C'est le billet de Samuel (lien) qui m'a décidé.
Voici donc, en guise du rebond (qui n'est pas réponse, dois-je préciser) que je lui ai promis, ma perception personnelle de cet affrontement si fréquemment invoqué (pour ne pas dire ressassé) de "la pensée 68" avec notre réel de ce 21ème siècle débutant.
Un affrontement en réalité trentenaire et dont l'issue est parfaitement résumée par l'expression on ne peu plus signifiante de "soixante-huitards" dont la vocation générique explicite, fut souvent soulignée par l'adjonction du vocable "attardés", il s'agit donc d'une condamnation. Sans appel.
Attardons-nous donc un peu.
L'exercice est par définition subjectif... rien de ce qui suit n'a donc prétention à vérité généralisable.
Il ne s'agit pas là simplement d'une remarque de style, mais aussi d'un premier élément, et non des moindres, de réfutation du procédé en quoi consiste l'appellation "soixante-huitards"...
Donc,...
Samuel témoigne je pense d'une situation relativement commune et bien réelle, moi même d'ailleurs suis "confronté" à quelque chose d'assez proche.
Son père avait 18 ans en 68, j'en avais 16.
Lui même a 28 ans aujourd'hui et ma plus grande en a 23.
Elle me dit à peu près ce qu'exprime Samuel.
Alors...,
Pour faire court, disons que j'ai personnellement un peu l'impression de sortir d'un tunnel long d'une grosse trentaine d'année, ou alors d'un long séjour en hermitage.
Tout d'un coup il y a de nouveau plein de monde, des tas de gens qui discutent, qui disent que ça ne peu plus durer comme ça, que le système est fou, qu'il faut sortir de la consommation, reconstruire les solidarités, restaurer la démocratie, en finir avec les politiques sécuritaires, discriminatoires et répressives, avec l'inhumanité du capitalisme et l'exploitation irresponsable des ressources naturelle, il y en a même qui veulent retirer leur fric des banques ou vivre dans la frugalité heureuse... j'en passe et des meilleures.
Il faudrait bien sûr rentrer dans les détails, creuser au delà des slogans... (c'est d'ailleurs ce qui se fait, ici à Médiapart, comme partout ailleurs, au grès de l'incroyable profusion d'espaces de débat favorisée par l'internet), mais je dois dire que je ne vois globalement dans tout ça que la confirmation des analyses et des idées que j'ai personnellement construites à travers mon vécu de 68 et que j'ai retenues depuis.
La vraie nouveauté et elle est de taille, c'est qu'en ce temps là, l'avenir était souriant, nous avions confiance en nous-mêmes, aujourd'hui les gens se suicident. Ce n'est pas par hasard.
On nous a très vite expliqué que nous étions des "soixante-huitards attardés", doux idéalistes romantiques... trente an de tunnel ! (Au passage... il est fort intéressant de regarder d'assez près, qui s'est chargé de faire la pédagogie des "soixante-huitards attardés". Pour ma part, j'ai systématiquement reçu cette leçon de ceux qui, eux-mêmes soixante-huitards de quelques années mes ainés, se sont vite reniés à l'approche des années 80, et qui nous ont concocté le mirage de 81).
En attendant tout ce qui avait été dit et pensé en 68 a été simplifié et caricaturé à outrance, ou est passé aux oubliettes, toutes les dérives et les dangers, déjà dénoncés, se sont accomplis, et nous voici devant le résultat... catastrophique et pourtant si prévisible.
Alors oui, il n'est pas inintéressant d'identifier les responsables qui ont fabriqué cette représentation méprisante et dédaigneuse pour mieux justifier leurs abandons et leur allégeance de fait à cette bonne vieille TINA. Car ils ont aujourd'hui quelque mal semble-t-il à se renier une seconde fois... pour le coup dans le bons sens..., et il serait fort dommageable qu'ils réussissent à nouveau à nous bercer d'illusions, quand on ne peut plus leur faire le crédit de l'innocence, sauf à les prendre pour des benêts.
Sauf que le mal qui a été fait est considérable, et il a essentiellement consisté à erradiquer la liberté de pensée (ou de penser), au nom d'un soit-disant réalisme dont les résultats laisse rêveur. Il y a vraiment de quoi se demander qui était attardé.
Tout ça ne veut pas dire pour autant qu'il faudrait cultiver béatement un 68 mythique dans lequel il n'y aurait rien à jeter.
Sûrement pas.
La simplification serait aussi nuisible dans ce sens qu'elle le fut dans l'autre.
Et parmi les analyses critiques de 68, il y en a une tout à fait intéressante que développe Bernard Stiegler dans le tome 3 de "Mécrance et discrédit" intitulé "L'esprit perdu du capitalisme" (Galilée 2006), je me permets Samuel de vous la recommander.
Merci pour votre billet,
et autorisez comme signature ce clin d'oeil :
Bien cordialement
Un soixante-huitôt.