Espace géographique, historique et anthropologique homogène le Maghreb reste paradoxalement l’une des régions les moins intégrées économiquement dans un monde caractérisé par une intensification et une fluidification croissantes des échanges
Le manque de diversification économique , le déficit de complémentarité industrielle et commerciale ainsi que les tensions entre pays expliquent en partie ce faible niveau d’intégration .
Portant , la région possède des atouts énormes comme d’importantes richesses naturelles( gaz et pétrole en Algérie, phosphates au Maroc et en Tunisie , minerais notamment en terres rares - dont les réserves en Algérie pourraient représenter jusqu'à 20 % des réserves mondiales , etc) , une main d’œuvre jeune et qualifiée, des marchés complémentaires , une production agricole variée , sans oublier les accès à l’Atlantique , à la Méditerranée et aux portes du Sahel .
En dépit de l’existence d’un tel potentiel , la faiblesse constante des échanges entre les trois pays en position centrale ( Algérie , Maroc , Tunisie) en font des pays plus concurrents que complémentaires .
Le commerce intra-maghrébin est largement en deçà de son potentiel, avec des échanges qui n’atteignent que 2–5 %, contre 16–51 % des échanges ailleurs .
A la fin des années 80 , les échanges ne dépassaient guère 3,5 % de leur commerce total .
En 2019 , ils représentaient seulement 5% du total des échanges de la région soit un pourcentage nettement inférieur à celui observé dans tous les autres blocs commerciaux régionaux du monde.
En 2025 , le volume du commerce entre ces pays ne dépasse pas 10 % de la totalité des échanges extérieurs. (1) A l’heure où le reste du continent africain accélère son intégration économique avec la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), le blocage du processus d’intégration de l’Afrique du Nord apparaît d’autant plus singulier et coûteux.
Le Maghreb est aussi l’unique région en Afrique, peut-être au monde, qui n’a pas de cadres de discussion et n’a pas de position commune vis-à-vis des questions internationales.
L’insignifiance des échanges intra-maghrébins reconduit de manière récurrente le débat sur le coût du non-Maghreb.
Il est estimé à plusieurs milliards de dollars et coûte , à chaque pays , deux précieux points de croissance du PIB .(2)
Selon la Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies , l’existence d’une union maghrébine ferait gagner aux cinq pays l’équivalent de 5% de leurs PIB cumulés . (3)
De son côté, la Banque Mondiale estimait , en 2010 , qu’une intégration poussée aurait pu augmenter le PIB réel par habitant sur une dizaine d’années ( 2005 - 2015 ) entre 24% et 34% : de 34 % pour l’Algérie, de 27 % pour le Maroc et de 24 % pour la Tunisie .
Ce très faible niveau d’intégration prend la forme d ‘ un coût direct et d ‘ un coût relatif .
Un coût direct qui est réparti sur différents secteurs économiques ( santé , éducation, énergie , agroalimentaire, transports ,infrastructure, culture , etc ) .
La rivalité entre l’Algérie et le Maroc est devenue un équilibre de pertes : coûts de transaction élevés, opportunités sacrifiées(énergie , eau, industrie, mobilité), exposition accrue aux chocs exogènes ( tensions hydriques et environnementales , volatilité énergétique).
Parmi les multiples opportunités sacrifiées on peut citer une alliance entre l’Office chérifien des phosphates et la Sonatrach, la société pétrolière et gazière algérienne .
Le Maroc détient environ 70% des réserves mondiales de phosphates (4) .
L’ Algérie est le 7e exportateur de gaz naturel au monde et le 16e producteur de pétrole en 2022 , le pays est aussi le deuxième exportateur de gaz en Europe (5) .
Un partenariat énergétique entre la Sonatrach et le groupe industriel marocain pourrait faire du Maghreb la base de production d’engrais à coût le plus compétitif du monde entraînant dans son sillage de nombreuses entreprises de sous - traitance , stimulant les investissements étrangers , les créations d’emplois , etc .
Un autre coût relatif à l’incapacité des cinq États de peser d’un poids commun contre l’asymétrie qui frappe leurs relations commerciales avec des pays ou regroupements régionaux de taille plus grande .
