Jamel Dean (avatar)

Jamel Dean

Aka Rebeu des bois, spécialiste en racaillerie, flèches verbales et justice sociale, pour vous servir.

Abonné·e de Mediapart

2 Billets

0 Édition

Billet de blog 22 avril 2020

Jamel Dean (avatar)

Jamel Dean

Aka Rebeu des bois, spécialiste en racaillerie, flèches verbales et justice sociale, pour vous servir.

Abonné·e de Mediapart

Nos banlieues ou l’art du contre-pied

"Numéro 10, rien à craindre, je suis destiné à briller ou à m’éteindre". Booba, Numéro 10.

Jamel Dean (avatar)

Jamel Dean

Aka Rebeu des bois, spécialiste en racaillerie, flèches verbales et justice sociale, pour vous servir.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Booba écrivait il y’a seize ans le mythique Numéro 10, le titre faisant évidemment référence au tout aussi mythique Zinedine Zidane, le maître du contre-pied : alors que personne ne l’attendait, sa tête a surgi d’une mer de brésiliens pour faire pleuvoir les honneurs sur la France et, lorsque tous leurs espoirs reposaient sur ses épaules il a brisé le cœur des français en défendant son honneur par un magistral coup de tête dans la poitrine d’un italien. Plus tard, cet homme qui avait toujours été décrit comme bête car mutique est sorti une nouvelle fois de l’ombre, en costume et plus en maillot, pour mener le Real Madrid au sommet du football mondial grâce à un charisme et un génie tactique dont peu d’observateurs avaient soupçonné l’existence. Qui incarne mieux la banlieue que ce génie du crochet et de la passe aveugle, qui avait autrefois son portrait sur le flanc d’un bâtiment marseillais, visible de toute la ville qui l’a vu grandir et, pour les enfants rêvant d’un destin pareil au sien, des rives de son pays d’origine.    

La banlieue, dont on ne parlait que pour citer les chiffres de la délinquance et la violence du rap, est entrée vraiment sur le terrain médiatique en 2005 lorsque ses habitants ont décidé de repousser les défenseurs adverses par les flammes et de montrer rageusement au pays que la délinquance, le trafic et la colère ont leurs raisons. On ne va pas refaire le match, l’arbitre n’a pas sifflé la faute et la France n’a pas transformé le penalty. Beaucoup ont été transférés en prison et le management gouvernemental a fait pleuvoir les billets pour changer la couleur des maillots et rénover la pelouse, puis on est passés à autre chose. Le pays n’était pas prêt pour un football aussi offensif, et s’est emmêlé les jambes après ce contre-pied qu’il n’avait pas vu venir.

Quelques saisons plus tard, les gilets jaunes ont tenté de négocier désespérément le recrutement des banlieusards pour le match contre l’Etat, alléchés par les capacités offensives dont ils avaient fait preuve durant la saison 2005-2006. Seuls quelques jeunes pousses sans maturité et quelques vieux joueurs sortis de leur retraite ont consenti à jouer aux côtés de l’équipe jaune, et le match a été, comme on le sait, perdu sur le score de 25 yeux à 0. Pourtant, beaucoup étaient convaincus que la banlieue avait toute les raisons de participer au match : qu’avait-elle à perdre, ostracisée et paupérisée qu’elle était ? Ils n’avaient pas compris que la banlieue, traumatisée par la défaite de 2005 et le manque de soutien du public, a rangé le maillot bleu au placard.

Puis, au moment même où la Fédération a décidé l’annulation de la saison 2019-2020 pour respecter le confinement et les mesures contre le virus qui frappe le pays et lui fait perdre des millions, voilà que les banlieusards chaussent à nouveau les crampons pour aller tacler l’arbitre ! Tout le monde s’est retrouvé dans le vent : l’Etat, déjà occupé à éviter le carton rouge populaire pour toutes les fautes qu’il a commis, les gentils gilets jaunes qui se sont mis d’accord pour respecter le confinement et les mesures de distanciation, les méchants flics qui s’étaient habitués aux matchs à 10 contre 1 et à mettre des penaltys dans les têtes de ceux qui n’avaient pas leurs attestations et, surtout, les commentateurs de gauche qui ne savent vraiment pas quoi faire de ce joueur indiscipliné qui entre sur le terrain quand il le veut, n’obéit pas aux consignes de jeu et ignore les stratégies périmées d’un vieux football de perdants.

Quel instinct, quelle créativité, quelle liberté dans le jeu ! Ah, décidément, c’est Booba qui l’a dit le mieux: que des numéros 10 dans ma team…

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.