Premièrement, il est évident qu'il n’y a pas de complot politico-judiciaire contre les candidats en question. Personne ne peut imaginer sérieusement des instructions politiques (émanant de qui ? comment ?) visant à attaquer des opposants politiques. En tout cas aucun élément probant dans ce sens n’a été donné, ni dans les affaires visant M. Le Pen ni dans celles de F. Fillon. Certes, le double crime profite à E. Macron, l’héritier officieux du pouvoir en place, mais cela ne suffit pas à identifier le coupable.
En revanche, si les candidats concernés (et certains commentateurs) s’autorisent à parler d’une « instrumentalisation », c’est parce qu’il est établi que les juges sont opposés (majoritairement) à la ligne idéologique du FN et de LR : on pense au célèbre mur des cons, mais aussi à toutes les enquêtes sociologiques concernant la magistrature qui vote à gauche voire à l’extrême gauche. Ne pas reconnaitre qu’il existe un antagonisme politique et idéologique fort entre les juges et ces deux candidats particuliers relèverait du pur déni. Répéter, comme le fait le Garde des Sceaux, que les juges sont "indépendants" n'est, de ce point de vue, qu'un simple sophisme (une ignoratio elenchi, pour être précis).
D’autre part, et cela n’a pas été suffisament relevé, les juges sont particulièrement visés par les programmes de Le Pen et Fillon, qui pointent par exemple leur prétendu « laxisme » et menacent leur fonctionnement. L’élection de l’un de ces candidats serait une catastrophe pour eux et pour leur conception de la Justice. Ils ont donc littéralement un « conflit d’intérêt » dans ces affaires, et il est étrange que cela n’ait pas été signalé.
Par ailleurs, s’il n’existe nulle part dans le droit de « trêve judiciaire » pendant les élections, et pas d’immunité temporaire accordés aux candidats à la présidentielle pendant la campagne, il reste que le calendrier est toujours révélateur. S’agissant d’affaires portant sur des faits remontant aux années 80 pour Fillon et à plusieurs années pour Le Pen, le choix des premières semaines de 2017 pour aligner les actes de procédure est particulièrement troublant. D’autant que, dans les deux cas, il s’agit de faits non dissimulés (les embauches en question étaient déclarées) et seule l’appréciation de la pertinence des tâches confiées est en question. Mais matériellement, rien de nouveau ne justifie de lancer ces affaires aujourd’hui plutôt qu’il y a dix ans…
Pour l’affaire Fillon par exemple, la procédure ouverte durera désormais plusieurs années. La Justice ne sera pas en mesure de dire s’il est coupable avant le scrutin : il y participera donc en tant que présumé innocent. Quelle est l’urgence pour les magistrats d’intervenir pendant la campagne, dans une affaire qu’ils ne jugeront peut-être pas avant 2020 ? Pénélope a été embauchée il y a 15 ans, craignent-ils que des indices ne s’effacent avec l’arrivée du printemps 2017 ?
Dire que les politiques sont des justiciables comme les autres est à la fois vrai et faux. Vrai, car la même légalité s’impose évidemment à eux. Faux, car contre le risque majeur d’immixtion du juge dans le choix démocratique, nos institutions ont inventé la séparation des pouvoirs, qui est un principe constitutionnel. Dans la société du soupçon et de l’hyper-médiatisation, une enquête de police vaut condamnation, et une mise en examen est une sentence. La présomption d’innocence est une blague. Si demain Marine Le Pen et François Fillon devaient être blanchis (si la Justice considérait, in fine, qu’ils avaient le droit de faire travailler les personnes concernées comme ils l’ont fait), cela n’aurait aucun impact. Par ses actes de procédure, le juge pèse sur l’opinion, sans contre-pouvoir. Une mise en examen est une arme mortelle dans ce contexte, et le juge ne peut l’ignorer.
La responsabilité des juges à l’égard des politiques, à notre égard, est donc spécifique. Renforcée pourrait-on dire. A fortiori si l’on sait que leur inclinaison naturelle à l’égard de M. Le Pen et de F. Fillon est extrêmement négative. Les magistrats ont le droit d’être opposés politiquement et idéologiquelent au FN et au programme de Fillon, et d’ailleurs nous savons que c’est le cas (Tournaire a signé des pétitions dans Libé). Mais ce secret de Polichinelle ouvre en retour un soupçon légitime sur leurs motivations. Bien sûr, chacun peut s’abstraire de ses préjugés personnels par pure abnégation et oubli de soi. Mais par précaution, on ne demande pas à un joueur du PSG d’arbitrer l’OM.