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Billet de blog 14 janvier 2023

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La Sécurité Sociale : un projet révolutionnaire.

De l'esprit des lumières.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les hommes du CNR se sont posés la question de savoir comment repenser une société plus humaine au sortir de la guerre. Il est donc logique que la question de la sécurité se soit imposée à eux comme une question de premier plan. Ils l'ont traitée sous l'appellation « Sécurité Sociale ».

Il s'agissait d'apporter un sentiment de sécurité à l'ensemble de la population de façon à la libérer de l'angoisse des aléas invalidants que le réel peut produire dans la vie de chacun. Ce sentiment est traité dans la réalité (l’organisation humaine), car il repose sur un ensemble d'institutions pensées pour être capables de prévoir et de répondre aux drames que provoquent de tels aléas.

Il ne s'agit pas de n'importe quels aléas. Il s'agit avant tout de cibler ceux qui altèrent la vie des individus. Les accidents, les maladies, la vieillesse, l'invalidité, et aussi l'arrivée d'un enfant dans la famille. Sur ce dernier point, il faut se souvenir qu'à l'époque il n'y avait ni pilule, ni avortement et que les tabous religieux, en matière de sexualité, planait plus qu'actuellement sur l'ensemble de la population. Malgré les avancées de la science, de la santé et des mesures d'hygiène prise au début du XXe siècle, les deux guerres qui venaient de secouées notre pays ne permettaient pas à toutes les familles de bénéficier pleinement de ces nouvelles avancées et donc de pouvoir gérer l'arrivée d'un nouvel enfant facilement. Là aussi, il fallait apporter une protection pour sauvegarder la vie de ce dernier. Il fallait aussi soutenir une politique en faveur de la natalité après l'hécatombe des deux guerres.

Si nous sommes bien d'accord sur le fait que tout choix politique repose avant tout sur un ensemble de valeurs qui les déterminent, il est important de considérer celles qui ont été à l'origine des préoccupations des membres du CNR. On le voit, la valeur princeps qui sous-tend l'invention de la Sécurité Sociale  est celle de la vie qu'il faut protéger tout au long des parcours individuels en essayant de prévoir et répondre à tout ce qui peut la détruire ou l'altérer. C'est, en quelque sorte, poser des bases sociales permettant à chacun d'avoir le droit de vivre en toute tranquillité, préalable indispensable si l'on veut poser un socle fondateur aux « jours heureux ».

La défense de la vie, suppose de la sécuriser, de la même manière que des parents le font pour leur enfant, ainsi que la vie de tout être vivant le prévoit quand le nouveau né a besoin d'une éducation. C'est aussi la première chose qu'une progéniture attend de ses parents surtout quand, comme c'est le cas pour le petit être humain, il est, dès sa naissance, dans une profonde hétéronomie. Cette sécurité vise à porter protection au corps contre les dangers qui peuvent surgir de l'extérieur comme de l'intérieur du corps.

N'oublions pas que le corps reste la seule chose qui nous soit donné quand on arrive au monde, qu'il est doté d'une tendance à « persévérer dans son être », ce qui l'enferme dans une volonté de vivre, mais que l'on perd, quand il s'arrête de fonctionner, et qu'avec lui, nous perdons absolument tout. Issue aussi fatale qu'anxiogène pour beaucoup d'entre-nous.

L'éducation doit permettre avant tout, pour un individu, de passer de l'hétéronomie à une autonomie suffisante pour qu'il puisse percevoir comprendre et analyser les dangers et ainsi répondre par lui-même aux besoins de son corps. Plongé dans les difficultés du monde social, il sera rassuré de retrouver un prolongement de la sécurité parentale, dont il a pu bénéficier du temps de sa minorité, à travers le dispositif de la Sécurité Sociale.

La sécurité est donc la première chose dont un individu a besoin pour vivre. D'un besoin qui ne se confond évidemment pas avec le désir en cela qu'il est imposé par le corps et non par l'esprit. Ce point est important, car il ne permet pas de faire n'importe quoi avec le principe d'une Sécurité Sociale.

