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Billet de blog 16 février 2015

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Quand Corcuff s'enfonce dans ses sophismes et ses contradictions.

 

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J'avais déjà déconstruit la fausse méthode dialectique de Corcuff, qui consiste en réalité à manier des concepts pseudo-sociologiques pour énoncer des opinions, peu originales de surcroît, et qu'on peut résumer ainsi: tous ceux qui ne pensent pas comme lui à "gauche" font le jeu du FN et contribuent au "retour des années 30".

La méthode dialectique suppose la confrontation de thèses apparemment contradictoires menant à terme, sinon à une thèse, du moins à un effet de connaissance: en principe, on en sait plus après qu'avant.

Mais chez Corcuff, comme chez tous les sophistes, cette méthode autorise simplement à dire et écrire n'importe quoi, et donc finalement à ne rien énoncer du tout: c'est ce qu'on peut appeler de la "pensée sciences-po", derrière laquelle se faufile un terrorisme intellectuel mou.

Car derrière l'énoncé conclusif équilibré en apparence se trouve toujours l'opinion de Corcuff, qui comme toute opinion, est à la fois arbitraire et indigente sur le plan analytique.

Le point central de la méthode Corcuff repose sur la réversibilité des arguments: on concède sur le plan réthorique des contre arguments - "certes" - et puis on assène ensuite une thèse définitive - "pourtant", sans que la clé permettant de départager les thèses en présence ne soit jamais élucidée.

Et Corcuff emporte ainsi le morceau, sans avoir analysé quoi que ce soit ni produit un quelconque effet de savoir, tout en bénéficiant d'une position de surplomb, celui du détenteur d'une "pensée complexe".

Or en matière de "pensée complexe", on a en réalité affaire à une vague bouillie socio-philosophique pour le moins nébuleuse.

Quelques exemples:

"Cela s’inscrit plus globalement dans ma démarche par rapport au thème du « retour des années 30 » : mon entrée est une comparaison analogique. Une analogie, ce n’est ni une stricte identité, ni quelque chose de radicalement différent."

Je m'étais déjà amusé à étriller ce raisonnement analogique, je ne vais pas le refaire. Si une analogie n'est ni une identité ni une différence, alors quel effet heuristique en attend-t-on? 

Aucun à part faire un joli titre de bouquin bien vendeur, puiqu'on sait tous à quoi s'en tenir lorsqu'il est question de cette période de l'histoire et de son sinistre épilogue.

On ne voit pas en quoi accoler le préfixe "post" au mot de fascisme apporte quoi que ce soit à l'analyse, si ce n'est que de dire que l'idéologie d'extrême droite contemporaine emprunte certes quelque chose de son héritage des années 30, mais pourtant ne s'y réduit pas: soit, et alors?

La vérité est que le contexte contemporain - économique, social, démographique, idéologique etc...est tellement éloigné de celui des années 1930, qu'y faire référence ne nous est d'aucun secours pour l'analyse. D'ailleurs Corcuff ne tire absolument rien de cette anaologie bidon: c'est du bavardage érudit.

 "Cependant, tout d’abord, la mémoire historique n’est pas tout, elle constitue seulement un des fils nécessaires de la confrontation politique avec les incertitudes du présent dans la perspective future d’une émancipation individuelle et collective des opprimés."

Ici encore, une chose et son contraire: certes les références traditionnelles de l'antifascismes sont utiles, mais pourtant elles ne le sont pas.

Corcuff convoque Bensaïd en renfort de ce qui se veut être une pensée complexe, alors qu'elle ne fait qu'énoncer un vieux topos de la philosophie de l'histoire, qui consiste à reconnaître qu'en dépit de son irréversibilité , le passé n'épuise pas l'avenir. La belle affaire.

"Il faudrait aussi tenir compte davantage, à la manière de la sociologie « postmarxiste » de Pierre Bourdieu, de l’autonomie des processus idéologiques, de la dynamique des champs politiques professionnalisés comme de la pluralité des rapports de domination, c’est-à-dire de la domination de classe, mais aussi de la domination masculine, des discriminations racistes et postcoloniales ou homophobes. 

