Ma tentative de roman formateur repose sur l’intention de surmonter des densités obscures qui rendent le vrai scientifique et le véridique de « savoirs érudits » inacces-sibles au plus grand nombre de lecteurs, les essais ou études s’adressant à des spécialistes.
Une analyse précise des sciences (voir le billet « L'enjeu citoyen d'accéder à une histoire des sciences ») en comptabilise 8 : 2 formelles (logique, maths), une sur la matière inerte (physique-astrophysique-chimie), une sur les êtres vivants (biologie-zoologie), et quatre sur des structures de réalités humaines (linguistique, sociologie, psychologie, ethnologie) - que regroupe la trop vague discipline dite « anthropolo-gie ».
Quant aux cinq « savoirs érudits », ils se distinguent du vrai scientifique en ce que leurs objets d’étude débordent la possibilité de formuler sur eux des théories explicatives, par leur complexité cumulant trop de facteurs et paramètres. Avec l’histoire, la politique, l’économie, le droit et l’écologie, sont obtenues des données véridiques autres que vraies en ce qu’elles procèdent par descriptions et narrations.
La belle littérature, elle, élevant nos âmes au sublime, au sentiment qui dépasse passions et émotions en nous les faisant contempler, ressentir, relève de la « véracité », où le véridique, pris dans une fiction créatrice, nous plonge dans un univers d’imagination développant son espace-temps cohérent. Par ces critères, elle diverge d’une littérature de divertissement ou d’évasion, qui possède son utilité affective et demande un talent propre, mais sans la vertu formatrice du vérace. Les chefs d’œuvres de ce type d’ouvrage hantent notre être, le nourrissent de modèles d’engagements, en quoi ils sont formateurs.
Citons parmi des centaines, les polars noirs de Chandler, Hammett, Chester Himes, Manchette, les épopées de Hugo, les tomes de la Comédie Humaine balzacienne, des Rougon-Macquart de Zola, « Bel-Ami » de Maupassant, les fresques grandioses de Flaubert, la délicatesse et l’acuité incisive des chroniques de Stendhal.
Je mentionne là les modèles qui inspirent ma tentative créatrice. L’obstacle à surmonter tient au défi de connaissances à scénariser par une fiction, au lieu de situations vécues mises en scène, engageant des personnages aux prises avec leurs mentalités, leurs intérêts, leurs forces et faiblesses. Ces paramètres apportent une substance « humaine » concrète au récit. A l’opposé, placer des disciplines d’études au centre d’une histoire, exige de remédier au vide de chair, tripes, affects, pensées, de « héros » qui portent les évènements racontés. L’éveil du lecteur à des outils fructueux ne suffit pas pour entraîner à adhérer au déroulement narratif.
Le quasi-impossibilité de concilier roman et vulgarisation « intellectuelle » me renvoyait inéluctablement au genre de la science-fiction. J’avais à faire surgir, dans notre espace terrestre, des êtres improbables. Non pas des « surhumains », ou des non-humains menaçants, agressifs, en raison de constitutions bio-zoologiques radicale-ment éloignées des nôtres, incompatibles avec elles. Mes extra-humains avaient besoin d’entretenir avec nous des similitudes capables de remédier à des qualités qui nous font défaut.
Providentiels, quoi ! Tombant à pic, « deus ex machina » d’une dramaturgie. Après tout, les épopées d’Homère font agir des dieux ; et notre univers glacé et largement inconnu recèle des planètes, des zones, abritant des formes de « vie » inimaginables, non ? En route donc pour le surgissement d’un vaisseau issu d’on ne sait quelle galaxie, mis en orbite haute le 3 janvier 2018 (76 ans après mon exacte date de naissance, clin d’œil), et qui annoncent à la terre entière à l’aide de « boitiers » bourrés d’intelligence artificielle, parlant français et anglais, qu’ils vont très vite apprendre les quelques 6 000 langues répandues sur notre globe, et que, surtout, ils demeureront observateurs distants, neutres sur nos activités. Leurs boitiers communicants acceptent de recevoir nos questions, mais préviennent qu’ils ne répondront pas à des demandes sur eux, leurs apparences, leur mode de vie, trop distants des nôtres !