Alors que la plupart des autres régions négocient des accords de coopération de ‘’bloc à bloc ‘’ , les cinq pays membres de l’Union du Maghreb arabe (UMA) négocient individuellement .
Avec l’UE , Il n’existe pas de relation plurilatérale, où l’UMA, par exemple, négocierait au nom de ses membres .
Au contraire, chacun des États négocie de manière individualiste et tient à conserver ses relations directes - engendrant un déséquilibre des forces- avec Bruxelles .
Face à la vague de taxes douanières imposées par le président Trump le Maghreb ,fragmenté , n’a pu serrer les rangs .
Alors que le Maroc et la Mauritanie se sont vu imposer un tarif de base de 10 %, les autres pays ont été soumis à des tarifs douaniers plus élevés : 31 % pour la Libye , 30 % pour l'Algérie et 25% pour la Tunisie .
Depuis leur indépendance , les relations entre Alger et Rabat ont traversé plusieurs crises notamment la guerre des Sables (1963 ) , en raison de différends frontaliers; la guerre du Sahara occidental ( 1975 - 1991 ) ; la rupture des relations diplomatiques à l'initiative du Maroc (1976) ; la fermeture des frontières terrestres algériennes ( 1994 ) et l’ espace aérien à tout appareil immatriculé au Maroc ( 2021 ) ; la rupture des relations diplomatiques à l’initiative , cette fois - ci , de l’Algérie ( 24 août 2021 ) .
Parmi les raisons à cette dernière rupture , il y a la déclaration du représentant marocain à l’ONU sur le soutien au MAK ( groupe séparatiste kabyle ) , la cyber surveillance par les services marocains de personnalités politiques , militaires et médiatiques à l’aide du logiciel israélien Pegasus , la signature de l’accord de normalisation Maroc - Israël ( assorti d’ une importante coopération militaire ) considéré comme un acte hostile contre les intérêts algériens.
Depuis près d’un demi-siècle le conflit du Sahara occidental continue de paralyser de fait toute avancée significative de l’Union du Maghreb arabe (UMA ) créée en 1989 .
Ce territoire toujours « non autonome » aux yeux du droit international et de l’ONU n'a toujours pas trouvé de statut définitif sur le plan juridique depuis le départ des Espagnols, en 1976. Aujourd’hui, il est disputé entre le Royaume du Maroc et les indépendantistes du Front Polisario, soutenus par l’Algérie .
Selon Jamal Benomar , le Maroc gagnerait à intensifier ses efforts pour trouver une solution dans un cadre strictement maghrébin en engageant un dialogue direct avec les indépendantistes Sahraouis ,
La solution pour le Maroc ne réside pas à miser sur la médiation d’acteurs internationaux , de déployer des efforts importants pour obtenir le soutien de pays occidentaux ou africains (ce qui implique souvent des concessions de sa part ) , ou de comptabiliser le nombre de pays soutenant son plan d’autonomie. (6)
Cette politique ouvre plutôt la voie à l’irruption d’ acteurs extérieurs - dont les intérêts sont rarement désintéressés - qui participent à prolonger le conflit qu’à le résoudre véritablement , à exacerber les tensions interétatiques et à renforcer la fragmentation du Maghreb.
Ces tensions entretiennent une situation d’instabilité et d’insécurité, à travers une politique de contrôle des équilibres régionaux sur fond de rivalités géopolitiques avec la Russie et la Chine.
Et conclusion , laisser le blocage de l’intégration maghrébine s’enraciner dans le temps, revient à écarter la région d’ une insertion plus efficiente à l'économie mondiale et d’ un rattrapage économique et technologique digne de ce nom .
1- La Tunisie, plateforme régionale pour la coopération économique maghrébine , 4 mai 2025 , in Tunisie numérique
2- Combien coûte le non-Maghreb ? La vie eco ,22/12/ 2022
3 - Le Monde Afrique : Les tensions entre le Maroc et l’Algérie paralysent les échanges économiques , 7 octobre 2021
4-World population Review , janvier 2024
5- Forum des pays exportateurs de gaz , mai 2024
6- Jamal Benomar : au Maghreb, « il faut mettre un terme à l’escalade verbale et à la surenchère militaire » Mediapart , 31 juillet 2025