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Dans le numéro 54 du Figaro Magazine, Judith Waintraub s’appuie sur une note récente de l’Observatoire de l’Immigration et de la Démographie (OID), intitulée « L’immigration étudiante entre réussites personnelles et échec collectif » (2025), pour publier un article où elle s’emploie à critiquer la stratégie « Bienvenue en France », en ciblant principalement les étudiants africains, qu’elle réduit au trope stigmatisant des « faux étudiants ». Il convient de rappeler que l’OID, proche de l’extrême droite, a été critiqué par des économistes pour ses estimations contestables et pour ses interprétations fallacieuses des données sur l’immigration en France. Dans les six arguments qui suivent, nous déconstruisons les impasses et les approximations de cette journaliste.
Basculement « étudiant » : une polémique artificielle
Il est exact que depuis 2022, les études sont devenues le premier motif d’octroi de titres de séjour en France (32% pour raison d’études et 26,4% pour des raisons familiales, chiffres du ministère de l’intérieur, 2025). Mais il faut rappeler qu’auparavant, jusqu’en 2021 et les années précédentes, la principale raison relevait du regroupement familial. Comment expliquer ce basculement ? Il traduit avant tout une stratégie de la France visant à rattraper son retard par rapport aux pays les plus attractifs pour les étudiants internationaux. En effet, il y a une dizaine d’années, la France occupait la 4ème place mondiale des pays d’accueil, alors qu’elle se situe aujourd’hui en 7ème position (Campus France, Chiffres clés 2025). Cette tendance au recul est antérieure à la crise du COVID-19, laquelle n’a fait qu’accentuer un mouvement déjà perceptible depuis plusieurs années. La stratégie « Bienvenue en France », avec sa mesure discriminatoire de sélection par l’argent, a été mise en place, justement, pour attirer davantage d’étudiants internationaux et renforcer le rayonnement de l’enseignement français à l’étranger.
Ce que Judith Waintraub ne mentionne pas, en revanche, c’est la question du renouvellement des titres de séjour. Là, la tendance est tout autre : le principal motif de renouvellement relève des raisons familiales (36 %), contre seulement 16,7 % pour les étudiants. Où sont donc passés les autres ? Une partie a surement changé de statut et obtenu un titre de séjour « salarié ». Le rapport de l’OID le précise d’ailleurs (information que Judith Waintraub passe sous silence) : « 55 % de ceux qui possèdent encore un titre de séjour l’ont pour un motif économique ». Et pour changer de statut « d’étudiant » à « salarié », une démarche administrative coûteuse et à l’issue incertaine, les diplômés étrangers en France doivent occuper un poste en adéquation avec la formation suivie, que l’offre ait été publiée pendant au moins deux mois sans candidat français, et que l’entreprise s’acquitte de la taxe selon le type de contrat. Beaucoup d’autres quittent la France, soit pour rentrer dans leur pays d’origine, soit pour poursuivre leur parcours ailleurs, découragés entre autres par la lourdeur des démarches administratives, notamment devant les préfectures et à travers la plateforme ANEF, dont les dysfonctionnements sont bien connus.
Effet d’optique
Judith Waintraub met en avant le chiffre de 110 663 nouveaux titres de séjour étudiant, présenté comme une augmentation de 70 % en dix ans. Mais le véritable indicateur à examiner est ailleurs : c’est la proportion d’étudiant.es étranger.es dans l’ensemble de la population étudiante française, qui, elle, n’a jamais dépassé 12 à 14 %. En d’autres termes, le nombre absolu d’étudiantes et étudiants internationaux a certes progressé, mais la population étudiante globale a, elle aussi, augmenté dans les mêmes proportions. Résultat : la part des étudiant.es étranger.es dans l’enseignement supérieur français demeure globalement stable. Mettre en avant uniquement des pourcentages spectaculaires sans rappeler ce contexte revient à manipuler les chiffres, et ce procédé, nous le connaissons bien. Il permet de fabriquer artificiellement l’image d’un « afflux » massif d’étudiants étrangers, alors même que leur présence reste structurellement minoritaire et relativement constante. Ce type de présentation tronquée alimente un discours anxiogène et contribue à orienter le débat public vers des perceptions erronées, plutôt que vers une analyse rigoureuse des dynamiques réelles de l’enseignement supérieur.
