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Billet de blog 19 octobre 2016

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"primaires"... La mort en direct.

Comme titre, ce n'est bien sûr pas original et le côté racoleur est pour tout dire assez déplaisant. Mais il est pourtant parfaitement opportun et, pour tout dire encore, n'annonce pas forcément une mauvaise nouvelle.

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(Pendant que Maurice et Raymond délibèrent stratégie, Félix voudrait bien se rassurer.)


Voici qu'en effet nous sommes conviés à assister en direct à la mort de la Vème république.
Nous sommes nombreux, et pour certains de très longue date, à souhaiter la fin de se régime pour le moins discutable.
C'est même l'un des mantras du fondateur de ce journal qui n'a eu de cesse tout au long du quiquennat précédent d'en dénoncer les perversions, mises en lumière et exacerbées par le rapport pathologique de Nicolas Sarkozy avec cette fonction suprême et emblématique qu'il avait conquise.
Puis nous êumes le "président normal".
Derrière la banalité volontaire et d'apparence inoffensive de l'expression peut-être n'avons nous pas su, ou pas voulu, voir l'aporie en quoi elle consiste.
En "langage normal", on parlera de paradoxe ou de contradiction, c'est aussi bien.
Ainsi François Hollande devrait-il peut-être rester dans l'histoire, comme celui qui nous aura débarrassé des institutions détestables que nous avaient léguées dans une étrange mais peu aimable conjonction, la lente et douloureuse agonie d'une république néanmoins colonialiste en perdition, et la honte nationale toute fraîche de "l'Etat français" pétainiste dont il fallait bien se laver.
Cependant, nonobstant ses efforts louables et remarquablement constants tout au long de son mandat, ce serait sans doute une spoliation que d'attribuer l'entièreté de ce mérite au seul François Hollande.
Son prédécesseur n'y était pas allé de main morte, poursuivant d'ailleurs l'ouvrage lui aussi avec constance depuis ses menées d'histrion revanchard.
Mais voici que tous deux se retrouvent épaulés dans cette tâche historique par la grâce d'une innovation bien utilement perverse : "les primaires".
[Si tant est qu'il soit possible, ce billet est donc d'une certaine façon, une contribution au débat annoncé pour ce jeudi 20 octobre au soir avec le "direct de Mediapart" consacré à la question : Les primaires changent-elles la politique ?]
Pour le moins me semble-t-il.
Mais la chose vient cependant de loin, me semble-t-il aussi.
Avec le raccourcissement du mandat présidentiel à 5 ans et l'inversion initiale du calendrier électoral pour instituer les législatives en prolongement automatique de la présidentielle, Chirac et Jospin ont également contribué de façon non négligeable.
Et bien avant, avec les prémices d'une intégration européenne politique, Mitterand avait posé les premiers jalons... restés sans lendemain, et plongeant de fait la perception publique de l'exercice réel du pouvoir dans un flou savamment et paradoxalement entretenu par tous ceux qui lui succédant ont prétendu incarner à leur tour ce pouvoir tout en se défaussant allègrement des reponsabilités impopulaires qui vont avec, sur les institutions européennes auxquelles ils refusaient simultanément et obstinément tout transfert symbolique de leurs prérogatives régaliennes.
Non content d'être de mauvaise facture, l'édifice de la Vème république est donc vermoulu de longue date. Et les vers qui l'ont rongée sont ceux-là mêmes qui sont, ou ont été, au sommet et dans ses dépendances directes.
Elle a pourri pourrait-on dire par la tête.
Et il y a là un double paradoxe.
De la part des titulaires de droite, s'étant tous réclamés peu ou prou de l'héritage du général et professant la mains sur le coeur une authentique fidélité, on comprend mal.
De la part des héritiers du "Coup d'état permanent", il est plus que douteux d'y voir à l'oeuvre de machiavéliques stratagèmes.
Sans aucun doute faut-il voir dans cette responsabilité inconsciente, autrement dit dans cette irresponsabilité, partagée, la preuve des vices de fabrication originels, et au delà d'une supposable adaptation aux circonstances de sa naissance, la preuve d'un indéniable anachronisme depuis la révolution culturelle de 1968. 
Quoiqu'il en soit ces considérations nous éloignent.
Revenons à nos impétrants du jour, revenons aux "primaires".
En "foules" de part et d'autre ils se pressent et se bousculent pour se qualifier, comme le font les athlètes en vue de chaque olympiade, ou les équipes nationales de foot à l'approche de chaque "mondial".
Nous sommes donc invités à assister à des épreuves éliminatoires ou des poules qualificatives, dont nous sommes simultanément invités à être les arbitres.
En fait nous assistons, réellement à un spectacle, dont on prétend également faire de nous des acteurs.
Et pour qu'aucun ne reste à la porte du théâtre, pour que chacun puisse être entrainé sur scène, les champions se multiplient, se dédoublent et se décalquent à l'envie selon les variations subtiles si ce n'est infimes d'une palette de couleurs étrangement pauvre. Jouant chacun dans son étroit registre en réalité la même petite musique désuète que tous les autres, la sempiternelle musique d'une démagogie souveraine à la gloire du peuple, tous adeptes de son unité, quelques uns pour faire bonne mesure y ajoutant son identité, mais chacun jouant avant tout la partition de son heure de gloire personnelle.
Et le spectacle touche peut-être ainsi à sa fin tant il devient évident aux yeux de tous que cette frénétique multiplication des candidats officiants à l'approche de la grand messe ressemble bien plus à une bousculade devant le bureau des embauches qu'à l'honnête et vertueuse célébration de l'universel et authentique génie politique du peuple de France que l'on nous dit.
 
Déjà, de longue date le décor pseudo-républicain de la Vème s'est effondré dans le parjure criant des inégalités et l'indécence des privilèges ostentatoires décomplexés, il ne reste plus avec les primaires qu'à laisser tomber d'eux-mêmes les derniers masques d'une mauvaise comédie dans le trou noir des abstentions à venir pour la finale.
Et il restera alors à veiller à ce que du trou noir ne sorte pas le diable.
L'affaire n'est pas mince.

PS : titre originel (décidément un peu trop) modifié après coup par l'adjonction des "primaires"

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