Stupeur générale : « Que leur demander, alors ? ». La consigne restrictive permet d’en venir à une deuxième difficulté qui risque d’handicaper mon projet romanesque : un nombre (trop ?) élevé de personnages. En effet, ceux qui se révèlent interlocuteurs privilégiés des Edéniens (ces êtres ont appris d’entrée qu’ils provenaient d’une planète nommée Edénia), sont membres d’une association, « Chemins », forte d’une quarantaine de membres actifs.
Par quel biais introduire autant de héros qui vont participer pleinement aux évènements ?
Procéder par petites doses est indispensable, c’est pourquoi, dès la mise en orbite du vaisseau édénien, le récit se fixe sur deux hommes, opérant une mission dans un coin de l’Inde (d’où la dimension picaresque, à savoir nous promener parmi des cultures et des territoires diversifiés, à faire découvrir au lecteur).
Il s’agit d’un Français d’une cinquantaine d’années, Charles Bernave, venu prospecter dans ce pays sur des acteurs innovants en solidarité économico-sociale -l’un des chantiers qui occupe Chemins. L’autre, Mohandas Singh, est un étudiant en langues de Dehli, détenteur d’un master, recruté par Bernave pour lui servir de guide-traducteur. Mohandas appartient à la caste supérieure des Brahmanes. Il s’est révélé discret, de compagnie agréable, sérieux, efficace, et pétri de modestie. Plein de qualités.
Voilà Mohandas qui va se trouver fort impressionné lorsque Monsieur Khriss (c’est le surnom de Charles, qui tient à ce qu’on s’adresse ainsi à lui) est le premier humain à qui va répondre Edénia. Comme, dans ce cas, question et réponse sont répercutées partout sur terre, Bernave est assailli de coups de fil sur son portable, et les médias mondiaux sont tenus de la portraitiser. Par conséquent, le soir à leur hôtel, jusque tard dans la nuit, puis le lendemain à l’occasion de la lecture des principaux quotidiens de langue française lus par Charles, les échanges entre celui-ci et Mohandas et les pensées brassées par la vedette du jour, sont longuement relatées.
D’abord, en une dizaine de pages, Charles satisfait la curiosité du jeune Singh à propos des activités de Chemins qui lui demeurent si obscures. Et elles le sont ! Au moyen de la figure d’un solide géométrique, Charles lui présente les 6 chantiers qui accaparent pensées et actes d’une quarantaine d’actifs dans Chemins. A la base, aux pointes d’un pentagone, il explicite les « Enquêteurs », journalistes d’investigation qui s’enquièrent des mœurs de Prédateurs milliardaires sans scrupules (95 en Inde en 2016).
Puis il passe à l’étude qui est l’objet de sa mission depuis deux mois avec Singh, celle des « Chemineurs » qui deviendront des « Colporteurs » à la mort du fondateur de Chemins. Actualiser, faire le point sur des initiatives novatrices solidaires, tissant une alternative à l’économie mondialisée de domination et de compétition qui enrichit les précédents, est leur mission.
Vient le tour des « Exploreurs », ethnologues qui s’immergent dans les cultures traditionnelles (Amérindiens, Inuits, tribus Amazoniennes) car elles renferment des potentiels d’issues à nos folies industrialo-commercialo-financières qui mettent à mal notre civilisation moderniste. Les Mediapartiens qui suivent nos billets reconnaissent, espérons-le, les 3 chantiers que j’y expose.
Quant à la saga romanesque, elle correspond au pôle des « Créateurs », artistes en littérature et BD, ciné, rendant accessible la complexité qui densifie les chantiers listés.
La dernière pointe du pentagone concerne les « Prospecteurs », se chargeant d’implanter dans un territoire des entreprises étoffant les Gisements initiés par les innovants « cheminés ».
