Le rouleau compresseur du vote barrage écrase toute velléité d’alternative.
Il carbure à la peur (assez compréhensible) et à la résignation (qui l'est moins). Plus un doigt de fantasme apocalyptique et deux de morale culpabilisante.
Aux commandes, une analyse erronée qui peut devenir une faute.
Inutile de développer sur la peur et la résignation. Notre histoire de France est très bavarde... Et chacun sait que nous ne leur devons ni nos libertés, ni nos droits.
Il n'est pas déplacé en revanche de nous attarder sur la faute en suspens. Quoiqu'il advienne du résultat.
Quoiqu'il advienne en effet, le résultat sera toujours trop légitime, par la faute des trop nombreux français qui se rendront à l'isoloir.
Mais pour comprendre il faut faire un retour en arrière.
Il faut choisir nous dit-on.
Et accepter le moins pire pour nous protéger du pire.
Ce qui, en l'instant, n'est pas inepte. Peut même convaincre.
Mais qui, en prenant un peu de recul, sans nous laisser éblouir par et dans le faisceau de l'actualité, nous apparaît comme l'affligeante répétition, conséquente de ce qu'elle répète. En soi, c’est tout à fait remarquable.
Et en réalité c'est la vérité.
C'est la vérité d'un raisonnement faux dans ses conséquences mais qui paraît valide dans son énoncé. (Une sorte de paralogisme)
Cinq ans de Macron, élu en 2017 contre Marine Le Pen (et certainement pas pour lui-même) nous ont conduits objectivement à fortifier le danger dont nous souhaitions alors nous protéger.
Et on nous demande de recommencer.
Elle a perdu en 2017 avec 33,90 % des voix et va très probablement perdre en 2022 avec 45 à 49% des voix. Une progression de 10 à 15%.
Autrement dit, la prochaine fois, en 2027 nous pouvons d'ores et déjà prédire qu'elle sera confortablement élue. Elle ou quelqu'un d'autre sorti du même cloaque, sa nièce par exemple.
Si tout continue comme devant. Et c'est bien ce qu'on nous demande de décider en votant Macron pour faire prétendument barrage à l'extrême droite.
Alors que faire ?
Eh bien il faut ne pas s'affoler et considérer les choses pragmatiquement. Foin des émotions, du concret.
Il est objectivement évident qu'au gré des progrès enregistrés depuis les premières candidatures du père Le Pen, l'extrême droite se fortifie sans cesse, toujours un peu plus et de façon désormais réellement inquiétante. (On en sait les raisons, elles ont été parfaitement documentées ; la brutalité et l'inhumanité du capitalisme nourrissent la désespérance sociale et la désespérance sociale nourrit le fascisme.)
On peut donc déduire que l'extrême droite française est aujourd'hui beaucoup plus prête qu'hier à prendre le pouvoir. Et qu'elle sera beaucoup plus prête encore en 2027 ; si rien ne change.
Actuellement elle dispose en particulier d'une assise populaire beaucoup plus large qu'en 2017 quoique disparate et très volatile.
En revanche ses ressources humaines pour prendre le contrôle de l'appareil d'état et faire face aux responsabilités sont très certainement encore insuffisantes. Il faudrait des ralliements, des négociations, des compromis, autant de fragilités latentes.
Ses ressources humaines sont surtout, insuffisantes pour prétendre obtenir et maîtriser une majorité parlementaire disciplinée, là est son point de faiblesse immédiat. Et c'est là qu'il faudra appuyer dès les législatives.
De l'autre côté, il est tout aussi objectivement évident que la campagne de l'Union Populaire de Mélenchon a bénéficié d'une dynamique réelle, elle aussi est assez bien documentée ; on ne va pas ici gloser sur "le vote utile" versus "le vote d'adhésion" à l'AEC, une chose est certaine, à la mesure de la déception exprimée on peut affirmer que l'espoir était grand et que le désir d'en découdre l'est aussi.
