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Billet de blog 1 décembre 2015

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Attentats, les suites : vers un inévitable et si prévisible "tragique" ?

(brève tentative de recalage de la focale)

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C'est dans l'effervescence de 68, l'année de mes 16 ans que l'hypothèse confuse de cet avenir tragique a germé dans mon esprit. Un bail !
Et depuis elle n'a fait que se préciser, comme une sorte "d'inéluctable" qui pourtant devait être évité et pourrait probablement l'être, en dépit de prémices toujours plus alarmantes. Il faut bien préserver cet optimisme nécessaire à l'insouciance que suppose un quotidien heureux (insouciance n'est pas inconscience).
Mais voilà qu'aujourd'hui elle me rattrape avec éclat.  
1968, c'était aussi la guerre du Biafra et autant qu'il m'en souvienne une période d'affichage médiatique assez intense du mouvement dit des "non alignés"... l'Inde d'Indira Ghandi, l'Egypte de Nasser...
Et la guerre des six jours avec le drame palestinien qui venaient de nous sauter à la gueule l'année précédente.
Puis il y eût le Bangladesh, un cyclone dévastateur suivi d'une guerre.
Vinrent ensuite les deux chocs pétroliers successifs de 1971 et 1973, le terrible assassinat d'Allende et du rêve chilien.
Et pendant ce temps, cette guerre du Vietnam (d'origine française), qui n'en finissait pas.
Il y eût aussi la présidentielle de 1974 et la candidature de René Dumont.
Puis le Vietnam encore, avec les boat-people.
Toute une série d'évènements qui faisaient sens, qui dans notre France travaillée en profondeur par son passé colonial peu reluisant et son terme algérien tragique encore chaud, je repense aussi à l'assassinat de Ben Barka qui avait si profondément indigné mes parents quelques années plus tôt, toute une série d'évènements donc qui convergeaient et construisaient touche après touche l'image toujours plus précise d'un monde futur englouti par la guerre ultime des riches contre les pauvres.
J'étais sans doute frappé de ce que l'on a appelé le "tier-mondisme", avec cette pensée, absolument pas théorisée mais très vive, que l'opposition entre les deux blocs, communiste et capitaliste, sous le régime de la "guerre froide", n'était que factice ou du moins n'avait aucun avenir et ferait tôt ou tard place à cette  guerre mondiale des riches contre les pauvres.
Et cette idée impliquait évidemment qu'en réalité c'était bien le bloc communiste dominé par l'URSS qui était factice, c'est dire incapable de servir l'idéal dont il se réclamait. Un "tigre en papier"... l'illusion chinoise fut d'ailleurs assez vite dissipée, ne serait-ce que par le comportement de ces colporteurs ; et la tentation trotskyste de même. On n'en pouvait plus de ces logorrhées obsessionnelles des uns et des autres, et de leurs certitudes péremptoires assénées avec autant de naïveté que de suffisance simpliste. Un côté insupportable et dérisoire...  
Enfin bon... peu importe les détails, avec notre Larzac, nous avions alors du grain à moudre, concrètement. Obscurément, mais concrètement, faire sa part, selon son coeur, là où on est et au nom d'une seule certitude, savoir et partage des savoirs sont les deux mamelles de la seule révolution qui vaille. Et c'est ainsi que je taillais ma route vers l'éducation populaire. Du moins le pensais-je sincèrement et sans guère de nuance à l'époque.
C'était commode, j'y trouvais en même temps mon gagne pain (... ne pas être dupe de soi-même).
Soit une longue plongée d'environ 35 ans dans une pratique professionnelle intense, très intense et qui au début (une bonne décennie) ne laissait pas beaucoup de place aux échos du monde. L'activisme est une drogue facile.
C'est la chute du mur puis l'effondrement de l'URSS qui m'ont sorti un peu avant l'heure de la douce et sournoise torpeur de l'ère mitterrandienne, comme reprise de cette marche en avant vers l'affontement généralisé des riches contre les pauvres.
Avec la construction européenne comme objet ambivalent de cette dynamique, et donc motif légitime d'une prise de parti.
Contre le nationalisme et l'illusion souverainiste, définitivement (même après avoir lu Lordon, avec application), oui à l'Europe. Mais comment éviter qu'elle soit exclusivement un instrument des riches contre les pauvres, si ce n'est en s'obstinant à ne pas la laisser aux seules mains des riches ? (1)
Nous y voilà, presque.
Je passe sur tout ce qui est venu, et qui vient toujours, des horreurs post-coloniales en Afrique, des crises afghane et irakiennes, du 11 septembre et de l'insondable connerie héritée du duo Reagan-Thatcher, tout a été dit et fort bien analysé par tout un tas de gens. Et rien ne vient faire dévier la trajectoire.
Il ne reste après ce 13 novembre, que le triste sentiment qu'une marche de plus a été franchie pour prix de sacrifices doublement insupportables, aléatoires et mystificateurs.
Il ne reste que le triste spectacle de discours égarés et de querelles indécentes. 
Et la perception désespérante des limites encore une fois repoussées (sous la houlette de ceux qui ont prétention à parler en notre nom et à nous guider) de notre impuissance collective à nous débarrasser des récits patriotiques et religieux également, tragiquement et définitivement mystificateurs.
Sans masque, à visages découverts, la guerre des riches contre les pauvres pourrait ne pas avoir lieu.
Comment faire tomber les masques ?
Comment ne pas nous laisser tromper de guerre ?

Et... si c'était moins grave qu'on le dit ?
 
(1) Cette formule interrogative parfaitement théorique et limite inconsistante appelle bien sûr un argumentaire, soit de nombreux développements, trops longs ici. Disons, en forme de synthèse expéditive, qu'elle repose sur l'exacte réplique de la théorie lordonienne selon laquelle, en substance "il ne faut pas laisser la nation aux forces du mal". Soit également, en arrière plan, une analyse divergente de ce en quoi consiste la dynamique de mondialisation, et probablement aussi de ce en quoi consiste la démocratie. Le dernier billet de Lordon "Ce que nous pouvons" est intéressant, comme prélude à un ajustement potentiel en germe. Improbable toutefois à l'orée des glaciations hivernales. 

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