastique particulière de l’exercice que fait le mérite en se courbant, c’est de ne plus lier directement le mérite, et toutes les récompenses qui le suivent, au fait d’avoir produit du bien pour la société et son prochain. Ainsi si quelqu’un possède bien plus que les autres, il n’est pas nécessaire de voire de façon évidente un bienfait lié à ses actions, mais simplement de suggérer que les difficultés surmontées, les efforts produits, légitiment tout simplement la situation de ce méritant.
La morale n’étant tout de même pas détachée de ce mérite, il reste toujours incongru de le remuer comme un étendard pour légitimer le comportements de ceux qui trichent, qui volent, et qui par stricte opposition au bien commun, empêchent de potentiels « méritants » d’être récompensés.
De ces deux notions du mérite émergent deux voies, celle du résultat, et celle de l’effort.
Commençons par le mérite au résultat, dans notre société libérale, un acte bon entraîne t’il une récompense pécuniaire ? Pas forcément, si vous aidez les démunis, ceux qui ne possèdent rien, aussi inestimable que soit l’aide que vous leur apportez, ils ne peuvent vous rétribuer puisque par définition, ils ont moins que vous, si tant est qu’ils aient quelque chose tout court. Il est particulièrement compliqué de donner aux autres ce que nous ne possédons pas, pour les pauvres en tout cas. Pourtant la méritocratie n’est elle pas sensée favoriser ceux qui vont dans le sens du bien commun ? Ceux qui donnent de leur personne, ce qui permettent à cette gigantesque colonie de fourmi qu’est notre société d’exister, sont ils rétribués à hauteur de leur importance ?
Être infirmier, éboueur, agriculteur, professeur, caissière, mécanicien, devrait logiquement dans une méritocratie au résultat, au bien commun, être des métiers profondément respectés, et absolument pas des métiers dont les horaires, le salaire, les conditions de travail, ne sont fixées que par l’abondance de la main d’œuvre disponible pour maximiser le profit du petit nombre. Ou des budgets revus à la baisse pour des raisons économiques qui n’ont que faire du bien commun.
Réciproquement, quels sont les métiers qui rétribuent le plus ? Qui sont le plus mis en avant et qui crée du désir de vocation ? Ce qui touche à la publicité, aux finances, qui se greffent sur des systèmes de concentration d’argent dépassant toute lucidité, et qui n’apportent un gain qu’à la minorité qui possèdent déjà plus qu’eux et qui leurs permettent, seulement sous cette condition de gain personnel, d’exister. D’aucun pourrait dire que le mérite est cristallisé dans la somme qui est échangée, cependant poser une attèle ou éduquer nos enfants ne fait pas apparaître de liasse de billet, pas plus que de passer du temps à apprendre la citoyenneté et la remise en question à nos enfants, et pourtant il s’agit bien de gains, d’une valeur beaucoup plus importante qui plus est, puisque il s’agit du futur, du long terme. Pensez vous que ceux qui ne peuvent accéder aux soins dignement produiront dans l’avenir quoique ce soit susceptible d’attirer sur eux ce décidément bien mystérieux mérite ?
Le mérite n’est bien entendu pas qu’une affaire de résultat, puisque les efforts, la sueur, la difficulté, apportent, par des voies aussi impénétrables que les comptes de Claude Guéant, du mérite.
La pénibilité de certains travails devrait forcément être prise en compte dans une méritocratie qui considère cette dimension d’efforts. Il est inimaginable de penser à des techniciennes de surfaces payées au salaire minimum, enfermées dans un métier où elles sont toisées avec mépris et dédain par ceux qui n’ont aucune idée de ce que subissent leurs pauvres vertèbres, toutes aussi pauvres que la coquille qui les entourent, et sur laquelle on ne peut poser les yeux, en pensant réellement que cette société a une quelconque considération pour le bien commun et la dignité. Et pourtant , beaucoup osent continuer à parler de mérite. Certains n’hésiteraient pas à dire qu’il s’agit d’une situation particulière. Quand 25% des plus pauvres meurent avant l’âge de la retraite, meurent ou tout simplement disparaissent, dans la poussière qui entourent leurs professions, ne pouvant exister dans un monde où l’on nit leur souffrance et où leurs aspirations sont annihilées avant même leurs naissances. Faut il rappeler que le principal taux d’échec à l’université vient d’avoir un travail en parallèle ? Ces gens là travaillent pourtant plus, ils fournissent plus d’efforts, ils se battent pour surmonter les difficultés que le mérite des uns à mis sur leurs routes, et la plupart d’entre eux ne surmonteront pas ces obstacles, bien entendu, puisqu’ils ne méritent pas.
