Par Jérôme Bouquet-Elkaïm, Avocat au Barreau de Rennes
L’annonce en grandes pompes par l’Elysée de la signature d’un accord historique sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie le 12 juillet dernier a suscité l’émoi, la surprise, l’incompréhension parfois.
Tandis que les annonces gouvernementales se succédaient et que la presse métropolitaine dans sa majorité louait, sans recul et inféodée, un processus, une étape, un compromis jugé décisif, l’esprit aiguisé des juristes de tous bords s’enflammait, post et publications fleurissaient. Bien des lectures étaient offertes de cet accord, ou projet d’accord, ou pré-accord de Bougival. Déjà le qualificatif qui se cherchait, offrait comme l’ombre d’un doute.
En Kanaky/Nouvelle-Calédonie le brouillard de l’accord de Bougival tournait à l’orage et à la confusion généralisée. Dans un pays sous tension depuis l’insurrection du 13 mai 2024, l’annonce de la signature d’un accord, tournant le dos aux acquis de l’accord de Nouméa et au processus de décolonisation du territoire, ne pouvait que générer la frustration et la colère.
Menaces de morts des signataires indépendantistes par les plus extrêmes, velléités de sanctions disciplinaires au sein de certaines formations politiques, communiqués de l’Union Calédonienne ou du FLNKS dénonçant vertement l’accord.
Et dans l’œil de ce cyclone austral, toujours contrastent, d’une part, les déclarations de l’Elysée, du Ministère de l’Outremer, des loyalistes louant un accord historique dont pas une virgule ne doit être changée et, d’autre part, la parole des signataires indépendantistes Kanaks affirmant n’avoir jamais signé aucun document définitif et n’avoir d’ailleurs jamais reçu mandat pour engager l’avenir de la Kanaky par la signature d’un acte qui n’aurait pas été soumis aux formations de base.
Sur le Caillou, la lecture juridique attentive de l’accord, de ses implications, devait encore échauffer les esprits et la nébuleuse de Bougival susciter toutes les craintes pour l’avenir.
Mais que chacun se rassure, que le Peuple Kanak ne tourne pas le dos à ses représentants politiques, qu’il fasse peuple dans l’unité et s’apaise. L’accord de Bougival n’existe pas… !
Comme chacun, il me fallait, en juriste, m’abandonner résolument à une lecture de fond d’un document qui a pu circuler sur la toile, ou de mains en mains. Une semaine de réunions, d’échanges, d’entretiens de rencontres sur le territoire calédonien aura cependant nourri un questionnement sur la forme.
La crise qui a suivi mai 2024, a montré ici le visage de la politique étatique. Un calme tout apparent est revenu en Nouvelle-Calédonie. Mais c’est par une répression féroce et violente que la République française a mis le Peuple Kanak à genoux après avoir enflammé le territoire en imposant une réforme constitutionnelle et un processus de négociation d’un accord politique qui s’inscrivaient en contradiction avec la parole donnée, la lettre de l’Accord de Nouméa et le droit international[1]. Les observations du Comité des Nations Unies contre la torture du 30 avril 2025 ont confirmé que la France avait, durant cette crise, franchit toutes les lignes rouges[2].
Fallait-il s’attendre à des négociations honnêtes et conciliantes de la part de l’Etat français ? Fallait-il s’attendre à une ouverture d’esprit de ses représentants et hauts fonctionnaires pétris par une idéologie républicaine fermée au pluralisme juridique et étrangère à toute vision constructive d’un processus de décolonisation ?
La réponse nous la connaissons. Mais cela devait-il aller jusqu’au mensonge et à la supercherie ?
Ce qui ressort du conclave de Bougival, c’est qu’il fut marqué par une violence psychologique extrême à l’endroit des représentants indépendantistes Kanaks qui malgré tout ont tenu, n’ont rien signé… rien d’autre qu’une feuille A4 les engageant à soutenir un texte mais qui, lui, a disparu et est finalement inconnu !
Nous en venons à la forme et à une petite leçon de chose ! Qu’est-ce qu’un paraphe ?
C’est un signe manuscrit apposé au bas de chaque page d’un document liant deux ou plusieurs parties, généralement, les initiales des signataires. L’Accord de Nouméa était paraphé, daté et signé.
Quelle est la fonction du paraphe ? Il vise à s’assurer que chaque signataire a bien consulté et validé chaque page dudit document avant de le signer.
Mais surtout, la fonction du paraphe est de garantir l’intégrité de l’acte et d’éviter l’ajout, la destruction ou la modification d’éléments après la signature.
Les représentants indépendantistes sont formels, bien des versions de l’accord de Bougival ont circulé, ils ont procédé à de multiples amendements de ces documents de travail.
Mais en ont-ils signé ou paraphé une quelconque version ? Absolument pas ! L’accord de Bougival n’existe pas ! Son prétendu contenu n’a aucune intégrité. Qui pourrait garantir d’un compromis qui serait intervenu autour de sa page deux ou trois ou quatre… ? Absolument personne !
Et qui pourrait croire sur parole les représentants d'un Etat qui a basculé dans l'autocratie caractérielle et obtuse?
En définitive, sauf à passer pour des bonimenteurs de foire, il appartiendra urgemment aux représentants de l’Etat de justifier d’une version paraphée datée et signée de l’Accord de Bougival, ou bien de cesser de prétendre à l’existence d’un accord historique qui lierait le destin du peuple de Kanaky/Nouvelle-Calédonie ou constituerait le point final d’un processus de décolonisation !
Le droit à l’autodétermination est bien un droit inaliénable et la voie de l’émancipation reste ouverte, grande ouverte. Face à d’aussi viles et basses manœuvres, elle s’affirme même, plus que jamais, comme une absolue nécessité.
En définitive, tout reste à négocier et à écrire.
[1] CCPR/C/FRA/CO/6
[2] CAT/C/FRA/CO/8/62956/F