Enfin, dans sa 3° dimension, le pentagone devient, en rassemblant des arêtes à un sommet, une pyramide pentagonale. La synthèse d’où essaiment les 5 chantiers de la base est l’œuvre des « Formateurs », voués à réunir connaissances et savoirs de sorte qu’elles ensemencent les 5 applications pragmatiques fécondes…
On devine la douleur de Mohandas à suivre et rassembler les fragments distillés par Charles ! Neurones d’autant plus encombrés que les activités sont émaillées de noms et surnoms de responsables de Chemins impliqués dans les six énormes chantiers. Ces personnages sont des héros anonymes, rarissimes, concentrés dans une seule association : exceptionnel, mais est-ce vraisemblable ? Le roman s’apparente à un conte, tel que Propp en a formalisé la structure : un méfait (les exactions planétaires des Prédateurs milliardaires) mobilise des héros (les pionniers de Chemins) que des êtres fantastiques (fées, entre autres) vont aider.. Il fallait ce schéma, afin que soit rendue plausible leur audience auprès d’Edénia, tout comme ensuite leur présence en tant que lauréats d’un concours européen…
En effet, la suite de ce Tome 0, « Le dixième Projet », est consacré à relater comment Chemins va parvenir à se hisser parmi des organismes puissants subventionnés par la Ligue Altérion (l’Union Européenne) qui tient à mener des recherches-action à la hauteur du défi Edénia. Parmi les Prospecteurs, figurent deux anciens ministres, et un banquier ami et mécène d’un génial dessinateur de BD, Zuperino ou « Zup ». (Ici, un insert, sur la véracité de la saga. Sur 41 membres de Chemins, seuls 15 sont inventés, les autres étant puisés dans mon entourage, mon parcours, souvent mixant deux ou trois êtres qui ont appartenu à mon vécu. Tels ces ministres, et Philippe Druillet).
Par ces trois sources, y joignant un mécène banquier de Zup, Chemins est informé d’un Concours Européen confidentiel, s’adressant ç des organismes en vue, chargés de moudre des actions d’envergure dignes d’interpeller Edénia. Ces pionniers s’y engagent, mobilisent leurs ressources. La lente mise au point de leur Projet occupe le reste de la très longue 1° Partie du tome (308 pages). On est plongé dans la course à des sites, des bâtiments, adaptables à leurs intentions car ils veulent lancer 8 lieux de formations essentielles sur connaissances et savoirs.
Successivement, le Fort de Mars, près d’Arras, abritera la métaphysique dans sa Grotte de la Squaw, refondée sur les 5 structures de la langue. Près de Seignanx, dans les Landes, le Domaine des Langages, hébergé dans la propriété de Zup, animera des ateliers sur 9 modalités de paroles et de discours, d’échanges. Dans le Périgord, l’éco-village actualisé de Galaxigne initiera aux images, tandis que l’ancienne tuilerie de la Mayenne instruira en géostratégie dans le Palais des Mirages
Observons que ces quatre lieux occupent trois tomes de la saga. Métaphysique et linguistique se chargent de nous initier à la critique réflexive, aux langages particuliers, aux structures des images, et enfin aux types de cultures propres à des peuples dont les usages sont reflétés dans leur langue usuelle (mercantilisme anglo-saxon divergeant de l’humanisme éclairé des Lumières cultivé par le français et l’allemand), ce que creuse le Palais des Mirages.
On voit ainsi que la formation romancée commence par deux sciences humaines, linguistique et ethnologie, avec le tome 0 « Le dixième Projet »), le Tome 1 (« Le Chenal des Enfers ») et le Tome 2 (« La renaissance des Totems »). Intégrer des vulgarisations sur ces deux sciences à des péripéties mettant en scène une foule de personnages, double l’aridité des éléments didactiques par la mémorisation exigée du lecteur sur 40 héros de Chemins, s’élevant à partir du tome 1 à 140 nouveaux individus centraux dans le récit !!! Indigeste ? D’où, avec le tome 1, un marque pages recto-verso listant les noms à retenir… Béquille dérisoire ?!...
Précisons que les tomes 1 et 2 étendent les vulgarisations à trois autres sciences humaines, à savoir psychologie, sociologie et ethnologie. Les langages dans le Domaine forment au décryptage des affects, des concepts, des percepts, des fonctifs (Deleuze) tandis que les Globes du Palais offrent une lecture des pouvoirs économico-politiques aux prises dans notre monde, objets de la sociologie. Comment, par quels acteurs, les lecteurs sont-ils plongés parmi ces éléments de sciences ?
