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Attaché principal territorial | Essayiste aux éditions Armand Colin | Romancier aux éditions Fayard | Membre de l'Observatoire de l'éthique publique (OEP) | Conseiller municipal de Nice et conseiller métropolitain de Nice Côte d'Azur (groupe écologiste)

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Billet de blog 28 septembre 2023

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Sortie de route pour le Grand Prix du Castellet

Suite à mon signalement, le parquet de Marseille a ouvert une enquête préliminaire pour favoritisme, détournement de fonds publics et recel dans la gestion du GIP Grand Prix du Castellet. Le rapport d'audit est accablant.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Au nom du groupe écologiste, j'ai saisi, le 12 juillet 2023, le procureur de la République de Marseille suite aux « graves irrégularités » dénoncées par le président du département du Var dans la gestion du groupement d’intérêt public (GIP) du Grand Prix du Castellet, présidé par Christian Estrosi.

Suite à mon signalement, le parquet a ouvert une enquête préliminaire pour favoritisme, détournement de fonds publics et recel.

Après la présentation du rapport d’audit réalisé par les cabinets Sémaphores Expertise et Fidal, le 12 septembre 2023, Renaud Muselier reste dans le déni : « Ce qu'on nous avait annoncé comme une montagne a accouché d'une souris ! ». Et pour Christian Estrosi, « il est temps que cessent les mensonges et les accusations et que chacun assume ses responsabilités »...

Ces réactions sont lunaires tant le rapport d’audit est, au contraire, accablant. D’ailleurs, après sa lecture, le département du Var, la métropole de Toulon et la communauté d’agglomération Sud Sainte Baume – qui sont membres du GIP – ont saisi, à leur tour, le parquet.

Que nous apprend l'audit ?

Une grande opacité

Le cabinet d’audit se plaint, à plusieurs reprises, de ne pas avoir eu tous les documents nécessaires à l’accomplissement de sa mission :

  • « Il ne nous avait été transmis aucun élément relatif à la comptabilité de l’exercice 2023 à la date du 31 juillet 2023. »
  • « Notons qu’il ne nous a pas été remis de fichier Excel de suivi des différents marchés ni de tableau de bord des prestations externes permettant de vérifier les modalités de suivi de la consommation des budgets alloués. »
  • « Nous n’avons pas eu connaissance du projet de rapport [du commissaire aux comptes] au titre de l’exercice 2022. »
  • « L'analyse comparative des budgets et du réalisé années par années ne comprend pas les années 2018 et 2017 car les éléments n'ont pas été portés à notre connaissance. »
  • « Cette analyse est partielle car seules certaines catégories de dépenses ont été budgétées, comme indiqué supra, les outils de reporting mis en place au sein du GIP et les différentes nomenclatures sont décorrélés des comptes comptables ce qui rend complexe la réconciliation des données. Aussi n’avons-nous pas été en mesure de procéder à une revue exhaustive de l'ensemble des dépenses et des recettes. »
  • « À titre liminaire, il convient d’indiquer qu’aucune liste précise des contrats conclus par le GIP ne nous a été communiquée. […] Plusieurs demandes de documents ont été effectuées envers le GIP. Pour autant, de nombreux documents demeurent encore manquants, ce qui ne nous permet pas d'aboutir à des conclusions certaines sur plusieurs contrats. Le présent rapport est donc basé sur les documents qui nous ont été transmis les 27 juillet et 29 août 2023. »

100 millions pour les contribuables

Entre 2017 et 2023, le GIP a englouti 67 millions d’argent public pour organiser 4 éditions du Grand Prix (l’édition de 2020 ayant été annulé à cause de la Covid), dont 12 millions ont été versés par la métropole Nice Côte d'Azur.

Et il reste encore une ardoise de 32 millions d’euros à régler, dont 5 millions ont déjà été réglés par la métropole Nice Côte d'Azur.

