jamesinparis (avatar)

jamesinparis

"Où l'esprit ne déracine plus mais replante et soigne, je nais. Où commence l'enfance du peuple, j'aime." René Char

Abonné·e de Mediapart

114 Billets

0 Édition

Billet de blog 7 avril 2009

jamesinparis (avatar)

jamesinparis

"Où l'esprit ne déracine plus mais replante et soigne, je nais. Où commence l'enfance du peuple, j'aime." René Char

Abonné·e de Mediapart

Un projet narcissique d'utilité publique

On trouve de tout sur un Blog, et Mediapart n'échappe pas à cette règle. Dernièrement, entre hésitation et renoncement, j'y ai posté un poème : un poème d'amour, écrit il y a quelques années. - Pourquoi ?

jamesinparis (avatar)

jamesinparis

"Où l'esprit ne déracine plus mais replante et soigne, je nais. Où commence l'enfance du peuple, j'aime." René Char

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

On trouve de tout sur un Blog, et Mediapart n'échappe pas à cette règle. Dernièrement, entre hésitation et renoncement, j'y ai posté un poème : un poème d'amour, écrit il y a quelques années. - Pourquoi ?

Hier soir, j'ai assisté à un conférence-débat sur la politique d'immigration du gouvernement actuel, et à un moment au beau milieu des débats, l'idée m'est venue que "poster un poème sur son blog, c'est un peu comme demander le micro au cours d'un débat et, à la grande surprise de tous, de chanter une chanson au lieu d'y participer". - J'avais appris l'existence de l'événement, débat fort intéressant et nécessaire, grace à un autre blog, au hasard de ma lecture de Mediapart. Et je me demandais si j'aurais le courage de restituer l'essentiel du débat sur mon blog un soir de la semaine...

La question du pourquoi du poème participe aussi à la question : pourquoi un blog ? Mon premier billet s'intitulait "A reculons...", et au delà de la référence livresque et politique, il exprimait ces doutes de départ. Sans vraiment me trouver une réponse satisfaisante, je me jettais à l'eau, imaginant trouffer mon "Blog" de temps à autres de petits riens et de perles, de manière qu'il soit utile, et qu'il finisse par me ressembler. Un sorte de projet narcissique d'utilité publique, le reflet d'un vécu par lequel les événements et les sujets que j'aborde prendraient une couleur et une consonnance particulières.

La réalité est peut-être toujours autre : faute de temps, son blog devient vite décousu, un chalutier balloté par des événements et des vents abruptes, percé d'absences... très loin en tout cas du "reflet" initialement espéré - jusqu'à ne plus trop ressembler à son "auteur".

Déconstruire le discours néo-libérale d'une politique néfaste est bien plus utile que ce retour intime, mais peut-être suis-je simplement humain, et après une journée de travail, je réserve la force qui me reste pour parler d'autre chose, et pour répondre à un besoin autre. Le "pourquoi un poème ?" au départ de ce billet.

En réalité, c'est une question qui me tracasse depuis quelques jours déjà. Ce matin dans le métro, je lisais un essai Le printemps de Milan Kundera paru dans le Monde Diplomatique du mois d'avril, où l'auteur Guy Scarpetta intérroge cet "art... qui ne vise pas à illustrer des certitudes préétablies... mais à déstabiliser nos pensées et nos représentations admises", et où il cite Kundera : "Je déteste ceux qui veulent trouver dans une oeuvre d'art une attitude (politique, philosophique, religieuse) au lieu d'y chercher une intention de connaître, de comprendre, de saisir tel ou tel aspect de la réalité." Sans comparer un blog à un roman, peut-être la fonction d'un blog est aussi de "Dire ce que seul un [blog] peut dire" ? De participer autrement aux échanges autrefois journalistiques et professionnels, par la magie du web. Sans spécialité particulière, mes billets tombent, comme beaucoup d'autres, dans ce domaine par essence flou du projet narcissique d'utilité publique, où aux idées est proposé l'accroche du réel, d'un vécu. Avec tout le bien et le mal que cela saurait comporter.

Souvent, devant le spectacle perpetuel des "nouvelles", proliferation que Kundera nomme à sa façon imagologie, on ressent le besoin réel de quelque chose qui nous permettrait de nous situer, de s'offrir un chez soi, à l'abri de sa cacophonie. Que le recit du monde nous attend et nous écoute. Devant la brutalité d'un mot, d'une attitude, d'un événement qui peut nous sécouer intérieurement, on ressent le besoin légitime de prendre du recul. Parfois, un billet de blog peut incarner l'acte de prendre ce temps. De dire "Attends". D'accuser le choc. De respirer, tout simplement.

Il y a des moments devant les événements du monde quand, secoué par son spectacle sans fin, je me sens soutenu par un moment ou par un aspect particulier d'une oeuvre : une phrase d'écrivain, la fin de Cosi fan tutti, le jeune Gould jouant un peu vite les variations Goldberg à Salzburg, un vers d'un poème de Rimbaud ou de Rilke, le scène d'un film ( Les Ailes du désir de Wim Wenders, par exemple, où l'ange aimerait pouvoir se noircir les doigts en lisant un journal, étirer ses jambes sous une table, sentir une main sur sa nuque, se délecter de la fatigue d'une fin de journée, bousculer et se faire bousculer : devenir humain, en somme) : mon mémoire n'y trouve pas tant un abris - Rilke nous rappelle avec raison et poésie que l'homme est essentiellement sans abri - mais un tempo, un temps accordé, une présence, une source de courage : de quoi ne pas être balloté sans fin par le spectacle d'un monde qui ne souci guère de moi ni du moi - des moi que nous sommes. A la place du spectateur impuissant du spectacle du monde, se trouve un être vivant.

Peut-être ce geste, de premier abord maladroit et déplacé, que représente le fait de poster un poème inédit sur son blog sur un journal qui se veut progressiste, s'apparente à un besoin similaire, non pas en s'enfuyant dans un coin de son esprit, mais en s'exposant tout simplement, quitte à ce que celà ressemble à une maladresse - un peu comme de "prendre le micro lors d'un débat" pour chanter une chanson qui n'a rien à voir. Est-ce le besoin d'exister ? de dire "je suis" devant une communauté de semblabes ? Est-ce si vain ? L'écrivain et l'interprète, écrivent-ils ou jouent-ils pour "exister" ? N'y a-til pas quelque chose de plus ?

Ce qui me frappe dans les tourments qui secouent la France aujourd'hui, c'est le manque d'amour. Plus que telle ou telle politique, un mépris de la chose publique, un refus d'écoute. Peut-être le simple fait d'exprimer sa fatigue est une manière de revendiquer autre chose, de dire sa nécessité et son importance ? Un blog peut avoir au moins ce mérite. Comme un moment de silence au milieu du débat sans fin, qui serait un silence qui chante.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.