ou, "les deux voyageurs", petite fable sur l'air du temps
Une chose est désormais sûre, l’échec de Nicolas Sarkozy sera aussi retentissant qu’a été impudique et prétentieuse sa victoire électorale.
Prétention et impudeur qui ne méritent d’ailleurs pas que l’on s’attarde d’avantage à leurs formes. Tout a déjà été dit, inculture et mal être se sont donnés rendez-vous pour nous offrir en ce début de millénaire, le final affligeant et injurieux à la fois, de la déchéance du politique, amorcée il y a déjà fort longtemps dans notre belle patrie des droits de l’homme, et dont il ne nous reste plus à espérer qu’elle soit enfin aboutie.
Leur objet par contre est plus intéressant s’agissant de nous administrer la preuve par le résultat, de la bienfaisance du marché comme instance de régulation harmonieuse de la société, la plus efficace.
Quelle que soit l’issue de cette crise ouverte au lendemain de son élection, Monsieur Sarkozy n’a donc plus en effet le choix qu’entre l’échec et l’échec.
C’est certainement l’effet de cette schizophrénie à tiroirs d’une rare intensité qui le vit s’inscrire avec une toute aussi rare aisance dans la tradition dirigiste bonapartiste (tant pis pour le pléonasme) pour nous administrer la dite leçon d’idéologie libéraliste, au mépris de toutes les évidences que son expertise indéniable en affaire(s) était censée ne pas lui permettre d’ignorer. A moins que ce ne soit l’effet de l’incurie de conseillers mal choisis, mais on a peine à croire à cette coïncidence de l’incurie et de mauvais choix, attelés pour donner naissance à l’improbable guimbarde brinquebalante qui nous sert de gouvernement et lui sert de carrosse.
Quoiqu’il en soit le carrosse en question fonce dans le mur, et nous tous avec.
Pour Nicolas, son seul problème aujourd’hui c’est : « comment m’en sortir ? ».
Et tout compte fait pour nous c’est à peu près la même chose : « comment nous en sortir ? ». Finalement nous partageons un peu les mêmes préoccupations, c’est rassurant.
Le bougre ayant eu l’idée saugrenue de s’asseoir à la place du cocher, au lieu de s’installer confortablement sur la banquette arrière, vous me direz : « changeons de cocher ! ». Las, au Pôle Emploi, dans la rubrique « cochers », aucune candidature ne présente les qualifications requises. Point de cocher disponible, tout au plus quelques laquais inexpérimentés ou même valets de pied simples aspirants, se bousculant dans un tohu-bohu vociférant et peu propice à calmer nos angoisses de voyageurs embarqués dans une folle course à l’aveugle.
« Diantre ! Mais, que faire alors ? … Sauter de la voiture ! En pleine course ! Au risque de nous rompre les os ! Mais ce serait folie, vous n’y pensez pas. »
« Hélas mon ami j’ai bien peur qu’il faille nous résoudre à cette extrémité, car voyez-vous, ce n’est point la voiture qui est folle, c’est le chemin qui n’est pas le bon. »
« Ah …? »
« Oui, oui, mon cher, une planche savonneuse à souhait vous dis-je, et ma foi fort pentue. »
« Mais à nous rompre les os, ne craignez vous point que nous y laissions la vie ? »
« Gageons qu’il en restera toujours quelques uns, qui par miracle s’en sortiront saufs, et pourront à loisir chercher alors la bonne route. »
« Devons-nous sauter tous ensemble ? Et prestement ? »
« … »
« Ou bien l’un après l’autre, tenter notre chance ? »
« Vous-même qui posez tant de questions, que vous-en dit-il ? »
« Ma foi je ne sais, ma raison s’y perd... Mais au diable vos conseils ! Vous m’avez mis le doute en tête avec vos histoires de savon, de cocher et de vociférations. Je vais de ce pas consulter une carte et m’assurer que ce ne sont que folies que vous me contez là. »
« Libre à vous mon cher, mais ne vous étonnez point de ne rien trouver sur votre parchemin. En vérité voyez-vous il y a fort longtemps que nous avons quitté les rivages connus, nous sommes déjà bien au-delà des limites de cette carte qui vous tient lieu de viatique et vous perdez votre temps. Non, croyez m’en, le salut ne viendra qu’en sautant. »
« A la fin il faudrait savoir ! Sommes nous dans un carrosse ou une barque ? Voilà maintenant que vous prétendez nous avoir vu nous éloigner de je ne sais quel rivage ! Seriez-vous devenu fou ? »
« Carrosse ou coquille de noix, qu’à cela ne tienne. Si ce n’est le chemin qui se perd, alors se sont les vents qui sont contraires. Il faut en convenir vous dis-je, nous sommes en grand péril. Et rien ne sert de gémir, ni de changer de cocher, ou de réduire la voilure, ou que sais-je encore. Non ! Il faut sauter. »
« Je ne puis m’y résoudre. Que vont devenir les deux malles et la serviette qui sont embarquées avec moi ? Comment pourraient-elles résister à la chute ? Qu’adviendra-t-il des trésors qu’elles contiennent ? Que deviendront ces merveilles si patiemment amassés par mes aïeux et si respectueusement à moi-même confiées pour le temps de ma pauvre vie ? Comment m’assurer qu’à leur tour mes enfants puissent en jouir ? »
« Vous me parlez d’enfants et de jouissance ! Mais c’est à vous qu’il faut poser la question de savoir si vous êtes devenu fou. Savez-vous seulement si vos enfants sont là ? Etes vous si sûr qu’ils aient embarqué eux aussi ? »
« Ma foi, pour une fois encore, je ne sais. Tant il est vrai que dans la précipitation de notre embarquement je les perdis de vue et depuis ne les ai point rencontrés à nouveau. Il faudrait en effet que je m’en inquiète. Mais peut-être les avez-vous vous-même aperçus depuis notre départ. Qu’en est-il ? Rassurez moi je vous prie. »
« Quand bien même seraient-ils là, réfléchissez un peu mon ami, voudriez-vous donc les savoir eux aussi en aussi fâcheuse posture, condamnés avec nous à sauter au risque de se rompre les os, et peut-être même le cou ? »
« Certes il me serait plus agréable en effet de les savoir demeurés en ces lieux moins agités où nous prîmes départ, ou bien qu’ayant déjà sauté, ils soient attardé sur quelque bas côté ou quelque île, plus proches de ce bon chemin dont nous nous sommes écartés. »
« A la bonne heure ! Vous voilà enfin devenu raisonnable. Qu’attendez-vous donc pour sauter et les rejoindre ? Allez vous dis-je ! »
« Mais … ce bon chemin … existe-t-il assurément ? »
« Soyez seulement assuré d’une chose, celui que nous empruntons ne mène nulle part, alors sautez vie avant que cette maudite carriole n’explose, et si par bonheur vous avez la vie sauve, gardez vous de prêter foi aux bonnes âmes qui prétendrons vous indiquer la direction à prendre. Et si je puis vous donner un ultime conseil, écoutez les cependant avec attention, vous constaterez par vous-même qu’elles s’expriment curieusement, dans une sorte de langage dont on ne sait au juste s’il s’agit d’un patois local, ou peut être de simples babillages infantiles. »
« Oui, je vais donc sauter … à la grâce de dieu … et, vous-même ...? »
« A vrai dire, nous allons sauter ensemble. Et laissez donc dieu en paix ! Puisque nous venons de faire un bout de chemin ensemble, et que vous ayant persuadé de sauter je m’en suis moi-même également convaincu, je gage qu’ensemble nous pourrons aller un peu plus loin. »