Le monde qui acquiert n’est jamais « de gauche », et les vieux ont beaucoup à perdre, beaucoup d’acquis, à protéger, à conserver. Qu’est-ce que le vieillissement, d’ailleurs, sinon de la conserve jusqu’à pourrissement ? Les vieux ne sont ni plus réalistes ni plus calmes que les jeunes, ils sont moins sensibles, endurcis dans leur aveuglement, en transition vers le refroidissement, dans la peur obsessionnelle de perdre. Et les jeunes se fracassent génération après génération sur l’autorité des vieux qui les contamine, sur le saint-avoir, et ils prennent vite le pli, ils prennent vite de sacrés coups de vieux !
Le projet d’un big bang de l’autorité est par nature un projet d’abrutissement. On ne tient en respect, on ne fait comprendre, on ne fait entendre raison, on ne dicte de conduite que par l’abrutissement. Ça me semble assez simple à comprendre, sans se livrer aux comparaisons de qui lave plus blanc, de qui est le plus méchant ou le plus effrayant. Mais la profession de foi est ici on ne peut plus édifiante. L’obsession rance de la menace est la principale caractéristique, la signature des extrêmes droites qui parviennent inexorablement au pouvoir, dans le monde de la vie qu’on a plutôt que celle qu’on est. Il faut être la vie et non la posséder pour cesser de craindre. C’est pourtant l’hégémonie actuelle de l’avoir qui avance et progresse, avec sa logique autodestructrice.
La sagesse n’a aucun rapport avec l’âge, aucun rapport avec la durée, le temps long, elle n’est autre que la présence à un soi qui est sans âge, sans lien avec la temporalité. Elle ne s’acquiert pas (quelle connerie de le penser), elle est, ou elle n’est pas. Et de façon certaine, elle ne concerne aucun sujet, aucun propriétaire, aucun isolement. Elle concerne un tout non divisible, ce qui signifie qu’elle n’est l’apanage, la réalité, d’absolument personne.
Pensons-nous jamais, où sommes-nous, littéralement, de la pensée, incarnée?