Le 11 juin 2019 sur LCI dans l’émission de 24hPujadas, un chroniqueur, François Lenglet nous dit que lorsque « la santé est gratuite, la demande est illimitée » (voir le tweet qui inclut la vidéo ici). Ici, il faut comprendre par santé ce que les économistes appellent les Biens et Services Médicaux (BSM). Ce même chroniqueur nous dit plus loin qu’aux urgences, « On trouve des gens qui n’ont rien à faire aux urgences mais qui viennent car c’est gratuit ».
« la santé est gratuite, la demande est illimitée »
En économie classique, la demande de bien augmente lorsque le prix baisse. C’est une conséquence logique du fait qu’un.e consommateur.trice augmente sa demande de biens lorsque le prix baisse. Lorsqu’il y a compétition, si deux barres chocolatées sont vendu au prix d’une, la demande va augmenter parce que cette marque va récupérer la demande qui se portait auparavent sur les concurrents.
Est-ce que c’est différent sur les marchés des Biens et Services Médicaux (BSM)? Les économistes de la santé les plus standard 1 nous dise que sur le marché des BSM, ce n’est pas parce que le prix baisse qu’un.e consommateur.trice augmente sa demande. Dit en langage vernaculaire, ce n’est pas parce que le pontage coronarien est gratuit que vous en voulez un deuxième 2.
Ceci dit les économistes classiques nous disent que lorsque l’on agrège les demandes individuelles alors la demande va toujours baisser avec le prix parce qu’il y aura plus de monde qui voudront se faire soigner lorsque le prix baisse. Effectivement, on observe une corrélation négative entre le prix et la demande aussi sur les marchés de BSM, lorsque le prix baisse, ou lorsque les personnes sont mieux couvertes (mieux remboursés), lorsque l’accès est facilité, on observe une augmentation de la demande de BSM 3,4.
Est-ce que cette augmentation est dû à une sur consommation ? Empiriquement, il est techniquement assez difficile de savoir si la consommation est dû à un vrai besoin ou si c’est une consommation d’opportunité. Cependant, l’Oregon, Etat pas très riche des E.-U., a mis en place une tombola (gratuite) permettant à celles et ceux qui voulaient y participer d’avoir une assurance santé payée par le gouvernement. En fonction des ressources, les personnes tirées au sort ont bénéficié d’une assurance santé. Cette expérimentation permet de comparer les personnes tirées au sort avec celles qui ne le sont pas. Ces deux groupes de personnes sont en tout point pareil (grâce au tirage au sort) et donc la comparaison de ces deux groupes permet de mettre en évidence l’effet de l’assurance. On observe que la consommation des assuré.e.s augmente, mais aussi que leur état de santé s’améliore 5,6.
En conclusion, lorsque c’est gratuit, la demande de BSM augmente ; cependant cela correspond le plus souvent à un besoin qui permet d’être en bonne santé.
« On trouve des gens qui n’ont rien à faire aux urgences mais qui viennent car c’est gratuit »
Tout d’abord, en France, les urgences sont le seul endroit où il est possible d’avoir accès à des soins sans avoir à sortir le carnet de chèque. Contrairement au Royaume-Uni où la consultation dans un cabinet de médecine générale (GP) est gratuite. En France, le renoncement aux soins pour des raisons financières concernaient 15 % de la population en 20087; si pour ces personnes le problème de santé s’aggrave il est probable qu’elles se retrouvent aux urgences. L’augmentation du nombre de passage aux urgences peut donc être liée à l’augmentation du renoncement aux soins en amont. Effectivement, certaines personnes qui sont aux urgences n’auraient jamais dû être là si elles avaient eu accès gratuitement à un.e professionnel.le de médecine générale plus tôt.
D’autre part, les services de l’hôpital sont dans une contrainte de lits. Ces lits peuvent être occupés pour des raisons sociales, ils sont une manière d’assurer une présence (cas des personnes âgées) ou un toit (personnes sans domicile). La personne qui occupe un lit à l’hôpital pour des raisons sociales et qui est obligé de partir peut se retrouver aux urgences quelques jours plus tard parce qu’elle est tombée (personne âgée) ou est tombé malade (sans domicile). Cependant, la vocation sociale de l’hôpital, qui est historiquement son objectif principal, n’est plus8, mais il n’y a pas d’alternatives.
En conclusion, on peut dire que des personnes vont aux urgences parce qu’elles n’ont pas d’alternatives. Elles n’ont rien à faire là si on considère que l’hôpital n’est pas ce lieu pour les soins non urgents, cependant, il faudrait que l’accès aux soins soit aussi gratuit ailleurs qu’à l’hôpital pour que les patients aillent ailleurs et plus tôt.
- Morris, S., Devlin, N., Parkin, D. & Spencer, A. Economic Analysis in Healthcare. (Wiley, 2012).
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