Les banques sont-elles parties à l’assaut de la raison ? Le citoyen passif ou le décideur d’un certain rang sont en droit de se poser la question de manière aussi franche et aussi abrupte.
Cette fois, c’est clair : il existe un problème bancaire d’ensemble. Depuis 2007 et 2008, chacun a bien compris qu’il y a des responsabilités bancaires dans la crise que nous traversons, ou plutôt que nous sommes contraints de subir.
L’objectif de cette contribution est de rappeler quelques faits marquants et de tenter de situer les localisations des dysfonctionnements. Dans notre esprit, la future loi bancaire française annoncée pour l’automne devra avoir de l’ambition telle celle de 1984. Au minimum.
Les banques sont-elles parties à l’assaut de la raison ? Le citoyen passif ou le décideur d’un certain rang sont en droit de se poser la question de manière aussi franche et aussi abrupte.
Dans les grands magasins d’autrefois, un liftier annonçait depuis l’ascenseur les rayons auxquels étaient arrivés les clients. Pour les banques, la situation est identique. Loin du commissaire priseur de Walras ou d’un teneur de criée aux poissons qui garantissent la transparence théorique des marchés, les médias nous irriguent d’informations relevant de faits qualifiables de graves. Mais surtout de sérieux.
Quand on y songe, en moins de 5 ans, le grand public aura découvert le métier de trader et ses excès ( Affaire Barings, Affaire Jérôme Kerviel vs Société Générale ), l’illégalité d’une vente et le conflit majeur d’intérêts ( Vente Adidas et Crédit Lyonnais vs Bernard Tapie ), les questions de blanchiment d’argent ( HBUS, filiale nord-américaine de HSBC ), la contribution active à l’évasion fiscale ( UBS ), la manipulation du taux pivot qu’est le Libor ( Affaire Barclays, etc dont la Société Générale et le Crédit Agricole ), les investissements hasardeux à coups de centaines de millions tandis que les frais de la banque de tous les jours ne cessent d’augmenter au détriment des clients, etc.
Chacun conviendra tout d’abord de la taille unitaire de ces égarements et du fait qu’ils concernent des établissements de premier rang. Puis, circonstance aggravante, là où des dispositions semblent avoir été prises ( suites de l’affaire Kerviel ), on découvre néanmoins des problèmes de trading à la fin de 2011 tant pour UBS que pour la vénérable JP Morgan ( près de 10 milliards de dollars ).
Tels sont les faits marquants qui donnent à penser à la fameuse citation de Cicéron : " Quo usque tandem, Catilina, abutere patentia nostra ? " ( Jusqu’à quand enfin, Catilina, abuseras-tu de notre patience ? ). Car c’est bien de patience au sens noble du terme dont il nous faut parler.
Démarrons par l’affaire Kerviel actuellement devant la Cour d’Appel de Paris : l’impression est diffuse mais il est clair que l’autonomie du trader pose question au regard de la notion de subordination salariale. Il flotte un vent d’autonomie voire de clair irrédentisme dans ces salles de marchés qui n’existe heureusement pas dans les lignes d’assemblage de l’avion Rafale. On s’est beaucoup focalisé sur les bonus des traders là où nous pensons qu’il aurait mieux valu s’attaquer à un plafonnement des risques que tout un chacun pouvait faire courir à son établissement.
Des premières déclarations du Président Daniel Bouton à certains entretiens dans les médias, il appert que le top-management d’une grande banque ne maîtrisait que partiellement les rouages d’une salle de marchés. Les récentes déclarations d’importants dirigeants de la JP Morgan sont tout aussi désarmantes. La technologie et l’usage qu’en font certains ont dépassé le système de fonctionnement de l’entreprise. Autrement dit, dans le cas du trading, le principe de Peter a frappé les mandataires sociaux de bien des établissements : cette question ne relève pas de régulation publique mais de gouvernance d’entreprise.
A l’inverse, s’il pouvait être démontré que les dirigeants savaient et monitoraient les salles de marchés, les arguments du pertinent Maître Jean Veil viendraient à être fragilisés puisqu’alors la responsabilité des dirigeants serait engagée ne serait-ce que vis-à-vis des informations trompeuses données au marché et aux commissaires aux comptes.
Nous pensons davantage au principe de Peter qu’à la théorie trop médiatique et fantasque du complot.
