Syrie et Libye : des logiciels espions made in France
Les entreprises Qosmos et Amesys sont soupçonnées d’avoir fourni du matériel d’espionnage aux deux dictatures. Un ex-salarié témoigne.
Élisabeth Fleury | Publié le 18 juin 2013, 07h00

Charenton (Val-de-Marne), hier. James Dunne a dirigé la documentation technique de Qosmos. Lorsque la presse a affirmé que les programmes sur lesquels il a travaillé auraient été fournis à la Libye et à la Syrie, c’est lui qui le premier a tiré la sonnette d’alarme. (LP/Philippe Lavieille.)
Il y a quinze jours, Edouard Snowden, ancien membre de la NSA (Agence nationale de sécurité américaine), divulguait l’existence d’un programme de surveillance numérique mondial, Prism, géré par les Etats-Unis. Hier, sur la base de documents subtilisés par Snowden, le « Guardian » révélait que la Grande-Bretagne, en 2009, avait espionné tous ses invités du G8. Aujourd’hui, dans nos colonnes, c’est au tour d’un ancien salarié de la société française Qosmos de jeter un pavé dans la mare. James Dunne raconte comment, durant des années, il a travaillé sans le savoir à des systèmes destinés à permettre à deux dictatures sanglantes d’espionner massivement leurs populations.
Deux enquêtes pour « complicité de torture »
Le programme Eagle, vendu jusqu’en juillet 2008 à la société française Amesys, était destiné à la Libye de Kadhafi. Le projet Asfador, fourni à la société allemande Utimaco à partir de début 2010, avait pour client la Syrie de Bachar al-Assad. Dans les deux cas, il s’agissait de passer au crible l’ensemble des informations circulant sur le Web de ces pays avec, pour objectif, la traque des opposants. Il aura fallu le Printemps arabe et la pression des médias pour que Qosmos mette fin au programme Asfador. Ses relations avec la société Amesys étaient alors rompues depuis deux ans.
Saisie par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), la justice a ouvert deux enquêtes pour « complicité de torture ». L’une, portée par deux juges d’instruction, cible la société Amesys et ses activités en Libye : les 25 et 27 juin, les magistrats entendront des opposants à Kadhafi, arrêtés et torturés sur la base d’informations recueillies par les services de sécurité intérieure, sur les réseaux numériques. L’autre procédure, menée par le parquet de Paris, vise Qosmos et ses activités syriennes.
James Dunne, licencié pour « faute lourde » fin 2012, est défendu par Me Claude Katz. Qosmos a porté plainte pour « dénonciation calomnieuse » contre la FIDH. La start-up, dont l’un des principaux clients est le gouvernement français, a reçu 10 M€, fin 2011, de la part du « fonds d’investissement stratégique », dépendant de la Caisse des dépôts.
La journaliste du Parisien, Elisabeth Fleury, a signé un très bon article dans le journal Le Parisien du mardi 18 juin 2013, concernant cette affaire.
Le Parisien, dans un souci d'objectivité et selon les coutumes en vigueur, a permis à Thibaut Bechetoille, et à son avocat Benoît Chabert, de se s'exprimer librement, afin de leur permettre un droit de réponse.
Cependant, il est bien de rappeler aux lecteurs les propos tenus par Thibaut Bechetoille devant les journalistes de l'agence Bloomberg en novembre 2011.
Syria Crackdown Gets Italy Firm’s Aid With U.S.-Europe Spy Gear
By Ben Elgin & Vernon Silver - Nov 4, 2011
Quand Bloomberg News a contacté le CEO de Qosmos, Thibaut Bechetoille, il a dit qu'il allait sortir du projet. " Il n'était pas bien de continuer de soutenir le régime ", il dit. " Le conseil d'administration de l'entreprise a décidé il y a quatre semaines de quitter le projet, et est toujours en train de d'étudier comment se retirer du projet " il dit. " Nos sondes DPI (inspection en profondeur des paquets numériques) sont capables de voir à l'intérieur de n'importe quel email, et de reconstruire tout ce qui se passe sur l'écran d'un utilisateur de l'Internet ", selon le directeur Marketing de Qosmos, Erik Larsson. " Se retirer du projet est compliqué, cependant, à la fois techniquement et contractuellement ", a rajouté Larsson.**
Donc, en novembre 2011, le CEO de Qosmos, déclare à Bloomberg :
" Il n'était pas bien de continuer de soutenir le régime. Le conseil d'administration de l'entreprise a décidé il y a quatre semaines de quitter le projet, et est toujours en train de d'étudier comment se retirer du projet ."
Et le Vice-Président Marketing & Communication d'ajouter :
" Se retirer du projet est compliqué, à la fois techniquement et contractuellement "
C'est à dire, en novembre 2011, le CEO de Qosmos reconnait (selon ses propres termes) "soutenir le régime syrien", qu'il "n'était pas bien", qu'il "allait se rétirer du projet", mais que Qosmos ne savait pas encore comment, et qu'il était "en train d'étudier comment se retirer du projet." Tout en précisant que : "Se retirer du projet est compliqué, à la fois techniquement et contractuellement."
Ce qui n'empêche pas l'avocat de Qosmos, le Maître Benoît Chabert, de déclarer aujourd'hui dans le Parisien : "Il n'y avait aucun matériel ou logiciel Qosmos en Syrie... Il n'y a jamais eu de livraison d'un logiciel finalisé. Ce projet n'a jamais été opérationnel... Le projet Asfador a été arrêté en octobre 2011, sans aucune mise à jour fournie sur ce projet."
Ce qui n'empeche pas non plus à Thibaut Bechetoille de traiter mes propos de "lamentables" et de m'accuser de "vouloir la peau de la société" Qosmos.
Les propos de Thibaut Bechetoille et de l'avocat de Qosmos, Benoît Chabert, sont à la fois diffamatoires à mon encontre et en totale contradiction avec les faits établis et vérifiés. Leurs propos sont aussi en totale contradicition avec les propos tenus par Thibaut Bechetoille en novembre 2011, et publiés par l'agence Bloomberg sur son site le 4 novembre 2011.
Dans un souci de vérité et de respect, je rappelle ici donc les propos tenus par Thibaut Bechetoille, et receuillis par l'Agence Bloomberg en novembre 2011, afin de mettre les pendules à l'heure.
James Dunne
**Texte originel de l'article de l'agence Bloomberg du 4 novembre 2011 : [When Bloomberg News contacted Qosmos, CEO Thibaut Bechetoille said he would pull out of the project. “It was not right to keep supporting this regime,” he says. The company’s board decided about four weeks ago to exit and is still figuring out how to unwind its involvement, he says. The company’s deep- packet inspection probes can peer into e-mail and reconstruct everything that happens on an Internet user’s screen, says Qosmos’s head of marketing, Erik Larsson.
“The mechanics of pulling out of this, technically and contractually, are complicated,” Larsson says.]