I. Une République qui apprend à se juger elle-même
Pendant longtemps, la France a vécu sous un tabou implicite : on ne jugeait pas les présidents.
François Mitterrand est mort six mois après la fin de son mandat, sans avoir à répondre des affaires qui touchaient certains de ses proches — notamment Pechiney.
Jacques Chirac, frappé par la maladie, n’a jamais pu être confronté aux multiples dossiers de la mairie de Paris.
Ce silence n’était pas seulement institutionnel : il était moral. Une démocratie jeune, disait-on, ne pouvait se permettre de « salir » ses figures tutélaires.
Mais la maturité démocratique commence justement là : dans la capacité d’un pays à regarder en face les actes de ses dirigeants, à juger sans trembler, à se dire que la fonction ne sanctifie pas l’homme.
II. Le vrai scandale : la corruption, pas les juges
Les cris d’orfraie qui s’élèvent depuis la condamnation ne s’indignent pas d’un système corrompu, mais d’un système qui ose punir la corruption.
On s’émeut d’une peine ferme, on feint de défendre le droit, alors qu’on protège le privilège.
La même indignation n’a pourtant jamais retenti pour les milliers d’anonymes condamnés chaque jour à des peines de prison sans sursis.
La France, selon Transparency International, a reculé en 2024 à la 25ᵉ place mondiale en matière de lutte contre la corruption, avec un score de 67/100 — une chute historique.
Et le dernier rapport du GRECO, organe du Conseil de l’Europe, rappelle que sur dix-huit recommandations adressées à la France, seules deux ont été correctement appliquées.
C’est donc bien là que se situe le cœur du problème : dans la complaisance du pouvoir face à ses propres dérives, non dans l’audace de la justice.
III. La justice comme exigence morale
Sartre écrivait : « Être libre, c’est être condamné à choisir. »
La justice, dans cette affaire, a choisi : non pas d’humilier un homme, mais d’affirmer un principe.
Elle a rappelé que la République n’est pas un régime d’amitié, de réseau, de gratitude, mais de responsabilité.
Ce jugement n’est pas une vengeance : c’est un miroir.
Il nous renvoie l’image d’un pays qui hésite entre la fidélité et la lucidité, entre la nostalgie du chef et le courage de la loi.
Il nous rappelle que la démocratie n’est pas l’absence de conflits, mais la possibilité de rendre des comptes — même au sommet.
IV. Le courage de la lucidité
Les démocraties meurent souvent de leur indulgence, rarement de leur sévérité.
C’est pourquoi cette affaire Sarkozy n’est pas un épisode isolé, mais un test : sommes-nous capables d’accepter que la justice s’exerce jusqu’au bout ?
Ou préférons-nous le confort de l’aveuglement, celui des puissants qui s’absoudent entre eux ?
Il n’y a pas d’État fort sans justice forte.
Et il n’y aura pas de réconciliation nationale tant que nous continuerons à confondre le pouvoir et le droit, la fidélité et la vérité.
Conclusion : la République devant sa conscience
La condamnation de Nicolas Sarkozy n’est pas une offense à la République, mais son accomplissement.
Elle dit que le pouvoir n’est pas un bouclier, que la fonction n’efface pas la faute, que la justice, parfois, est la seule à parler au nom du peuple.
C’est une victoire discrète, fragile, mais réelle : celle d’une République qui ose enfin se regarder sans détour.