Des montants de rémunération surprenants

La masse salariale a augmenté de 157 %, entre 2018 et 2022. La politique salariale laisse songeur le cabinet d'audit :

  • « Les évolutions de la masse salariale enregistrées au cours de la période récente ont été particulièrement avantageuses pour les salariés, […] avec une moyenne d’environ 9 % pour tous les collaborateurs sur l’ensemble de la période. »
  • « Les modalités de détermination de certaines primes pourraient être considérées comme pénalisantes sur le plan économique pour le GIP, compte tenu d’une part de l’impact significatif des primes versées sur les comptes annuels, et compte tenu d’autre part des résultats enregistrés par le GIP au moment du versement des primes. »

Le directeur général du GIP était payé 28 000 euros par mois, en 2021 et 2022 ! Rappelons qu’il y a seulement 20 salariés permanents, au GIP…

Le cabinet d’audit s’attarde longuement sur le cas de l’ancien directeur général (2017-2019), rémunéré 17 000 euros par mois :

  • « Monsieur [D] a cessé d’exercer ses fonctions de Directeur général du GIP le 9 décembre 2019 (date à laquelle le conseil d’administration du GIP a pris acte de sa démission). La mise à disposition de Monsieur [D] a toutefois été maintenue jusqu’au 31 août 2020 sur d’autres fonctions (chargé de mission mobilité). Monsieur [D] étant toujours mis à disposition du GIP en qualité de chargé de mission, il a, à ce titre, perçu une rémunération. Le montant de sa rémunération complémentaire n’a toutefois pas été modifié alors que ce dernier n’exerçait plus les fonctions de directeur général. […] Enfin, les raisons ayant motivé le maintien de l’intégralité du complément de rémunération versé par le GIP à Monsieur [D] ne figurent dans aucun des documents qui nous ont été communiqués. »
  • « Les missions réalisées à ce titre par Monsieur [D] n’ont pas été définies de façon précise. […] Sur la période considérée et compte tenu des circonstances susmentionnées [annulation de l'édition 2020 à cause de la Covid], aucun rapport formel n’a été demandé à Monsieur [D] et sa contribution a consisté en de nombreux et réguliers échanges avec la Direction générale du GIP. Aucun mail, ou PV de réunions ne nous ont donc été communiqués. » 

Le rapport relève également au moins deux cas d’agents qui cumuleraient irrégulièrement leurs fonctions au sein du GIP avec un autre emploi.

Enfin, on apprend qu’un cabinet d’avocats a perçu la somme astronomique de 3,5 millions d’honoraires, entre 2017 et 2023, pour des prestations de conseil juridique et de conseil en gestion sportive. On comprend mieux pourquoi certains élus cherchent à devenir avocats !

Des marchés publics passés sans mise en concurrence

Pire, ce ruineux cabinet d’avocats, qui avait notamment en charge la « gestion des marchés publics », ne semble pas avoir été à la hauteur si l’on en croit le cabinet d’audit qui relève les nombreuses irrégularités suivantes :

  • « Les six marchés Sport ont été conclus sans publicité ni mise en concurrence préalables […]. En conséquence, nous ne pouvons qu’émettre des doutes sérieux quant à la régularité de la passation de ces six marchés sans publicité ni mise en concurrence. »
  • « Deux des quatre marchés [juridiques] ont été passés sans publicité ni mise en concurrence préalables […] En conséquence, nous émettons aussi de fortes réserves quant à la régularité de la conclusion de ces deux marchés sans publicité ni mise en concurrence préalables […]. Le dernier marché de prestations juridiques (notifié en janvier 2021) a été passé après une procédure de mise en concurrence (procédure adaptée). Pour autant, la procédure suivie ne semble pas être totalement exempte de critiques dans la mesure où certains éléments du dossier de consultation nous paraissent de nature à avoir favorisé le cabinet [C]. »
  • « À la lecture des éléments du dossier, nous ne pouvons également qu’émettre de forts doutes sur le bien-fondé de la passation de ce marché entre le GIP et la société [M, média sportif automobile] sans publicité ni mise en concurrence préalables. »
  • « À la lecture des éléments du dossier, nous ne pouvons qu’être sceptiques quant au bien-fondé de la passation des marchés [de mise à disposition de matériels] entre le GIP et la société [J] sans publicité ni mise en concurrence préalables. »
  • « Certains contrats [de traiteur, boissons ou restauration] ont été passés sans mise en concurrence sans raison apparente et l’analyse en détail des procédures suivies fait apparaître un certain nombre d’incohérences que nous ne sommes pas en mesure d’expliquer au regard des seuls éléments transmis. »

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