Bref le capitalisme constitue certes un gros morceau du problème, mais il faudrait : premièrement, avoir une approche moins strictement économiste de sa configuration et, deuxièmement, ne pas en faire le tout de nos difficultés."

Ici encore, Corcuff se livre à la même dialectique à deux balles: c'est bien le capitalisme qu'il faut combattre, mais non en fait, c'est aussi plein d'autres choses qu'il faut combattre.

On dirait un exercice de "synthèse" typique d'une conclusion d'une copie de Sciences-Po, en renvoyant dos-à-dos deux thèses opposables et en prétendant les réconcilier dans un grand tout complètement fumeux: le  "global pluriel", autrement dit une macédoine conceptuelle maison.

En réalité plus personne ne se réfère sérieusement aujourd'hui à l'emprise - imputée à une lecture grossière de Marx - de l'infrastructure sur la superstructure, et reconnaît l'autonomie relative des autres champs: cette proposition n'a donc rien d'original ni d'innovant, c'est l'approche dominante. 

Ce qui est particulièrement pervers, car tout à fait implicite dans l'énoncé apparemment équilibré de Corcuff, c'est que sa position est bien moins ouverte qu'elle n'apparaît dans l'immédiat: en réalité, il ne s'agit pas seulement d'inviter à prendre en compte les luttes "sociétales" dans la critique sociale, mais à discréditer toute approche qui ne le ferait pas, ou pas suffisamment à ses yeux - autrement dit toute approche qui différerait de l'opinion de Corcuff.

Dit autrement, c'est: "la révolution sera globale et plurielle, ou elle ne sera pas".

On ne saurait trouver meilleur moyen d'ajourner éternellement, mais en douce, cette dernière...

(Corcuff se livre d'ailleurs au même terrorisme intellectuel lorsqu'il défend le "cosmopolitisme kantien" contre l'idée de souveraineté populaire, qui interdit toute forme de transformation économique et politique dans un cadre strictement national, ce qui lui permet de rejeter a priori des mesures unilatérales comme le protectionnisme en matière économique par exemple).

Mais il n'est pas bien difficile de voir, derrière cette insistance à en finir avec la critique sociale traditionnelle, la volonté de diluer celle-ci dans un vaste assemblage de luttes diverses, ce qui montre que Corcuff ne fait qu'accompagner le mouvement incarné par la gauche "institutionnelle" depuis le lamentable épisode de la "gauche plurielle" sous Jospin.

Car s'il y a quelque chose dont on est certain depuis un bon moment, ce sont des effets délétères du slogan de la "lutte contre toute les discriminations" sur le plan de l'émiettement à l'infini des mobilisations.

Corcuff, qui prétend réarmer la "gauche", s'emploie en réalité à la désarmer.

"Certes, il y a eu les récupérations étatistes, nationalistes et politiciennes, ou l’accroissement des dérives sécuritaires qui s’en suit, mais cela ne nous dit pas grand-chose sur les millions de manifestants. Des paroles et des actes islamophobes ont eu lieu au même moment, mais hors des manifestations. Et l’injonction islamophobe faite aux « musulmans » dans leur ensemble de se « désolidariser » des assassins fondamentalistes a contribué à freiner l’implication des personnes de culture musulmane dans le mouvement, en accroissant alors les tensions identitaires dans la société française. Pourtant ces millions de personnes dans les rues constituaient tout de même un point d’appui non négligeable et largement inattendu dans la résistance contre l’extrême droitisation et le clivage national-racial que la gauche radicale n’a pas vraiment su saisir."

Ici encore, la même soupe dialectique: un paragraphe entier qui démontre que les manifestations de "Je suis Charlie" sont profondément ambigües et dont les effets sont au moins autant profondément clivants que rassembleurs - au delà des simples manifestations de solidarité, on a bien vu ce qui s'est passé le lendemain dans les classes - qui débouche pourtant sur la conclusion qu' un tel mouvement représente une base raisonnable de la résitance contre ces mêmes clivages.

Au delà du côté ridicule de l'hypothèse - l'homogénéite "socio-ethnique" des manifestants a sauté aux yeux de tous - Corcuff ne se rend même pas compte que sa conclusion est en contradiction avec l'argumentation qui précède.

