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Billet de blog 14 avril 2022

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Monsieur Macron, vous aurez mon vote mais vous n'aurez pas ma voix

« Vous aurez mon vote mais vous n'aurez pas ma voix, et ça n'est pas une distinction purement symbolique : elle pèse au contraire lourd dans le débat actuel, parce qu'elle contredit cette logique des partis et des élu·e·s qui, une fois parvenu·e·s au pouvoir, oublient bien vite les conditions d'obtention de la place qu'ils et elles occupent. »

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Monsieur Macron,

Vous aurez mon vote mais vous n'aurez pas ma voix, et ça n'est pas une distinction purement symbolique : elle pèse au contraire lourd dans le débat actuel, parce qu'elle contredit cette logique des partis et des élu·e·s qui, une fois parvenu·e·s au pouvoir, oublient bien vite les conditions d'obtention de la place qu'ils et elles occupent. Logique de parvenu·e·s qui ont du mal à se retourner sur les conditions d'avènement des différentes étapes qui font leur carrière.

Vous aurez mon vote parce qu'il s'agit encore une fois de faire barrage à l'intolérable, et que parmi deux intolérables je choisis celui qui me semble être le moindre, et ce alors même que ma crainte est déjà immense à l'idée d'un supplément de cinq années au développement de votre politique.

Vous n'aurez pas ma voix parce que rien de ce que vous avez fait pendant ces cinq dernières années, et rien de ce que vous annoncez vouloir faire ne fait signe vers un projet de société que j'estime viable et même souhaitable. Vous n'avez d'yeux que pour un capitalisme et un néolibéralisme crasses qui passent les travailleur·se·s au rouleau-compresseur (ou au "Kärcher", pour poursuivre le geste de l'un de vos prédecesseurs et proche, ou encore aux LBD).

Pourtant, après les rapports éloquents du GIEC, il faudrait enfin voir apparaître quelques réponses concrètes pour un monde écologiquement viable. Vous ne nous offrez aucun moyen de répondre aux exigences du monde dans lequel nous sommes tou·te·s pris·es : vous croyez encore en une sorte d'humanité capable de se sauver elle-même par une sorte d'exception ontologique dont le pouvoir magique consisterait en une capacité à tout résoudre pour et par soi-même ; vous n'entendez rien de l'alliance qu'il nous devient nécessaire d'avoir avec des êtres autres qu'humains. Vous n'entendez rien de logiques qui ne seraient ni extractivistes ni réellement féministes et antipatriarcales. Vous n'entendez rien non plus de logiques qui viseraient à modifier les rapports entretenus entre les humains eux-mêmes : vous croyez encore et toujours à des individus isolés les uns des autres, qui ne sont donc envisagés que comme des travailleur·se·s qu'il faudrait d'ailleurs pouvoir rendre tou·te·s (auto-)entrepreneur·se·s au prix et au mépris de leurs droits sociaux et plus largement de leur protection.

Vous vivez dans un monde qui n'est pas le mien. Vous vivez selon des modalités qui ne sont pas les miennes. Votre mépris pour celles et ceux qui ne vous suivraient pas comme dieu le père parce qu'ils et elles n'auraient n'auraient pas cette vision globale que vous offriraient votre formation et votre fonction n'a d'égal que votre aveuglement pour des logiques socio-économiques écrasantes et oppressives. Vous niez l'évidence de l'expérience quotidienne que font les gens de leur propre vie et des chapes de plomb que vous participez largement à accumuler au-dessus d'elles et eux, et dont ils et elles s'efforcent de rapporter la violence dans des mouvements sociaux que vous sabrez continuellement, tant vous estimez que ces gens seraient inconséquent·e·s, naïf·ve·s, désorienté·e·s, le manque de recul les rendant certainement incapables de saisir cette "big picture" que votre fonction, votre formation et votre rang vous donnent. Vous ne croyez pas aux expériences singulières, aux problématiques et aux solutions situées. Vous croyez à des systèmes de pensée globalisants, de grands ensembles, du "mass-governing", vous êtes un représentant de la pensée moderne dans tout ce qu'elle a signé d'éloignement entre l'humain et la "nature", de surenchère du pouvoir, de biopolitiques des populations, d'obsession pour des chiffres et des statistiques. Vous êtes un utilitariste forcené, vous travaillez pour un bien commun qui n'est ni commun ni universel, et qui prend pour critères d'évaluation du bien-être des populations la rentabilité, la productivité, plutôt que les capabilités. Vous croyez plus à des systèmes de peine qu'à des systèmes de réparation, de compensation et de prévention. Enfin, je le redis, mais cela a aujourd'hui toute son importance : vous faîtes partie d'une classe politique dont le carriérisme trouve des systèmes de protection délétères dans le mode de gouvernement ultra-centralisé que nous subissons aujourd'hui. Une politique dévoyée au profit de quelques-un·e·s, l'alliance d'une oligocratie à une forme d'entre-soi.

Non vous n'aurez pas ma voix, parce que vous n'êtes pas mon porte-parole. Vous ne parlez qu'au nom de populations qui n'ont rien à craindre quant aux privilèges qui leur sont déjà acquis et que vous vous attelez à consolider. Vous ne pouvez plus vous dire "ni de droite, ni de gauche" tant vos cinq années de mandat auront largement suffi à démontrer que votre politique s'exerce à droite toute.

Monsieur Macron, nous avons le même âge. Certains mythes autour du traitement générationnel de problèmes sociaux pourrait nous rapprocher. Il n'en est rien. Vous êtes la preuve qu'il y a à se battre non pas contre des plus vieux·vieilles ou des plus jeunes que soi, mais contre les partisan·e·s d'un "mérite" tout idéal, les partisan·e·s de la fructification, de l'enrichissement programmé et de la conservation de soi avant tout selon une certaine logique du self-made-man, quel donc que soit les coûts sociaux et écologiques de cette conservation.

Vous n'aurez pas ma voix, parce que je ne la laisserai pas se faire absorber sans broncher dans le maelström de chiffres qui concorderont à vous faire élire. Et pourtant je veux croire que vous soyez élu contre l'innommable et l'immonde, pour éviter que tout ce que vous déferez d'acquis sociaux pendant votre second quinquennat ne le soit pas davantage par d'autres au point d'atteindre un point de bascule, voire un point de non-retour pour les groupes sociaux les plus fragilisés et les plus stigmatisés. Vous n'aurez pas ma voix parce que le système de scrutin dans lequel nous sommes piégé·e·s aujourd'hui verrouille toute possibilité de vous donner un pouvoir qui soit à la mesure de votre représentativité. Le présidentialisme nous enferme pour encore quelques années avec vous à la tête de cet Etat. Reste donc à espérer que les élections législatives ne vous confèrent qu'un pouvoir tout relatif, et que tout projet socialiste au sens noble du terme ne soit pas aboli.

Et il nous restera la rue, pour manifester la série de nos désapprobations, même si savons déjà à quel type de réponse nous préparer de votre part.

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