Étudiantes et Étudiants internationaux en France : une contribution décisive
En présentant l’étude de l’OID, Judith Waintraub la décrit comme « une étude d’une précision inédite ! », tout en soulignant que le continent africain est le premier pourvoyeur d’étudiants étrangers en France. Mais est-ce vraiment une surprise ? C’est au contraire une conséquence logique de plusieurs facteurs : l’histoire coloniale, le rôle central de la francophonie, et les réformes universitaires, en particulier le système LMD (Licence, Master, Doctorat), largement diffusées en Afrique du Nord et de l’Ouest sous l’impulsion française. Pourquoi accueille-t-on alors autant d’étudiants marocains, algériens et, plus largement, africains ? Pour répondre à cette question, il faut regarder de près le type de formations dans lesquelles ils s’inscrivent et la place qu’ils y occupent (Campus France, Chiffres clés 2025). Nous savons, nous universitaires, contrairement à ce que certains discours médiatiques laissent entendre, que de nombreux cursus, notamment en informatique, en sciences de l’ingénieur, en mathématiques appliquées, mais aussi dans plusieurs domaines des sciences humaines et sociales, sont très largement fréquentés par des étudiantes et étudiants internationaux. Il ne s’agit pas de filières marginales : ce sont des disciplines essentielles pour la formation, la recherche et le marché du travail, et dont la pérennité dépend directement de la présence d’un vivier diversifié d’étudiant.es. Nombre de collègues, responsables de formations en Licence et en Master, peuvent d’ailleurs attester que sans la contribution de ces étudiant.es, plusieurs filières seraient tout simplement menacées de fermeture.
Par ailleurs, il est essentiel de rappeler un autre aspect trop souvent passé sous silence : la place déterminante des doctorantes et des doctorants internationaux en France. Ces derniers représentent presque 40% des effectifs inscrits en thèse. Leur rôle est décisif : ils participent activement à la production scientifique, publient dans des revues internationales, assurent des charges d’enseignement et contribuent de manière directe et concrète au rayonnement académique et scientifique de la France. Et cela, il faut le souligner, malgré la précarité de leurs titres de séjour qui fragilise à la fois leur parcours et la continuité de leurs recherches.
Migrations pour études : au-delà des idées reçues
Il est complètement aberrant de réduire les mobilités étudiantes en France à de simples motifs politiques et économique, comme si cela suffisait à expliquer un phénomène aussi complexe. Il faut rappeler, avant tout, que les mobilités pour études sont des mobilités hautement sélectives, sur les plans économique et social. Elles supposent des ressources financières importantes, mais aussi des ressources scolaires (de bons résultats), sociales et culturelles. Savez-vous par exemple combien un.e étudiant.e international.e doit déjà débourser avant même de mettre les pieds en France ? Frais de dossier et démarches via la plateforme Études en France, test de langue française, services de TLS-Contact… Ces dépenses initiales représentent un coût considérable pour des familles souvent déjà fragiles financièrement. C’est pourquoi les mobilités étudiantes doivent être comprises comme des projets à la fois individuels et collectifs. Individuels, parce que les étudiants partent pour accéder à des formations peu développées ou inexistantes dans leur pays, pour construire un parcours académique et professionnel qui corresponde à leurs aspirations. Collectifs, parce que les familles, parfois même un village entier, investissent temps, argent et espoir dans cette démarche, avec la perspective d’une mobilité sociale ascendante. Mais il faut aussi dire que cet investissement peut se transformer en désillusion, voire en déclassement, quand les conditions d’accueil, d’insertion ou de reconnaissance des diplômes ne sont pas à la hauteur des sacrifices consentis.