Simplement, Corcuff prend ce qu'il pense du phénomène - les manifestations "Je suis Charlie" comme l'amorce évidente d'un mouvemend profond de résistance à son concept de "post-fascisme" - pour la réalité.

Et si ce "mouvement" ne se prolonge pas comme Corcuff l'espère - comme on pouvait s'en douter puisqu'il n'a rien de spécifiquement émancipateur en lui-même - ce n'est pas parce que ce mouvement n'est pas ce que Corcuff en fait, mais parce que la gauche radicale n'aurait pas su s'en saisir. CQFD.

Et c'est évidemment encore un moyen de se donner à peu de frais une position de surplomb universitaire et de donneur de leçons "libertaire" à des gens de gauche qui ne pensent pas comme lui à partir de raisonnements proprement fallacieux.

De ce point de vue, Corcuff serait à la gauche radicale et soit disant "libertaire" ce que BHL et Joffrin sont à la gauche molle, dans leurs incessantes tribunes appelant à "reconstruire" la gauche dans le sens qui leur convient: un fossoyeur doublé d'un tartuffe.

On pourrait multiplier l'exposition de ces manipulations réthoriques et ces contradictions qui reviennent incessament dans les positions de Corcuff ici et ailleurs.

Parmi celles-ci, on notera rapidement:

-la dénonciation permanente chez les autres de défauts de raisonnements rhédibitoires, en particulier ses deux préférés: l'essentialisme - consistant à prendre les mots pour les choses - et le manichéisme - consistant à ciconscrire le réel sous l'opposition binaire de catégories morales. Stratégie classique mais inépuisable de l'"homme de paille"...

Bien entendu, c'est l'occasion à chaque fois pour Corcuff de nous dévoiler une pensée complexe permettant de dépasser et de déconstruire ces défauts cognitifs.

Cette méthode a aussi l'avantage d'édifier à peu de frais une audience ou des lecteurs naïfs, qui se trouve ainsi flattés de savoir eux aussi, décrypter ces biais cognitifs, et se sent moins con qu'elle ne l'était avant de l'avoir lu ou entendu. C'est ce que ferait un mauvais prof de philo de terminale pour se mettre dans la poche ses élèves.

-la difficulté de Corcuff à appliquer universellement sa fumeuse "éthique de responsabilité" empruntée à Weber, en particulier à ses anciens potes de Charlie, ce qui l'oblige à de drôles de contorsions.

Pour s'en sortir, il est carrément obligé de recourir au mensonge, en laissant croire -  contre toute évidence pour qui connaît le contenu éditorial de ce torchon raciste depuis Val et Fourest - que les journalistes et dessinateurs se la seraient appliqués à eux-mêmes concernant l'Islam et les musulmans.

-l'utilisation de la critique adressée par Grignon à la sociologie de la domination de Bourdieu pour dénoncer ceux qui on cru voir dans les manifestations  "Je suis Charlie" un mouvement ambigü aux motivations politiques peu élaborées, qui serait la preuve d'une certaine condescendance de classe.

Contresens d'une part, compte tenu du profil sociologique des manifestants, l'argument emprunté à Grignon est ici sans objet. Pour quelqu'un qui se réclame de Bourdieu et Passeron, on se demande quelles "lunettes sociologiques" Corcuff a pu mettre pour ne pas voir ce que tout le monde a vu...comme l'a écrit Lordon:

"A l’image des dominants, toujours portés à prendre leur particularité pour de l’universel, et à croire que leur être au monde social épuise tout ce qu’il y a à dire sur le monde social, il se pourrait que les cortèges d’hier aient surtout vu la bourgeoisie éduquée contempler ses propres puissances et s’abandonner au ravissement d’elle-même."

Argument réversible d'autre part, car Corcuff, pas plus que n'importe quel chercheur en sciences sociales, n'est capable d'échapper totalement à cette critique: ni lui ni quiconque ne sait où se trouve "le peuple véritable", qui n'est évidemment ni totalement dominé ni totalement autonome.

Tout ceci montre qu'une fois de plus, les références académiques convoquées par Corcuff sont plus là pour agrémenter des énoncés qui relèvent de la seule opinion ou du simple bavardage érudit, que pour appuyer une authentique pensée analytique.

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