En effet, si les inventeurs de la Sécurité Sociale ne se sont pas posés la question d'y introduire des branches telles que celles de l'armée pour répondre à la sécurité du pays, de la police pour répondre à la sécurité intérieure, de la dégradation des biens matériels qui relèvent des assurances, de l'agression des personnes entre elles qui relèvent de la justice, de l'économie qui relève de la mise en pratique de choix politique et encore moins de la culture qui relève de l'histoire des peuples, c'est parce que, pour eux, ces phénomènes n'étaient pas de même nature que leur objet. Imaginer une sécurité sociale de la morale, de la justice, de l'éducation, du sport, de la jeunesse, etc., n'aurait aucun sens. Pour eux, il fallait d'abord proposer la formation d'une réalité capable de protéger les corps face aux effets du réel, avant de sécuriser les individus face aux effets de cette même réalité. C'est le corps des individus qui est ciblé et non pas les individus eux-mêmes.

En agissant de la sorte, en inscrivant le principe d'une Sécurité Sociale dans les droits fondamentaux et inaliénables de chaque être humain, ils ont donné à cette institution une portée universelle, rejoignant de la sorte l'esprit révolutionnaire des acteurs du siècle des lumières. De fait, la Sécurité Sociale pourrait entrer dans une Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen par sa portée universaliste, c'est-à-dire susceptible de concerner tout individu sur terre, quelque soit son implantation géographique, sa culture, sa religion, ou tout autre particularité qui peut varier dans le temps comme dans l'espace. Elle concerne tout le monde car elle touche aux conditions du vivant.

L'esprit qui préside aux préoccupations de la Sécurité Sociale se veut, non seulement protecteur, mais aussi mutualiste, dans la mesure où son organisation répond originellement aux principes de « de chacun selon ses moyens, pour chacun selon ses besoins ». Une protection de son corps, comme de celui de ceux qui nous entourent, mise en pratique grâce au concours de chacun est une idée qui ne peut que convenir à tous et apparaître comme une institution incontournable auprès de chaque population par son caractère universaliste et son protectionniste. Encore faut-il être dans une perspective égalitaire et solidaire, autres valeurs des fondateurs de la Sécurité Sociale, mais qui pourrait se justifier d'un autre désir auprès de la population concernée ? D'autant que son application ne peut pas être qualifié d'impossible puisqu'elle a déjà fait ses preuves à travers sa mise en pratique depuis Ambroise Croizat, c'est-à-dire depuis 70 ans !

Cependant, on peut se demander si la Sécurité Sociale telle qu'elle existe peut être augmentée, sur les mêmes bases et dans le même esprit, par d'autres besoins liés au corps. On peut, me semble-t-il y ajouter raisonnablement d'autres branches comme celles de l'alimentation pour répondre à l'obligation du corps de se sustenter, de l'énergie pour qu'il puisse éviter d'être impacté par les températures extrêmes, du logement pour qu'il puisse dormir à l’abri des intempéries et les dangers extérieurs... d'autres besoins peuvent venir compléter cette liste dans la mesure où ils restent de même nature, c'est-à-dire dans la volonté de protéger les corps de toute agressions éventuelles issues du réel.

Malgré son implantation au sein d'une société capitaliste qui aurait pu la faire voler en éclats à très court terme, la Sécurité Sociale, bien que malmenée depuis sa création, a su résister aux assauts de ses détracteurs jusqu'à présent. Difficile de la faire passer pour inefficace, injuste ou néfaste. Sa portée humaine et ses qualités font d'elle un sanctuaire difficilement attaquable. Ce sanctuaire le restera tant qu'elle ne sera pas perverti par des tentatives de dénaturation, ce qui m’apparaît comme le danger le plus important à l'heure actuelle. Que l'on songe une seule seconde ce qu'elle serait devenue si ses inventeurs y avait introduit des données issues de la réalité comme ceux cités plus haut ? Nul doute que la confusion des genres aurait alors été, pour les capitalistes, un cheval de Troie permettant d'en assurer sa destruction plus rapidement et plus facilement en la découpant en morceaux pour les vendre au privé. Ce qu'ils rêvent de pouvoir faire un jour.

JBL

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