Pour que le mérite puisse de façon pertinente chronométrer qui arrive en premier à la fin de la course, il faudrait déjà que nous partions tous du même point. Et si certains naissent prêts à sprinter, d’autres n’entendront jamais parler de cette compétition, tellement les déterminismes qui nous entourent pipent les dès de cette gigantesque partie de jeu de société où la distribution initiale et égale n’a jamais eu lieue. Vous croyez toujours au mérite ? Je suppose que les enfants qui mourront avant d’être adultes ne méritaient rien. Ceux dont le hasard à permis quelque rencontre fortuite, eux, méritent-ils ? Les orphelins et ceux dont les parents sont les premiers obstacles à franchir pour sortir de la pauvreté, des addictions, de la dépression… Tant de troubles et de souffrances issues de prédispositions génétiques, tant de gens que le mérite condamnent à ne pouvoir être aider, ou à se culpabiliser d’échecs dont ils ne portent pas plus la responsabilité que ne méritent ceux qui s’enorgueillissent de leurs héritages. La science et les découvertes sur la dopamine font voler en éclat toute croyance sur l’effort, les prédispositions au trouble de l’attention (TDAH) qui montrent que l’incapacité à agir dans une situation n’est pas corrélée au démérite de la fainéantise mais simplement à un taux de dopamine à un instant particulier, et qu’en altérant ce taux, n’importe quel personne voit sa notion d’effort elle même être drastiquement modifiée.
Une incohérence particulière réside aussi dans la dualité mérite/récompense. Si l’on prend un peu de recul, les déterminismes qui permettent à certains de vivre voir même de briller dans un domaine qui les passionne est déjà quelque chose de très gratifiant et d’inaccessible pour la majorité d’entre nous. Le concept de rajouter via la récompense à ceux qui s’en sortent ne fait que creuser la fosse aux inégalités, en continuant à facilité la vie de ce ceux qui ont pu s’en sortir, et en poussant au fond de ce gouffre ceux qui ont des difficultés et les besoins qui les accompagnent. Bloquant l’accès à ce qui leur permettraient ne serait-ce que de tendre un minimum vers ce que possèdent déjà les chanceux qui peuvent s’épanouir.
Qui a le plus besoin de biens matériels entre l’homme le plus rapide du monde et celui qui ne peut se déplacer sans fauteuil roulant ? Les handicaps qui par définitions nécessitent une prise en charge supplémentaire, se retrouvent naturellement privés de prise en charge par une distribution qui du coup, semble considérer que des résultats devraient être présent pour légitimer l’accès à ces biens fondamentaux. Hors comme la capacité de donner le meilleur de soit même ne peut se manifester qu’en ayant réussi à dépasser ses propres difficultés, le système se retrouve dans une incohérence morbide, à exiger de ceux qui ne peuvent marcher de sauter hauts pour avoir le droit à des béquilles. Les aides sociales le montrent bien, les personnes les plus démunies, les plus handicapées, doivent affronter un parcours du combattant pour faire reconnaître leurs droits. Le système exclue donc ce qui ont le plus besoin de cet aide, à partir du moment où il attends de ces mêmes personnes qu’elle soient capable de surmonter leurs problèmes, ce qu’elles ne peuvent faire par définition. Notre système demande basiquement à des muets de crier plus fort. Des muets ou des gens assourdis par le vacarme d’une pression mortifère qui les convainc qu’ils sont eux même porteur de la culpabilité des injustices qui les empêchent d’exister.
Alors certains se poseront la question avec beaucoup d’effroi : Oui mais sans mérite ? Comment organisons nous la société ? D’où viendra le progrès et l’effort ? Je leur répondrais que l’humanité n’a pas attendu le mérite pour s’améliorer ni pour aider son prochain, que les passions résident dans un très grand nombres d’individus et qu’à notre époque le mérite freine bien plus le progrès qu’il ne le permets. Quant à la dimensions de l’effort, je citerais Charles Dudley Warner, « Une des grandes récompenses de la vie c’est que l’on ne peut pas aider sincèrement quelqu’un d’autre sans s’aider soit même ». Une société qui prendrait conscience réellement de l’impact positif réel que l’on peut tous avoir, et non pas de l’abrutissement court-termiste qui nous aliène actuellement, pourrait enfin se targuer de progresser en direction de la justice, de l’épanouissement, et du bien commun.
Alors méritez vous ? Méritez vous cette maison que vous avez hérité ? Quelle influence avez vous eu sur la sueur de vos grands-parents ? Le mérite sert surtout à protéger un système et ceux qui se sont accaparés la majorité de ce qui appartient à nous tous si ce n’est à personne. Tout ce qui se passe autour de nous est causes et conséquences, les transformations sont perpétuelles, et être acteur de votre vie ne fait pas de vous la personne qui en écrit le scénario, pour certains, les rideaux ne se lèveront jamais, pour d’autres, leur tragédie sera telle qu’ils souhaiteront qu’ils soient baissés pour toujours. D’autres naissent sous les projecteurs, tandis que certains ne connaîtront jamais l’électricité. Avez vous choisi de naître ? Votre patrimoine ? Votre famille ? Votre ADN ? Non ? Alors vous ne méritez rien, pas plus que moi, pas plus que n’importe qui. La question n’est pas de savoir qui est le plus méritant, mais de trouver comment avancer dans un sens où nous permettons à un nombre toujours croissant de devenir la meilleurs version d’eux même.