Pour des raisons professionnelles je suis actuellement confronté à l’une des manifestations de ce que j’appelle la déconstruction sournoise mais que l’ont peut aussi appeler la dérive régressive.
Le vrai problème posé est celui des complicités irresponsables qui l’autorisent.
Autrement dit, nous en sommes tous les témoins passifs, parfois même les acteurs involontaires ; exemple.
Le « débat » n’est pas nouveau mais il est en coulisse. Depuis des décennies il a même été ignoré par ses propres tenants, à une époque ou la croissance permettait encore de ne pas être trop regardant ni sur les conséquences, ni sur les principes, elle était partageuse de miettes suffisantes pour hélas endormir toutes les vigilances. Et c’est bien là qu’est en fait tout le problème.
Par chez nous, où le « progrès » arrive à pas comptés, c’est donc ainsi qu’est revenue sur le tapis et en catimini, mais dans un tout nouveau contexte, l’imposture de la redistribution sociale privatisée.
L’affaire est très concrète.
Il s’agit tout simplement des allocations familiales, c'est-à-dire de la CAF, ou encore de la branche « famille » de notre mythique Sécu, et des prestations qu’elle sert aux familles.
En clair l’un des piliers de notre solidarité nationale ; rien que ça.
Parmi ses prestations : ce que l’on appelait autrefois « les bons CAF » qui permettent aux familles modestes via le système « du tiers payant » d’inscrire leurs enfants dans les centres de loisirs à moindres coûts selon leurs revenus (indexation de la valeur nominale des « bons » aux revenus), à quoi s’ajoute, une aide forfaitaire, par journée d’ouverture et par enfant, versée directement aux organisateurs de ces centres de loisirs (associations ou collectivités locales) et appelée dans le jargon PSO (prestation de service ordinaire).
Voilà t-il pas que notre bonne CAF départementale décide, soudain pour 2010, de se mettre en conformité avec une directive nationale (de la CNAF donc), datant de Juin 2007 (à pas comptés disais-je).
Laquelle directive stipule que pour avoir droit à la PSO, les centres de loisirs devront désormais mettre en place une tarification dégressive de leurs droits d’inscription, autrement dit du prix qu’ils facturent aux familles, en fonction des revenus des dites familles classées par tranches de Q.F. (quotients familiaux).
La fameuse PSO vaut actuellement 3,57 € soit chez nous environ 15% du prix de revient moyen de l’accueil d’un enfant pour une journée. Autant dire qu’elle est indispensable pour des structures dont l’objectif n’est pas de faire des bénéfices, mais de prendre soin des enfants et de rendre service à leurs familles, modestes à 90% des cas (c’est une de leurs raisons d’être… aux structures), et s’évertuent pour cela à d’incertains équilibres de gestions acrobatiques au prix bien souvent de la précarité de personnels sous payés et dans tous les cas d’une débauche de tracasseries administratives et gestionnaires pour leurs responsables bénévoles.
Aux conseils d’administration des CAF et de la CNAF, siègent 8 représentants des organisations syndicales de salariés, 8 représentants du patronat et des travailleurs indépendants, 4 représentants des associations familiales et 4 personnes dites « qualifiées » désignées par les services de l’Etat.
Voici donc que ces aréopages réunis successivement et en cascade décident en toute tranquillité d’user impunément de ce pouvoir discrétionnaire que leur confère la gestion des deniers publics, à eux dévolue par la puissance publique, pour contraindre l’initiative locale au beau principe du « à chacun selon ses moyens » et de « la contribution proportionnelle » au bien commun.
Et d’aucuns de s’esbaudir, de se répandre en louanges et en éloges pour une aussi grande victoire et belle réussite de la pensée sociale… quasi socialisante à les en croire.
D’ailleurs, la chose avait été déjà convenue de longue date (quelques décennies) et avec l’assentiment empressé de la plupart des associations du tourisme social et des syndicats « ouvriers » (via les comités d’entreprise), gestionnaires par ailleurs des établissements du secteur contigu, des villages et autres colonies de vacances.
Pourtant, à y regarder d’un peu près quelque chose ne tourne pas rond.
Revenons à nos centres de loisirs pour enfants, dont la valeur en l’occurrence exemplaire le doit à leur évidente utilité quotidienne ou presque pour un si grand nombre d’enfants.
Qui dit dégressivité tarifaire dans un système qui ne vise qu’à servir le plus grand nombre et prioritairement ceux qui en ont le plus grand besoin, c'est-à-dire les plus modestes, et n’ambitionne rien de plus que l’équilibre, impose :
- que toute baisse soit corrélée à une hausse équivalente pour préserver l’équilibre et la pérennité du service,
- et que toute hausse entraine l’exclusion économique d’une partie des enfants… et la perte des ressources que représentent leurs droits d’inscription,
Dès lors, il ne reste qu’une solution, solliciter un peu plus la collectivité publique locale, c'est-à-dire le contribuable.
