Soyons clairs : le Maroc ne souffre pas foncièrement d’un manque de réformes électorales, mais d’un manque de citoyens dans les urnes. Tout le reste n’est que cosmétique. Sans électeurs, il n’y a pas de légitimité, pas de débat, pas de démocratie vivante. Nous tournons en rond dans un cercle vicieux où l’apathie nourrit la défiance, et la défiance nourrit l’abstention.
Nos jeunes, conquis par l’ère numérique, partisans de l’abstention électorale, symbolisés par le mouvement GenZ 212, en plein droit de manifester librement doivent dépasser la rue comme espace d’expression et s’impliquer activement dans le processus démocratique en votant comme il se doit. Doivent même prendre d’assaut les partis politiques, les syndicats et la société civile afin de faire de leurs aspirations légitimes plus qu’un vœu pieux mais une lutte permanente pour une réalité dont ils seront les maîtres inspirateurs.
Alors pourquoi ne pas provoquer un électrochoc ? Pourquoi ne pas faire du vote un événement attendu, désiré, incontournable ? Une loterie électorale pourrait bien être le levier qui bouleversera enfin les habitudes.
Imaginez : chaque électeur qui participe au vote se voit offrir une chance de gagner un appartement, une voiture, un téléviseur, un réfrigérateur, un ordinateur portable, une tablette ou un smartphone... Pas une utopie: un budget de 200 millions de dirhams suffirait. Moins que certains caprices budgétaires qui passent inaperçus. Moins, surtout, qu’une fraction des sommes englouties dans la rénovation d’un seul stade.
Mais faut-il rappeler que les non-conformités, la corruption et les errements structurels minent notre développement depuis l’indépendance ? Leur traitement exige des réformes profondes, à court, moyen et long terme, nul ne le conteste.
Évitons tout de même de travestir le débat en amalgamant ces maux avec l’organisation d’événements sportifs d’envergure ou selon le taux de remplissage des mosquées, une manipulation grossière. Car ces rendez-vous planétaires sont, partout, des catalyseurs : ils forcent l’accélération des chantiers, imposent de nouvelles normes et projettent le pays sur la scène internationale.
Semer la confusion entre dysfonctionnements structurels et opportunités sportives tout en scrutant le niveau de religiosité de tout un chacun, c’est brouiller volontairement les esprits. Une rhétorique qui flatte les biais des plus sceptiques, mais qui détourne surtout l’opinion publique du véritable enjeu : transformer ces grands événements en leviers de modernisation et s’impliquer collectivement pour la réussite de colossaux chantiers aussi complexes que laborieux.
D’aucuns se confondent en posant une question qui leur paraît simple: une démocratie vivante ne vaut-elle pas une parcelle d’un stade flambant neuf ?
Car ne nous trompons pas : ce qui mine notre système, ce ne sont pas les institutions en elles-mêmes ni les projets structurants et incompris mais la désertification citoyenne. Des urnes vides, c’est le rêve des manipulateurs, des clientélistes, des petits barons locaux qui prospèrent sur l’indifférence générale. En revanche, des urnes pleines, c’est leur cauchemar.
La loterie électorale, doublée le cas échéant du vote électronique pour simplifier la participation, mettrait fin à cette mascarade. Elle ferait tomber les masques. Elle rendrait le peuple à nouveau acteur, et non simple spectateur, d’un jeu politique qui ne peut plus continuer à se jouer sans lui.
Certains crieront au populisme. Mais quel populisme est le plus dangereux ? Offrir des lots pour inciter les citoyens à participer à la vie publique, ou bien laisser pourrir une abstention qui délégitime tout et profite aux pires pratiques ?
Le Maroc a déjà prouvé qu’il pouvait relever les défis les plus fous : mener en un temps record des chantiers gigantesques, hisser son image à l’international, séduire les investisseurs. Il est temps de montrer qu’il peut aussi réussir le plus grand chantier de tous : replacer le citoyen au centre du système politique.
La loterie démocratique n’est pas une lubie. C’est une arme de rupture. Une manière de dire aux abstentionnistes dont les jeunes sont légions : « votre voix a un prix, mais ce prix ne se monnaie pas dans l’ombre des deals électoraux, il se gagne dans la lumière des urnes ».
Voilà le vrai défi : transformer un vote perçu comme inutile en un geste attendu, convoité, valorisé. Et, ce faisant, réduire à néant les manipulations de ceux qui confisquent le jeu politique.
À urnes pleines, pays fort. À urnes vides, démocratie malade. Le choix est là, et il ne manque que le courage de l’assumer.