Une référence utile à ce sujet de réflexion serait Descartes, avec son doute méthodique. Ce dernier démarre sa remise en question de la pertinence de nos pensées par le sensible de nos perceptions trompeuses. Nous voyons la terre plate, le soleil tourner dans le ciel, etc. Sur ce point, Leibniz va apporter un approfondissement en inttrodui-sant ses « perceptions insensibles », des données matérielles qui nous échappent, à l’exemple de la lumière, saisissables pour nous dans l’intervalle d’un spectre borné « rouge, jaune, vert, bleu » qui exclut notre atteinte perceptive des ultra-violets comme des infra-rouges.
On étendrait l’insuffisance sensorielle à la vision spontanée des atomes et à celle des ondes et particules que la physique quantique é mis en évidence. Concluons de ce premier cas d’inconscient qu’une science compense sa mystification.
Les deux autres cas ont également fait l’objet d’explications scientifiques. En ce qui concerne nos affects, Freud a apporté à la psychologie la dimension du refoulement. Il a inventorié des formes de processus observables dans nos comportements et notre « univers » mental (métaphore !). Depuis les disfonctionnements anodins dans la vie quotidienne, que sont les lapsus, les actes manqués, également les rêves, au contenu latent à interpréter, jusqu’aux pathologies graves qui nous désadaptent dramatiquement (paranoïa, schizophrénie), en passant par des phobies, des fixations, des projections agressives, il a décrit des actions motivées par d’autres facteurs internes que notre conscient.
Ses thèses ont fait l’objet de réserves, et d’abord en ce que son approche thérapeutique se justifiait, son efficacité se vérifiant expérimentalement, mais que ses efforts de théorisation, en postulant une hiérarchisation entre un « çà » ignoré, et un mystérieux « sur-moi » surplombant le moi conscient et en occultant des éléments traumatisants ou refusés par le sujet, restaient discutables, artificiels ou arbitraires. Sa perspective d’un inconscient de refoulement a été reprise et complétée par Lacan, ainsi que par l’école de Palo-Alto, avec Grégori Bateson (« Vers une écologie de l’esprit ») et, en France, Paul Watzlawick (« La réalité de la réalité »). Sont mises à jour des logiques psychologiques plurielles, impliquant de déplacer notre attention vers une signification cachée par nos clichés (quand la maladie c’est la symptôme). Avec la « réponse reflet » de Rogers, est proposée l’échange par empathie, où renvoyer son affirmation à l’interlocuteur l’amène à en réexplorer l’intention.
Une telle pluralité, dans les symptômes de notre fonctionnement mental, comme dans leurs lectures, traduit à quel point la complexité de notre vécu dépasse nos capacités d’analyse. Autrement dit, n’espérons pas que les théorisations psychologiques parviennent un jour à une synthèse uniformisant les explications de toutes nos pensées, des apparentes aux plus secrètes.
Reste que des processus particuliers sont utiles à situer la portée de croyances agressives, passionnelles, haineuses, à l’exemple des projections et des fixations. Ainsi, les haines à l’égard de religions, de pratiques sexuelles, de genres, en décryptant leurs illusions logiques, seraient susceptibles de régulation. Non pas en provoquant un déclic salutaire chez les tenants de tels discours, mais en préservant qu’elles s’étendent à d’autres adeptes, aient un effet préventif. Nous avions déjà rencontré un exemple de ces processus agressifs avec René Girard et son analyse du Bouc émissaire, coupable symbolique de substitution qui nous sert à endosser nos péchés ou fautes.
On y ajoutera Kant, soulignant que la passion aveugle se niche au cœur de notre raison, en la faisant « raisonneuse » détournant nos arguments pour justifier un désir incontrôlé. Ainsi, l’amoureux « fou » se dire « je l’aime parce qu’elle est belle », négligeant la projection à corriger par « je la trouve belle parce que je l’aime ».
S’aventurer parmi les labyrinthes de nos refoulements nous enfermant dans des fabulations afin de nous protéger de traumatismes, ne se limite pas à la gestion de nos affects, aux tourments engendrés par notre libido. L’affaire se complique avec l’étude sociologique des pouvoirs économico-sociaux telle que Karl Marx en a établi la théorisation. Le prolongement de son matérialisme dialectique, tentant de rendre compte de l’émergence des consciences à partir de la matière, a abouti à un matérialisme historique articulé en trois « étages » dont on estimera ici qu’il conserve sa pertinence actuelles. Autant les tentatives pour élaborer un programme politique marxiste débouchèrent sur des désastres, autant la théorisation marxienne de nos sociétés de classe continue aujourd’hui de nous éclairer sur les procédures de domination sociale qui interdisent à nos démocraties libérales de progresser vers un régime de démocratisation sociale instituant égalité et fraternité qui liquideraient ou du moins réduiraient les injustices subies par la masse des sujets privés de parole.
Successivement esclavagistes, féodales et capitalistes, les sociétés ont vu se succéder des luttes entre classes sociales hiérarchisées, dont les dominantes maintenaient les inférieures sous leur tutelle. Marx formule les conceptions à acquérir sur les structures en place. Des « forces productives » (successivement foncier, ressources du sous-sol, techniques, argent), donnent lieu à des « modes de production » correspondant à la propriété de ces forces par une fraction privilégiée de la population. L’injustice manifeste d’une telle captation des richesses pourtant produites par une masse de travailleurs salariés ou asservis dépouillés des résultats de leur travail, est escamotée par la fabrication d’une idéologie répandue dans tous les espaces publics.
Cette fabulation mystificatrice, que l’on retrouve à notre époque dans des récits de la propagande médiatisée sous la forme de « tabloïds » et de « storytelling » glorifiant un mérite inexistant des patrons fortunés, soit héritiers soit sans affairistes sans scrupules, correspond à l’inconscient idéologique. Il produit dans le peuple une aliénation, accaparant l’esprit des citoyens de façon à les priver de leurs compétences d’analyse critique, les poussant involontairement à soutenir les catégories minoritaires qui les dominent.
Ainsi, empêtrés dans des affects qui piègent nos désirs, nous embarquent dans des relations amoureuses tortueuses, obsessionnelles, et simultanément possédés par des récits médiatiques masquant les inégalités injustes par manipulations de minorités possédantes, notre conscience citoyenne tend à être ligotée, amorphe. Chez Marx lui-même, la piste féconde d’une « communauté primitive » s’est trouvée négligée. Fasciné par l’horizon d’une « société sans classes » qu’il avait postulée réalisable à partir du capitalisme libéral, il a cru que technologies, argent, croissance indéfinie étaient à conserver en en rendant le peuple propriétaire, alors que cette appropriation collectiviste allait générer, en maintenant les appétits, une nomenklatura dominatrice.
Nous en sommes là, à savoir captif des fortunes dominatrices du peuple, qui les supporte par idéologie, laquelle est entretenue en permanence par des discours médiatiques affabulatoires. En résulte un chantier à ouvrir, réintroduisant les affects refoulés au cœur de cette presse dominante idéologue : par le biais des « faits divers » dramatisés outrancièrement, leurs crimes passionnels, présenter des voyous sous des traits de courageux héros marginaux…
C’est l’objet du billet suivant à ouvrir : enquêter sur la teneur de journaux diversifiés, et y estimer le potentiel démystificateur socialement détenus par une « alterpresse » citoyenne…