Or il se trouve que ce n’est certainement pas à Neuilly, au Cap d’Antibes ou dans le XVIème que les enfants et leurs familles ont le plus besoin de ce genre de service (quoique… mais c’est un autre débat).
Au nom du principe, social s’il en fut, du « faire payer chacun selon ses moyens » et de la « contribution progressive », notre petit casse tête arithmétique local cache en réalité plus d’une perversion.
Celle qui consiste donc en transférant du national au local (à travers ce qui semble à priori n’être qu’un partage) la charge de la solidarité, à en nier très concrètement le principe en prétendant le servir.
(Et il y aurait bien des extrapolations à développer qui justifieraient de reconsidérer avec pertinence, à la fois les principes directeurs de la décentralisation telle qu’elle a été conçue, et ses pratiques actuelles revendiquées par une classe politique territoriale par ailleurs majoritairement de gauche... C’est aussi un débat qu’il faudrait instruire.)
Corollairement cette autre, toute aussi concrète, qui consiste tout simplement en dépossédant partiellement de sa mission l’institution mandatée par la puissance publique pour gérer la redistribution sociale, à relativiser voire discréditer le bien fondé de cette institution, et de son mandant.
La plus pernicieuse enfin qui fait de cette institution, de ses personnels dirigeants et de ses responsables élus, les agents directs de leur propre négation.
La chose prend tout son relief et la duplicité de l’affaire se mesure d’autant plus quand on sait qu’à son origine sont invoqués par les responsables en question, les impératifs de bonne gestion de l’argent public.
Argument imparable et frappé au coin de la probité républicaine s’il n’était soupçonnable d’accompagner les restrictions politiquement décidées pour redressement des comptes sociaux de la nation, à coup de LOLF et de RGPP.
Or c’est précisément le cas, et c’est ainsi que par les deux bouts se déconstruit bien tranquillement et avec l’assentiment général le projet républicain ici incarné pour le soin accordé aux enfants ; quand simultanément fleurissent les discours et les décisions pour la réduction de l’impôt, les exonérations de charges sur les salaires et plus généralement toutes les formes de la contribution au bien commun.
Comment pourrait-on en effet assumer les dépenses financées en l’occurrence par les cotisations URSSAF quand on s’échine par ailleurs à discréditer ces cotisations et à multiplier à foison les exonérations ? C’est le principe d’une politique régressive qui s’auto-justifie.
Mais la chose ne se contente pas d’être pernicieuse, elle devient ouvertement indécente quand s’ajoute au transfert le désengagement. C'est-à-dire en effet la diminution des moyens alloués, la diminution non seulement en part relative mais en valeur absolue des sommes, sonnantes et trébuchantes, nationalement redistribuées à leurs destinataires, en l’occurrence la diminution de la valeur nominale des « bons Caf » accordés aux familles. Alors même que les augmentations tarifaires imposées au nom de la dégressivité, posée en principe, vont mécaniquement réduire l’assiette de versement de ces bons par l’exclusion des familles qui pourraient y prétendre.
Coup double, jackpot ! mécanique d’entrainement de l’économie escomptée à effet exponentiel garanti pour nos champions de la bonne gestion, grands serviteurs convaincus de l’intérêt général.
L’impact immédiat de ma petite anecdote provinciale est anodin, et mon exposé fleure bon le combat d’arrière garde, voire l’enfonçage de portes ouvertes.
Ne serait-ce qu’au droit du secteur d’activité concerné, c’est un fait dont je me suis accommodé.
En revanche, il me devient de plus en plus difficile de m’accommoder de l’imposture, du cynisme et de l’irresponsabilité.
Que font, qu’ont fait et que vont faire ces représentants syndicaux, ces personnes qualifiées, et ces représentants des familles ?
Qu’elle est leur culture ? Qu’elle est leur conscience ? Qu’elle est leur intelligence du mandat qui est le leur ?
Qu’est-ce qu’ils font là !?
Et dans l’autre registre, celui qui devrait cultiver le sens de l’intérêt général, irriguer la société civile de sa pensée auto proclamée progressiste que ne voit-on !?
Décentralisation ! démocratie participative ! proximité !... que n’entend-on !?...
Qui ne participe en réalité en redécouvrant l’eau chaude tous les quatre matins, que de cette déconstruction sournoise, de cette perte de sens et de ses complicités irresponsables.
Bon appétit pour les régionales.
Il est vraiment urgent de refaire un peu de politique.
Tiens !
Arnaud Montebourg ! ce matin (mardi 19 janvier 2010) ! sur France Inter (chez Demorand) ! nous a fait part de sa découverte (voir la découverte).
Presque dans le mille.
Il vient de découvrir les indes, à ce train il sera bientôt en amérique, ne perdons pas espoir 1789 se profile à l’horizon.
(« Pas de bol pour lui », il l’ouvrait quand je concluais ce billet.)
Billet de blog 19 janvier 2010
de la déconstruction sournoise et des complicités irresponsables...
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