J’ai écrit ce texte il y a deux ans. Je le relis aujourd’hui, à l’heure où la France reconnaît officiellement l’État de Palestine et où les grandes puissances réinventent des “plans de paix” sans paix. Rien n’a changé — sinon la gravité du silence.
Sartre refusait qu’on se taise quand le canon parle. Et pourtant, en 2025 comme en 1967, les voix qui appellent à la vérité sont rares, étouffées par le vacarme des camps. Ce texte n’est pas une prise de position ; c’est un rappel : celui du devoir de penser quand tout pousse à choisir un camp.
« Il faut nous taire : quand le canon parle, on se tait », refusait d’écrire Jean-Paul Sartre dans un numéro iconique des Temps Modernes en 1967, intitulé Le conflit israélo-arabe.
Dans cette revue, le philosophe faisait dialoguer, pour la première fois, Israéliens et Palestiniens — certes pas encore entre eux, mais entre Israéliens et Occident, Palestiniens et Occident.
Dans son éditorial Pour la vérité, il écrivait :
« Mais si, comme j’ai fait, on évoque le voyage et qu’on voit aux alentours de Gaza, la mort lente de réfugiés palestiniens, les enfants blêmes, dénourris, nés de parents dénourris, avec leurs yeux sombres et vieux ; si, de l’autre côté, dans les kibboutzim frontaliers, on voit des hommes aux champs, travaillant sous la menace perpétuelle et les abris creusés partout entre les maisons ; si l’on parle à leurs enfants, bien nourris mais qui ont, au fond des yeux, le sais-je, quelque angoisse, on ne peut rester neutre. »
Plus d’un demi-siècle a passé. Gaza est toujours un tombeau, les kibboutzim sont toujours sous le feu, et les enfants ont vieilli sans paix.
La gauche et la mauvaise conscience
Sartre écrivait encore :
« Elle a bien mauvaise conscience, cette gauche. Face au problème que nous traitons, elle s’est toujours montrée confuse et velléitaire. »
Rien n’a changé là non plus.
En 1967, il reprochait à la gauche française de s’abriter derrière les idéologies du moment. Aujourd’hui encore, les postures se succèdent : indignation sélective, prudence diplomatique, peur du mot juste.
Hier, M. Mollet était “israélien” et M. Rochet “nassérien”.
Aujourd’hui, M. Faure est “pro-européen”, M. Mélenchon “sudiste”.
Les patronymes changent, la gêne demeure.
Le temps des plans et des symboles
La reconnaissance de l’État de Palestine par la France est un geste fort — tardif, fragile, mais nécessaire.
Elle ne répare rien, mais elle dit enfin que la paix n’est pas un privilège.
Pourtant, pendant que l’Europe salue le symbole, les États-Unis poursuivent le plan de paix hérité de Donald Trump : un “accord” qui enterre plus qu’il ne réconcilie.
Le vocabulaire diplomatique est resté le même, mais les cartes ont changé : la paix se négocie comme un territoire, non comme un droit.
Et dans ce désordre moral, la parole des intellectuels s’est raréfiée.
La littérature a déserté le réel, et la politique, la vérité.
Relire Sartre, relire Lanzmann
Coordonné par Claude Lanzmann, ce numéro des Temps Modernes reste un modèle d’intellectuels qui ne fuyaient pas la complexité.
Sartre écrivait :
« Quelle que soit la conjoncture, même si le sang coule, nous souhaitons que nos lecteurs prennent le temps de méditer sur ces articles et, faisant taire leurs sympathies et leurs répugnances, qu’ils cherchent patiemment, dans sa complexité et ses contradictions, la vérité. »
C’est cette lenteur-là qu’il faut retrouver.
À l’heure des images instantanées et des indignations d’algorithmes, penser est devenu un acte de résistance.
Et si la reconnaissance d’un État n’était pas une fin, mais un début : celui d’un devoir de lucidité ?
Conclusion : Servir la paix
Ce texte des Temps Modernes date de 1967.
Il vient d’un temps où la littérature ne se contentait pas d’être brillante : elle voulait être utile.
Après l’échec des politiques, après la coexistence inerte et la continuité passive, voici peut-être revenu le temps des grandes consciences de la littérature, qui doivent, comme Sartre l’écrivait alors, servir la paix.