Il n’empêche que les banques persistent à vouloir fonctionner dans une bulle et refusent de traiter les questions de fond, de front. Les pertes de la Morgan recevront tôt ou tard, en justice, une explication qui renverra à la cupidité de certains et à la naïveté d’autres.
D’ailleurs, le Conseil d’Etat vient de trancher en ce sens dans le cas de l’assurance-emprunteur où manifestement les banques ont pratiqué des tarifications excessives et donc abusives. En se fondant sur un décret opportunément arraché à l’Etat en 1984 du temps de feu Pierre Bérégovoy. ( Préjudice estimé à 16 milliards d'Euros ).
Prenons maintenant l’exemple du blanchiment d’argent. En l’état actuel des informations révélées, la filiale d’HSBC aurait contribué à blanchir de l’argent venant de la drogue mexicaine, à réaliser des opérations illicites avec des banques du Moyen-Orient et à contourner l’embargo financier affectant l’Iran. On ne sait plus si c’est un inventaire à la Prévert ou le catalogue de La Redoute mais convenons que cela fait beaucoup : " quo usque tandem…."
Sur ce sujet précis, tout semble avoir volé en éclats.
En premier lieu, quid des investigations du Gafi ( Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux ) qui est un organisme intergouvernemental instauré en 1989 par le G7 et qui regroupe plus d’une trentaine de pays sans compter sa collaboration technique avec la Banque centrale européenne ? Organisme utile ou « machin » comme aurait pu le dire le Général de Gaulle ?
En deuxième lieu, quid des déductions du rapport Montebourg-Peillon sur le blanchiment d’argent et des travaux de François d’Aubert ? Le principe du smurfing ( beaucoup de personnes chargées de disséminer les flux d’argent ), le principe du raffinage ( utilisation de petites coupures moins voyantes ), etc ont été utilisées : « business as usual »?
Normalement un logiciel assez courant AML ( Anti-Money Laundering ) a un seuil de sensibilité de 10.000 $ : il a su être contourné. Idem pour les programmes de compliance et le fameux KYC : know your customer.
Concrètement, nous le répétons, les règles ont été contournées ou mises en pièces ce qui, là, posent deux questions : une de responsabilité juridique des auteurs de ces délits, une de refonte de la lutte antiblanchiment. Ce qui vaut par-delà l’Atlantique vaut-il dans l’hexagone ? De quelle épaisseur de blindage dispose la cellule TRACFIN face à ces nouvelles voies de contournement des Lois ?
L’affaire Clearstream, révélée par les travaux de Denis Robert et Ernest Backes, ( distincte de l’affaire entre Messieurs Sarkozy et de Villepin ) avait déjà montré les libertés que la finance s’octroyait avec les règles.
Autant dire que la prochaine loi bancaire, programmée à la session parlementaire d’automne, devra être fondatrice comme le fût celle de 1984 inspirée et analysée en son temps par l’éminent Olivier Pastré.
S’il s’agit de se contenter de séparer les banques de détail des banques d’investissement, cela nous renverra au Glass Steagall Act des années 30 de Franklin Delano Roosevelt et aussi aux écrits préalables ( nous soulignons préalables ) d’Henri Germain, puissant directeur du Crédit Lyonnais il y a exactement un siècle.
Cela peut être constructif mais certainement en retrait des besoins que l’ordre public impose. Oui, lorsqu’un secteur s’émancipe à ce point, et aussi vertement, des lois et règlements, il y a manquement à l’ordre public.
Dans un article relatif au Libor ( voir le site Le Cercle Les Echos ), nous avons rappelé que ce sont des dizaines de bilans qui sont frappés d’inexactitudes à partir du moment où le poste de l’endettement bancaire est représenté par un chiffre inexact du fait des manipulations du taux de référence. Si nous avions vu cela dans un film d’Oliver Stone ( Wall Street ) ou de Michael Moore, nous ne l’aurions pas cru.
Quand on songe à l’ampleur pécuniaire de ses fraudes sur le Libor qui resteront à jamais impossibles à évaluer finement, une autre phrase de Cicéron – auteur plus respectable que certains banquiers contemporains – s’impose à la pensée : " Quem ad finem sese effrenata iactabit audacia ? "
Jusqu’où ton audace effrontée se déchaînera-t-elle ? Oui, cher lecteur, jusqu’où oseront-ils aller ?