Au "milieu", le sortant Macron ne fait que piètre score ; c'est un euphémisme. Alors qu’en 2017 en cumul avec Fillon ils totalisaient au 1er tour 44% des voix, avec le score de Pécresse il ne peut plus compter que sur un socle de 32,5% au soir de ce 10 avril. Si l’on songe qu’il a par ailleurs déjà siphonné le PS, c’est une bérézina.
Alors que faire ? bis
Restons encore une fois pragmatiques.
Par la grâce (très circonstancielle) des institutions modifiées en 2000 par référendum, l'élection présidentielle ne se résume plus à 2 tours, mais en compte 4, inclus les deux tours de la législative à suivre, pour confirmer ou corriger le choix exprimé à l'issue des 2 premiers tours.
Le désir d'en découdre de l'Union Populaire ne doit pas être pris à la légère, de même que le besoin de sauver les meubles du PC et des écolos. Il reste à la France Insoumise de Mélenchon de savoir les cultiver et les bonifier harmonieusement. Faudra jouer fin, c'est pas la spécialité de la maison, mais il est permis d'espérer... La responsabilité est peut-être historique, gageons qu'ils sauront l'assumer.
Par ailleurs la détestation populaire de Macron reste massive et explique en grande partie le vote Le Pen qu'il ne faut donc pas interpréter comme un vote homogène d'adhésion idéologique aux thèses racistes et fascistes du RN.
Selon le rapport de forces établi au 1er tour la partie des législatives est donc très ouverte et quoiqu'il advienne le 24 avril, ce sont en fait les 3ème et 4ème tours qui seront déterminants. C'est eux qui diront quel va être notre avenir à court terme, avec une prime au plus allant.
Dans ce contexte il faut interpréter le 2ème tour de la présidentielle non plus (selon la tradition et la volonté originelle qui l'a conçu) comme l'instant de la décision majeure et irrévocable, mais comme l'étape préparatoire à celles qui vont suivre et à la situation qui au final en résultera.
En matière électorale tout ou presque étant question de dynamique, dans notre société de la communication et du buzz il est prioritairement indispensable de ne pas saborder la dynamique à gauche suscitée par la candidature Mélenchon en l’occultant et la noyant dans le flot d’un vote barrage insipide et tous comptes faits illusoire, comme dans celui d’un vote dégagiste contre nature.
Pour préserver au maximum la possibilité de sa résurgence offensive aux législatives, il faut absolument que son impact soit lisible sur le second tour.
L'abstention ou le vote blanc semblent donc tout indiqués. Ils priveront chacun des deux impétrants du supplément d'élan qui leur permettrait d'aborder les législatives en meilleure posture. Et augmenteront donc la possibilité de bons résultats pour la gauche dans la perspective si ce n'est d'être majoritaire et d'une cohabitation, à tout le moins de disposer d'une minorité puissante au sein de la future assemblée. Une assemblée qui sera probablement très inconfortable pour le président ou la présidente. On imagine mal que le RN s'effondre et que la macronie retrouve son niveau précédent, encore moins un raz de marée RN. A condition que le 2ème tour ne plébiscite aucun des deux, il faut le répéter.
De plus et c'est très important, abstention et vote blanc saperont la légitimité de l'élu.e, et amoindrirons ses capacités d'action au sortir des législatives comme à plus long terme face aux mouvements sociaux qui seront nécessaire contre les projets régressifs de l’un comme de l’autre.
Mais il y a me semble-t-il entre les deux une différence de taille.
L'abstention ajoute paradoxalement une prise de position.
Celle de la dissidence, du refus de jouer le jeu.
Ce jeu d'une constitution non démocratique, à bout de souffle qu'une majorité de citoyens estime obsolète et dont le projet de remplacement par une VIème république n'est pas le moindre des motifs qui ont donné sa dynamique à la candidature de Jean-Luc Mélenchon au 1er tour.
NB : pour que les choses soient bien claires, je précise : je ne suis ni mélenchonolâtre, ni Insoumis, ni en extase devant l'AEC.