Je ne sais pas vous, mais moi, il m'arrive fréquemment et nuitamment, au petit matin plus précisément, de me réveiller avec comme une idée forte dans la tête.
Une idée... obsédante serait excessif, disons... une idée inchassable, qui mobilise l'esprit, en appelle d'autres en d'improbables articulations et revient, même après avoir allumé la radio et prêté une première oreille aux titres du jour. Ce matin je fus cerné.
Je me suis donc réveillé ce matin vers 6h, avec la fécondité féminine en tête... comme critère d'évaluation du degrés d'évolution des sociétés.
Aussitôt, je m'assaillais d'objections vertueuses et humanitaires... comment donc ? Espèce d'apprenti anthropologue occidentalocentré à la noix veux-tu bien te taire.
C'est alors que Barak a débarqué, confronté à la mise en échec probable de sa réforme du système de santé publique et à la mise en chômage technique des fonctionnaires US par le refus du congrès de voter le budget de l'état.
Je me suis dit, tiens... voilà encore un dirigeant qui essaie de faire évoluer positivement les choses et en douceur, et qui se retrouve coincé par les réacs alors qu'on n'arrête pas de lui taper dessus, parce qu'il n'en fait pas assez, qu'il est décevant, que finalement il n'est peut-être pas aussi de gauche qu'on l'espérait et qu'en fait s'est un vendu.
Un peu comme ici...
Quand la gauche, surtout celle qui se croit à gauche de la gauche, mais l'autre aussi, comprendra-t-elle à quel point il est difficile d'engager le changement, à quel point les ressorts du conservatisme sont puissants, à tout propos, tout le temps, même pour des causes en apparence évidentes et surtout, à quel point il est difficile, hasardeux, de compter sur l'opinion publique et de la mobiliser. Les sociétés sont profondément rétives au changement.
Et sur ces entrefaites, Vincent Peillon a débarqué à son tour. Par l'entremise de l'inénarable Coppé. Et de son appel à pétition pour le report, c'est à dire l'enterrement de la réforme des rythmes scolaires. Avec, selon le chroniqueur ou la chroniqueuse (joli mot valise chroniqueuse) appelé à la rescousse par la radio, un succès d'audience garanti, tant cette réforme fait de mécontents, des parents d'élèves (électeurs par ailleurs) aux élus locaux, de droite comme de gauche !, en passant par les enseignants, les personnels communaux etc. etc... à quelques mois des municipales. Une réforme qui serait donc appelée à devenir le prochain boulet du gouvernement.
Je me suis dit tiens... là, on va voir ce qu'on va voir, la France profonde et conservatrice va s'en donner à coeur joie, Vincent est mal barré (et j'ai pensé à Barak).
J'attends au tournant les élus PS, soit-disant de gauche (j'ai quelques exemples sous la main pas piqués des vers), et aussi les ceux, élus ou pas, soit disant à gauche de la gauche... on va voir.
C'est qu'à mon avis, la réforme du Vincent, aussi timorée a-t-elle pu paraître et a-t-elle pu être décriée en tant que réforme de l'école, est en fait sacrément ambitieuse et possiblement subtile au plan politique. Mais justement, au plan politique nous y voici... assez tardivement à mon avis dois-je dire, et avec surprise.
Car en fait, cette réforme, pour donner de bons résultats demande d'énormes moyens (et Vincent ne peut pas ne pas le savoir), bien supérieurs à ce qui a été consenti, dans la quasi totalité des cas me semble-t-il. Et, ce faisant, elle impose implicitement, ou devrait imposer, dans les conditions de pénurie budgétaire généralisée que nous connaissons, d'importants transferts (accompagnés d'un dispositif national de péréquation très conséquent). Soit normalement (mais sommes nous en état de normalité ?) de beaux débats en perspective, et logiquement la promotion de l'éducation au rang effectif et non plus seulement discursif, de priorité des priorités des politiques publiques. Dans le contexte de crise économique et sociale actuel, c'est chaud ! Et ce n'est pas pour me déplaire, tant je suis convaincu, et de plus en plus, que c'est bien par l'entrée de l'éducation que nous arriverons peut-être à relancer politiquement la machine progressiste. Au court terme, par la nécessaire pédagogie de la chose auprès des citoyens que nous sommes tous (c'est là le tournant où l'on va pouvoir juger nos élus de gôche), et au long terme, parce que vraiment... s'il y a UN investissement productif à faire, n'en déplaise à Montebourg... et à d'autres...
Et c'est là que revient ma matinale fécondité féminine.
S'il est généralement admis (chers amis anthropologues corrigez moi si besoin) qu'en effet ce taux témoigne de "l'évolution" des société et que sa diminution est corrélé avec le niveau de technicité atteint, ses contreparties négatives me semblent être, d'une part l'atomisation bien connue de la société en familles nucléaires, et d'autre part un surinvestissement sur l'enfant (abusif au droit de ses propres intérêts). Soit paradoxalement, une possible perte sur le temps long (historique) du sens commun des enjeux et de la culture de l'émancipation, et simultanémt le délitement des liens sociaux élargis. Et ce paradoxe est me semble-t-il, en tant que tel, éminemment toxique.
Et c'est bien pourquoi j'aime bien la "réformette" de Vincent dont je pense que l'enjeu sousjacent, va être en effet d'engager le changement d'école (et non pas changer l'école) comme premier pas vers un changement plus large et profond. (N'avait-il pas commis d'ailleurs en 2008, "La Révolution française n'est pas terminée".)
Chose drôle, il fut aussi question ce matin à la radio (France Info) des taux de fécondité comparés.
Je vous le dis, ce matin, j'étais cerné.