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Billet de blog 5 juin 2013

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Une manifestation à Ankara

Billet “invité” par Kilemo, français expatrié à Ankara, marié à une turqueNous sommes sortis de chez nous à 19h30. Il y avait un rendez vous donné à 20h00 pour partir du quartier commerçant de Tunali et descendre vers le centre ville Kizilay, la où est le coeur de la manif.

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Billet “invité” par Kilemo, français expatrié à Ankara, marié à une turque

Nous sommes sortis de chez nous à 19h30. Il y avait un rendez vous donné à 20h00 pour partir du quartier commerçant de Tunali et descendre vers le centre ville Kizilay, la où est le coeur de la manif. Il y a du monde. Beaucoup de monde, les gens chantent, certains brandissent des écriteaux, des affiches, beaucoup ont un drapeau turc avec eux. Au bout d’un manche ou sous forme de cape. Il y a de tous les âges. Des jeunes de 20-30 ans surtout, mais aussi des moins jeunes, des enfants, et même quelques personnes âgées. Certains sont assis sur le coté avec des gamelle et tapent dessus. Le principe est de faire du bruit, de se faire entendre. Les voitures qui passent en klaxonnant sont copieusement applaudies par la foule. Un hélicoptère de la police fait des rondes au dessus de la ville avec un gros projecteur, comme pour nous surveiller.

A 20h00, le départ est donné. Un cortège se forme et se dirige vers le centre ville. Le mot d’ordre est rappelé régulièrement: ceci est une manifestation pacifiste. On ne salit pas les rues, on ne donne pas de signes d’hostilités, pas de chants haineux, et même pas d’insultes envers le premier ministre ou le gouvernement. Les gens chantent, il pleut un petit peu, mais cela ne refroidi personne. Aux fenêtres, les gens de tous âges regardent, applaudissent, brandissent des drapeaux, font du bruit. Ils ont le sourire aux lèvres. La foule avance dans la bonne humeur. Une voiture avec le coffre ouvert et rempli de boisons et de nourriture se mêle au cortège. Un écriteau indique aux gens de se servir librement. Un peu plus loin, des manifestants avec des sacs poubelles ramassent les quelques détritus dans le caniveau. Plus loin encore, un restaurant offre des bonbons aux manifestants. La bonne ambiance, la solidarité, l’organisation est étonnante, émouvante.

Tout le monde est équipé. La plupart des gens ont un petit masque et des lunettes de plongée pour se protéger des éventuels gaz lacrymogènes. On trouve des étalages avec des quartiers de citrons mis à disposition. Cela apaise la douleur du gaz. Certaines personnes ont préparés des médicaments en sprays qui atténuent les effets des gaz. D’autres utilisent du vinaigre. En cas d’attaque des policiers, cela atténue la douleur dans la gorge.

Un peu plus loin, la rue que le cortège suivait est bloqué par les CRS. C’est une rue assez grande avec beaucoup de trafic et ils ne veulent pas qu’on l’emprunte. Soit. Le cortège change alors de direction et se dirige sans discuter dans les petites rues voisines. Personne ne remet en question la volonté de la police. On respecte leurs ordres.

D’une manière générale, les chants sont assez sobres. “Tayyip (Erdogan) où es tu ? Ankara est dans la rue!” “Nous sommes les soldats d’ataturk” “Nous sommes tous manifestants de Taksim” (traduction grossière)

Après une petite heure de marche, le cortège arrive enfin à kizilay et y retrouve une foule immense déjà présente. La manifestation a des allures de fête. Ca chante, ça danse, ça joue de la musique, les gens ont le sourire aux lèvres. Tout le monde est heureux d’être la. Il pleut toujours un peu mais cela ne dérange personne. Au loin, la rue est bloqué par les CRS. La police s’est organisée pour que les manifestants se regroupent tous dans un endroit particulier, et aucune résistance n’y sera faite. On est la, on se fait entendre c’est ça qui compte.

Tout s’est passé dans le calme, la solidarité et la bonne humeur, du début à la fin. Je n’ai pu voir aucun signe d’hostilité de la part des manifestants. Pas un. Et pourtant, tout le monde a son masque et ses lunettes. Tout le monde est prêt à en baver. Tout le monde sait que la police peut attaquer d’un moment à l’autre et cela parait presque normal. Tout le monde sait qu’une manifestation même pacifiste en Turquie peut mal finir.

Nous sommes repartis vers 22h00. L’heure à laquelle les CRS avaient attaqué le jour précédent. Nous ne faisons pas partis des plus courageux, il faut bien l’admettre. Nous avons remonté toute la rue en sens inverse, et nous avons encore croisé beaucoup de monde qui se dirigeait vers le centre en chantant, en faisant du bruit.

Sur notre retour en Taxi, près de deux voitures sur trois ont leurs feux de détresses allumés, et klaxonnent abondamment. A certains carrefours, des groupes de gens (des familles et des personnes âgées en majorité) sont regroupés et tapent sur des casseroles , chantent, font du bruit. Ceux qui ne sont pas sortis de chez eux font clignoter leur lumière d’appartement. Tout le monde participe avec ses moyens.

Je ne sais pas trop ce que disent les médias étrangers sur le sujet. Je sais déjà ce que ne disent pas les médias turc. Ce que moi j’en ai vu c’est une protestation quasi-unanime, pacifiste et solidaire. Tous les âges, toutes les classes sociales, toutes les idéologies, tout le monde est la, tous pour la même raison, tous avec la même motivation.

Les turcs protestent pour leur pays, pour leur liberté et pour la démocratie. C’est une manifestation criante de sincérité et de passion. J’en suis ébahi, admiratif, stupéfait. Les superlatifs me manquent.

Ils aiment leur pays, et ça se voit.

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