Jean-Claude ICHAI

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Billet de blog 11 octobre 2022

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JE n'est pas JUIF

Petit texte subversif, bancal et pertinent. Possiblement éclairant. Ou pas.

Jean-Claude ICHAI

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La judéité est-elle une donnée mémorielle sans exclusive, partagée, ou est-elle le contenant, l'apanage, la propriété d'une entité dite "peuple juif" ? La binarité juif/non juif a t-elle le moindre sens ? Qui peut dire "je ne suis pas juif" ? qui ne peut pas dire "je suis juif" ? Qui est plus juif que quiconque ici bas ? Qu'est-ce que cette judéité dont serait propriétaire un groupe humain identifié à elle ?

Vouloir c'est avoir. Pas d'avoir sans vouloir. Et vouloir être c'est encore avoir, et certainement pas être.
Peut-on être ce qu'il est impossible de définir ? Peut-on être juif par delà la seule mémoire des faits, autrement que par le subterfuge, le surplomb arrogé ?

JE n'est pas JUIF. Être juif ça n'existe pas, être-juif c'est impossible.
Plus exactement, ou dit autrement. Je suis, non pas ce que je suis, la formule est inepte, mais ce que je pense que je suis. Tout ce que je suis est de l'ordre de l'hallucination, de l'imaginaire, de la pensée.
Pourquoi est-il impossible d'être juif (ce n'est qu'un exemple, un retour d'expérience, de qualification de l'être), pourquoi n'est-il possible que de se penser juif ?

On ne peut pas, par définition, être ce qu'on a, être ce dont on est séparé. On est nécessairement séparé de ce qu'on a.
"Être" juif, c'est croire et non savoir, c'est croire qu'on sait. On ne peut s'arroger la personnification, l'enclos d'une identité, la propriété non matérielle, qu'au moyen de la croyance aveugle, à partir d'un cumul de pratiques mémorisées et d'invocations de "vérités de seconde main"  reçues en héritage. 
C'est toute la question de la naissance du sujet, dans la conscience, à partir de la croyance. Un sujet distinct, un sujet séparé, un fragment, l'irruption de l'individuation.
C'est la séparation voulue qui crée l'illusion de l'avoir, qui déploie le langage qui est mémoire de la séparation, qui est l'outil de son entretien et de son affirmation. Nos mots sont d'ailleurs rigoureusement incapables d'exprimer l'essentiel (la vérité, que sais-je), ils sont solidaires de la conception divisée du monde.
Ce qui se rapporte à l'Être est du registre de l'imprononçable, tout ce qui est prononçable concerne l'avoir, le langage est depuis son début généré depuis une conception divisée du monde

On ne peut que se croire juif. On ne peut que vouloir être juif, on doit imposer la judéité qui est une abstraction, qui n'est pas un fait mais un concept, qu'il est impossible de voir comme a été vu le rituel ou ont été entendues les personnes qui m'ont dit juif. Ainsi je ne sais ni que je suis juif ni seulement ce que cela signifie mais je l'affirme, je m'en arroge le fait et le sens. Je suis juif parce que je le veux. Mais je ne peux vouloir qu'en étant autre que l'objet de ma volonté, c'est le principe même de la volonté . On ne peut donc vouloir être juif qu'en se séparant de la judéité, qu'en en faisant un objectif, et un objet distant dont on ne peut qu'être séparé. La conclusion qui vient alors est qu'on ne peut être juif qu'en n'étant pas juif. Il est donc impossible d'être juif sans l'exercice d'une autorité qui, faisant de la judéité un objectif, la sépare de l'être pour en faire un avoir, quelque chose qu'on a, qu'on ne peut donc pas être.
La prétention à être ce qu'on a est une complète ineptie 

Ma conclusion est un peu sentencieuse.
J'emprunte ici à Wittgenstein dont je reprends à mon compte l'aphorisme : "Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence"
Se dire juif (ou chrétien ou n'importe quel qualificatif identitaire), le constat est terrible mais édifiant, est une forme pour l'abomination.

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