Vous savez bien... c'est l'histoire... du ver qui hurle le soir au fond du bois.
Maurice appelle ça "des cussons" (prononcer cussous, en trainant bien sur le s final).
Le grenier de grand mère en est plein, surtout ses vieilles chaises, et le vieux buffet, qui lui date de l'arrière grand mère.
La nuit, quand il n'y a plus de bruit, en colant bien son oreille, on les entend hurler.
Ils sont là, dans le bois. Et ils travaillent, ils creusent, ils sapent. Et on ne les voit pas.
Et parfois ça craque... ça craque sec, la haut dans le grenier.
Une ou deux fois par an, on y monte pour aérer... manière... comme on l'a toujours fait... des fois qu'il y ait du nouveau... et on ouvre en grand l'ancien portail qui servait autrefois à monter le foin pour les chevaux. La poulie est toujours là, sous la génoise, pendue à sa poutre au dessus de la rue. Faut pas avoir le vertige.
Alors, dans la lumière, apparaît tout le bric à brac empoussiéré. Les vieux lits en fer, d'autres en bois, démontés et entassés de champ, un sommier à ressorts, des vieilles fenêtres, des chaudrons, une armoire sur ses cales, des caisses plus au moins vides, une malle en bois, un poële, un moine, il y a même un ancien fauteuil d'aisance, et aussi des tuiles empilées contre le mur, un landau, et tout au fond, près de l'escalier, les chaises et le buffet.
Et là, quand les rayons du soleil viennent en fin d'après midi raser par dessus les toit d'en face, on voit sur le plancher les petits tas de poussière de bois, fine, fine comme de la farine. Ils sont bien alignés, sous les barreaux des chaises et le long du buffet, à la verticale d'innombrables petits trous parsemés dans le bois, et qui qui disent son âge.
Les vers on bien hurlé cette année encore, dans le silence du grenier.
Et c'est à ce moment qu'habituellement surviennent les lamentations de la descendance... "il faudrait bien faire quelque chose"...
Mais au soir, le portail se referme et le buffet imperceptiblement s'affaisse.
Avec les vieux meubles, il y a deux écoles.
Il y a celle des amoureux du bois... pâte, colle, mortaises, tenons, essence de thérébentine, encaustique et huile de coude. Lunettes demi-lunes et doigts agiles, ils font des prouesses, ne comptent pas leur temps, ils savent la vie et disent-ils la valeur des choses. (Pour les initiés, je dirais que ce sont des Félix.)
Et puis il y a celle des optimistes... scie, hache, attelage, remorque, essence ordinaire, alumettes et coup de rein vigoureux. Bleu et gants de travail, une bonne bière pour s'en remettre, ils n'attendent pas les autres et demain disent-ils sera un autre jour. (Ce sont des Maurices)
Mais, j'oubliais... il y a aussi l'école des lamentations... de loin la plus nombreuse, celle qui rempli les greniers, époussette de temps en temps, laisse les vers hurler dans le silence... et hurle à son tour mais sans raison, quand d'aventure un ver vient à tomber de son trou. Il est déjà mort.
Tandis que le vieux buffet n'en finit pas de mourir.
Billet de blog 4 avril 2013
La république vermoulue, les lamentations et les vers qui hurlent.
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