Par des héros inédits, et d’abord les Totems, application de la figure amérindienne que l’ethnologie nous offre. Suscités par la période récente de l’histoire mondiale, ce sont des « cassés » survivants de conflits coloniaux, fratricides, des réfugiés qui trouvent au Domaine de Zup un asile bénéfique, réparateur. La magie de la beauté littéraire réussit le tour de force de les guérir de leurs traumatismes tragiques, par une vertu « cathartique » qui les identifie à des héros romanesques.
Peu à peu, ils se sont assemblés au « Village Indien » des Eclaircies, 52 êtres ressuscités, par la grâce de beautés littéraires sublimes, et qui s’adonnent à des tâches créatrices en guidant les visiteurs du lieu formateur, par des Soupers et les jalons du Chenal des Enfers. Non, je ne dévoilerai pas les dessous d’activités qui suscitent réussites et échecs dans les acquisitions en jeu dans ces lieux. Sachez seulement que le Village nécessite 46 Comédiens-Comédiennes-Mousquetaires pour animer les parcours sur les affects, le Temple du Serment, etc. Qu’émergent des perles rares au sein des visiteurs se risquant dans la Grotte, les Aspirants, et les Postulants au Domaine (Socratine, Louise Belval, Noémie, Horace, puis 16 communicants à suivre ensuite). Enfin, parmi les Totems, se dégagent deux Pèlerins, voués au repentir, qui vont entamer un périple les menant jusqu’en Hongrie sur les pas sa Saint-Martin…
Que de complexité tissée entre apports cognitifs et vécus de personnages autant dépareillés, n’est-ce-pas ?!! C’est le prix à payer, inévitable, pour assumer une vulgarisation citoyenne romanesque… Entre Comédiens, Comédiennes, Mousquetaires, Aspirants, Postulants, membres de Chemins, vont se tisser des relations amoureuses, quelquefois sexuelles ou sensuelles, l’équilibre du Domaine comme du Palais demeurant assuré grâce au choix éthique et sentimental de chacun, qui privilégie l’harmonie collective, inspiré en cela par le modèle Amérindien.
En effet, l’intrication est étroite entre le vécu de ces pionniers et leurs objets d’études. Le surgissement de « Trivids », jeux vidéo formateurs adaptés aux enjeux des lieux de formation, nous fait voyager dans la durée historique sous le guidage d’un « Maître des Temps ».
Le scénario détaillé et l’écriture narrative de la saga en est là, en cours de finition de la Partie 12 du tome 2, « Des cahots dans le chaos ». A suivre se profile le redoutable tome 3 « Menaces sur les Invisibles », avec Epistemoland où affronter les sciences à la citadelle et aux fortins, et Arian, son labyrinthe dans sa champignonnière nous initiant aux savoirs. Maths et physique, voilà de terribles obstacles à surmonter pour en apprivoiser les complications !!
Le site www.cheminements-solidaires.com va plus loin, établissant le parallèle qui a guidé mes efforts d’écrivain, entre l’essai métaphysique « La caverne des Terreurs » et « Les lumières d’Altérion ». Le mot de la fin portera sur l’hésitation, toujours non tranchée, entre noms « véridiques » et leur transposition en noms véraces de fiction. Ainsi « Altérion » pour Europe, « Freelands » pour les USA, « alters » pour les euros, « bankers » pour les dollars… jusqu’à « Civitapress » pour Mediapart… Lourd embarras, non surmonté : encombrer, opacifier, la compréhension des lecteurs, contre éviter de fâcher des individus existants placés en mauvaise posture…
En post-scriptum : le plan de la saga est tracé, jusqu’au départ d’Edénia en 2060, en passant par la mort de Jehan, celle de Tsaritchev (vous devinez qui ?) et le Procès Mondial accusant les Prédateurs, suivi de la réactualisation du Potlatch amérindien. En revanche, mes 79 hivers m’interdisent d’espérer mener à bout l’écriture des 13 tomes censés advenir !... ALORS ? Panne sèche ?