Venir et rester étudier en France
Judith Waintraub affirme que « [615 euros], une somme que le CESEDA n’exige même pas pour les premières demandes de titres de séjour ». C’est totalement faux, un mensonge de cette ampleur suffit presque à disqualifier le reste de son texte. En effet, pour les étudiantes et étudiants internationaux admis à poursuivre des études supérieures en France, la première année se fait sous le régime du visa long séjour valant titre de séjour (VLS-TS). Or, pour l’obtenir, il faut absolument justifier de ressources suffisantes, à hauteur d’au moins 615 euros par mois pendant un an. Concrètement, cela signifie disposer de l’équivalent de 615 × 12, soit plus de 7 300 euros, sur son compte bancaire ou via une attestation officielle. Dès la deuxième année, lorsqu’il ou elle demande un titre de séjour étudiant, l’exigence demeure : il faut toujours prouver disposer d’au moins 615 €/mois. Mais la condition financière n’est pas la seule : l’administration exige aussi une attestation de réussite aux examens. Les étudiants en situation de redoublement, ce qui peut arriver à toutes et tous sont très mal considérés par les préfectures, ce qui fragilise encore davantage leur parcours. Pour le vérifier, il suffit de lire le CESEDA, articles L422-1 à L422-3, qui encadrent ces conditions de manière explicite.
Étudiantes et Étudiants internationaux : investissements et retombées économiques
Judith Waintraub cite les estimations annuelles de la Cour des comptes concernant les dépenses publiques liées à l’accueil des étudiants internationaux en France, mais elle omet totalement de mentionner les recettes qu’ils génèrent. Selon le même rapport, ces étudiants apportent notamment :
- 613 millions d’euros de TVA issue de la consommation sur place ;
- 384 millions d’euros de prélèvements obligatoires sur le SMIC dans le cadre du cumul emploi-études, des cotisations sociales auxquelles ils contribuent mais auxquelles ils n’ont jamais droit à la fin de leur contrat ;
- 67 millions d’euros liés aux démarches administratives pour l’obtention du visa.
Ainsi, pour un montant d’environ un milliard d’euros de dépenses publiques, le rapport de la Cour des comptes précise que « ce montant, qui reste une estimation, est à mettre en regard des gains associés au taux de maintien à l’issue des études, à l’insertion professionnelle des étudiants internationaux en France, ainsi qu’à leur contribution à la recherche ». Ces observations sont confirmées par Campus France, l’agence publique chargée de la promotion de l’enseignement supérieur français à l’international et de l’accueil des étudiants étrangers. Dans une étude publiée en 2022, Campus France évalue l’impact économique net des étudiants internationaux à 1,35 milliard d’euros pour la France, soulignant de manière tangible que leur présence constitue un apport positif significatif pour le pays. Cela montre clairement que présenter uniquement les dépenses publiques comme le fait Judith Waintraub, est partial et trompeur. En réalité, les étudiantes et étudiants internationaux ne sont pas un coût pour la France : ils contribuent à l’économie par la consommation, les cotisations et les frais administratifs, et renforcent le système éducatif et la recherche. Ignorer ces contributions revient à donner une image faussée de leur rôle, en occultant leur impact net positif sur le pays, tant sur le plan économique que scientifique.
En conclusion de son article, Judith Waintraub oppose les résultats académiques des étudiants asiatiques, qu’elle affirme « supérieurs à la moyenne du contingent étranger » pour affirmer que ces étudiants quittent ensuite la France. À l’inverse, elle dénigre les étudiants africains, et principalement les Algériens dont, selon elle, 61 % restent en France (dont les deux tiers pour des raisons familiales), en concluant que leurs choix de filières, notamment en sciences humaines, seraient in fine des sciences « inutiles », sans avenir professionnel. Or, ce sont justement les sciences sociales qui déconstruisent tous ce que Judith Waintraub avance dans cet article, qui ne peut être que clairement hostile aux étudiantes et étudiants africains en France. Plusieurs études, thèses et travaux en sciences sociales, réalisés avec une grande rigueur méthodologique, s’appuient sur des données qualitatives et quantitatives pour analyser les dynamiques complexes qui façonnent les mobilités étudiantes en France, et pas seulement aujourd’hui, mais sur plusieurs décennies. Réduire ces étudiants à des chiffres, à des comparaisons en termes de dépenses et de recettes, et leurs disciplines à des jugements de « rentabilité », constitue une analyse biaisée et stigmatisante, qui ignore totalement l’importance académique, sociale et économique des étudiantes et étudiants internationaux pour la France.
Pour finir son article, Judith Waintraub écrit ceci : "Dans le domaine estudiantin comme dans les autres, l'immigration choisie est choisie par les migrants, pas par la France". Je lui réponds ainsi : Dans le domaine estudiantin comme dans les autres, ce sont les migrants qui façonnent leurs trajectoires, pas les jugements infondés ni les idées reçues qui se permettent de décrire leurs histoires.