La crise fait se répandre des poches de pauvreté. Paradoxalement, la crise ne prive pas d'expansion la catégorie la plus favorisée : celle dite des riches.
Dès 1776, Adam Smith insistait sur la division internationale du travail et sur les causes de la " Richesse des Nations ". Avec la mondialisation, les classements des pays évoluent. Nos sociétés européennes, et particulièrement française, sont plus traditionnelles – d'aucuns diraient figées – contrairement à des villes comme Dubaï, Moscou, Hong Kong ou Shanghai. A l'effervescence de la croissance correspond fort logiquement des dynamiques d'ascension sociale.
En premier lieu, il faut aborder un débat presque rituel pour savoir à partir de quel seuil convient-il de parler de personnes riches. Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des inégalités, propose plusieurs pistes. Le double du revenu médian ( soit 3.000 euros par mois après impôt pour une personne seule ), l'appartenance aux 10% les plus riches ( soit 2.900 euros toujours nets après impôts ), le chiffre issu de sondages d'opinion ( soit 8.300 euros en 2011 – source IFOP – pour un couple avec deux enfants, avant impôts ), la détention d'un patrimoine permettant de demeurer oisif ( soit 600.000 euros selon plusieurs auteurs ). Pour notre part, nous ne retenons pas ces seuils car le récent alignement de la fiscalité est une donnée qui change la quantification par impact de l'impôt et par effet d'expatriation fiscale. ( page 92 : " France, portrait social " 2014, INSEE ).
Nous aurions ainsi tendance à doubler les seuils proposés ci-dessus. Au demeurant, la fiscalité nous renseigne par deux moyens. Le célèbre impact des 75% d'IRPP pour toute personne gagnant plus d'un million de revenus. D'autre part, le seuil de déclenchement de l'ISF à partir de 1.300.000 euros.
Fixons donc le curseur autour d'un million de patrimoine. Quant aux revenus, l'INSEE ( page 15, " Revenus et patrimoine des ménages " 2014 ) indique – pour l'année 2011 - des revenus d'activité ou de remplacement de 453917 euros pour les " très aisés TA " ( contre 1054217 pour les " plus aisés PA" ), des revenus du patrimoine de 300684 ( TA ) contre 1663173 ( PA ) et enfin des revenus exceptionnels ( plus-values, etc ) de 143090 ( TA ) contre 301855 ( TA ).
L'effet-richesse continue d'exister dans notre pays par-delà l'appétit scriptural des déclinologues. L'INSEE indique : " La masse des très hauts revenus progresse de 4,5% en moyenne, après +4,6% en 2010. Près des deux tiers de cette hausse s'expliquent par celle des revenus du patrimoine ( 2,9 points ) contre un quart seulement pour la hausse de 2010 ( 1,1 point ). Ils représentent 30% de l'ensemble de leurs revenus déclarés ( hors revenus exceptionnels ) en 2011. Cette part ne s'élevait qu'à 22% sept ans auparavant. "
La France compte 610000 personnes en France métropolitaine comme partie du P99 : 99è centile. Les plus aisés ( PA ) précitées appartiennent au dernier dix-millile et représentent un peu plus de 6000 personnes. Les très aisés ( TA ) dont les revenus se situent entre 256000 et 810700 euros représentent environ 60000 personnes.
A l'heure où des questions de retraites-chapeaux ont légitimement pu heurter l'opinion, d'autant que les personnes concernées continueront à siéger dans différents conseils d'administration ce qui est simultanément une activité ( gouvernance ) et une source de revenus, il est intéressant de relever l'analyse descriptive de l'INSEE en page 94 sur " les très hauts revenus " : " Au sein du dernier centile, l'augmentation est de 4,6% par an et de 7,6% pour le dernier dix-millile ( délimitant les 0,1% les plus aisés ) entre 2004 et 2008. (...) En 2010 et 2011, le dernier centile augmente de 2,0% et le dernier dix-millile de 7,9% en 2011 ( après 11,2% en 2010 ). "
L'immense majorité des populations européennes voit son revenu arbitrable très inférieur à ses attentes. Rappelons qu'il s'agit du revenu disponible brut après déduction des dépenses de consommation dites pré-engagées telles que logement, télécom, frais d'éducation et de cantine, assurances, etc. Près de 10 millions de personnes, qualifiés de plus démunies, cherchent un ou quelques billets bleus ( de 20 euros ) pour ne pas voir le mois sombrer dans le rouge.
Dans toute société, il y a toujours un vecteur que parcourt à loisir l'inégalité. Toutefois, il est important de souligner que l'effet-richesse contemporain milite pour une forte concentration des patrimoines : " Les 500 plus fortunés de France se sont enrichis de 25% en un an " ( Source : Le Monde / AFP : 10 juillet 2013 ) qui correspond à l'élévation de la taille unitaire des entreprises que dirigent et / ou possèdent lesdites personnes.
La concentration est inscrite dans la crise que nous traversons. Dès lors, des patrimoines " à la Bill Gates " vont se multiplier et créer une sorte de Woodstock des riches qui seront donc des personnalités débarrassées des contingences matérielles pour plusieurs générations.
C'est là qu'intervient la question républicaine de la justice sociale. S'il est sain que l'émulation permette la constitution d'empires dignes de celui de feu Marcel Boussac, s'il est sain que la France conserve une attractivité pour ces vrais riches aux talents de créateurs, il surgit néanmoins l'interrogation sur les conditions de transmission aux descendants qui peuvent avoir un talent plus limité. La propriété est-elle la seule légitimité ? Ou faut-il convenir que certaines chartes de gouvernance devraient envisager explicitement ce que des firmes comme L'Oréal ont su faire depuis des décennies à l'opposé du Groupe autrefois animé par feu Jean-Luc Lagardère ?
En clair, dissocier propriété et gestion comme ont su l'élaborer des groupes éclairés tels que les Wallenberg ou les Wendel.
Par-delà l'écume des choses, notre pays reste attractif pour les gens véritablement fortunés qui allient savoir-faire et savoir-vivre.
Evidemment, nulle loi ne pourra prémunir notre société du spectacle parfois inconvenant de la richesse indécente décrite par Marcel Aymé ( in Travelingue ) : " Certains riches d'aujourd'hui, c'est comme les fromages trop faits, ça ne sait plus garder les distances ".
Etre riche c'est avoir des droits, c'est respecter le droit de la Cité et c'est aussi savoir composer avec des devoirs afin que l'inégalité incontournable puisse tout de même avoir le reflet du socialement tolérable. Voire du socialement partagé.