Jean-Claude ICHAI

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Billet de blog 18 août 2025

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Israël en vitrine

Il y a ce constat, simple, clair, limpide : on ne peut pas résoudre le problème de la violence par l’exercice d’une violence concurrente. Jamais.

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Et puis la question habituelle surgit, presque immédiatement : « alors, que doit-on faire ? »
Est-il pertinent d’y répondre, et si cette question avait une orientation cachée ?
Qu’est-il capital de considérer: ce qui doit être fait ou la cessation de ce qui doit être fait?
Beaucoup balaieront ce genre de question en invoquant le laxisme, confondant la cessation du devoir faire avec le laisser faire.


On prête à Golda Meir, premier ministre israélien de 1969 à 1974, cette phrase :« nous pouvons pardonner aux Arabes d’avoir tué nos enfants. Nous ne pouvons pas leur pardonner de nous avoir obligés à tuer les leurs ».  
La formule est monstrueuse de cynisme. Rien , jamais, personne ne peut obliger quiconque à faire quoi que ce soit, c’est une vérité absolue, que seule la folie contestera. On peut être obligé de subir, mais rigoureusement jamais de faire. On ne peut que faire, en s’y obligeant ou pas.
L’héritage assumé de l’idéologie nazie se tient malheureusement dans une telle formule, dans la terrible et pourtant évitable option du meurtre de ce qui définit le mieux l’innocence humaine : l’enfance. Comme si l’extermination était une obligation exogène.

La question n’est plus de rechercher concordances et divergences entre le régime nazi et l’actuel régime israélien, elles sont nombreuses et on s’en fout. On y pense, on se souvient, ça monte à la conscience, c’est observable sans qu’il soit nécessaire d’adhérer ou de condamner.
La question qui vient, s’agissant d’absolument n’importe qui, toi ou moi peu importe, est la suivante : quel est le carburant de la machine à détruire, qu’est-ce qui pousse, jusqu’au bout de la folie meurtrière, à réagir à un traumatisme, une blessure infligée, par un traumatisme amplifié, une blessure reproduite ? À ajouter au crime, lorsqu’on le subit ? Quel est le processus qui substitue la réaction à la compréhension , et qui finit par rendre ce monde complètement malade ?
L’éradication de l’ennemi, l’agresseur, est l’option qui est retenue par la plupart des sociétés, comme si elles y étaient obligées.

Une question très large, à la réponse que d’aucuns penseront évidente, se pose : qu’est-ce qui caractérise l’agression comme fait ? Qu’est-ce qui fait d’une action une agression ?

La réponse est assez simple en fait, il faut et il suffit de prétendre une pérennité, une stabilité, une permanence à une forme connue du monde, il faut et il suffit que la pensée fonde la durée pour que l’effraction soit rendue possible. Mais c’est aussi là que se tient l’essence de la folie : considérer que ce qui est vivant est durable, alors que ce qui est durable caractérise seulement la mémoire, autrement dit ce qui n’est plus. La folie apparaît dès lors clairement : ce qui est vivant, c’est ce qui est mort.

Il y a de ces slogans, repris en choeurs décérébrés : 
« Plus jamais ça »
«il faut respecter le devoir de mémoire »
« La peur doit changer de camp ».
Terroriser les terroristes, quoi de plus con franchement ? Quoi de plus favorable à la généralisation de la terreur ?

Quoi de plus légitime que le conflit, quoi de plus conflictuel que la loi ?
Mais encore, reste-t-il quoi que ce soit d’aucun conflit sans l’irruption de ce qu’il faudrait faire/ne pas faire dans le cours d’une action quelle qu’elle soit ? Sans qu’elle soit justifiée ou condamnée ?

Les juifs, pas davantage ni moins que leurs congénères, n’ont pas appris des massacres du passé. Sans rien comprendre des traumatismes subis, ils y ont, mécaniquement, réagi. Les sociétés humaines ont éludé dans une formule « plus jamais ça » la nécessaire compréhension de « ça », pensant avec cette imbécilité crasse qui a fait école (!), que comprendre « ça » serait le justifier.
Les israéliens ont, microcosmiquement et tragiquement opté pour l’isolement, la dinguerie de la pureté ethnique, arc-boutés, focalisés sur la menace qu’ils ont par là-même contribué à faire grandir. Et que faire devant une menace grandissante sinon devenir soi-même menaçant, que faire sinon instaurer l’équilibre de la terreur. Et quel régime politique se satisfait le mieux de l’équilibre de la terreur, si ce n’est le fascisme ?
La menace, le risque et la peur de perdre ce que de toute façon on finira par perdre parce que c’est l’ordre de toute chose que l’on croit pérenne, est le plus sûr promoteur de la fascisation du monde. Plus j’ai, plus j’ai à perdre, plus je déteste, plus je dois soumettre.
« Plus jamais ça » est une formule qui porte la reproduction, voire l’amplification. On ne traite pas l’horreur par la volonté, on l’évacue à partir de sa compréhension.

Pour en finir avec l’illusion du pouvoir, le nécessaire et vertigineux questionnement

Si mal il y a, c’est dans l’illusion du pouvoir, ou plutôt de sa détention,  qu’il se tient.
Dans la prétention à rendre l’homme maître de son destin, tandis qu’il n’en est rien, son impuissance n’étant pas relative mais absolument absolue. Le drame est aussi d’ignorer voire de rejeter la beauté de la chose, considérée comme effroyable. Les religions l’ont si copieusement assénée, cette responsabilité proprement humaine devant son valeureux et seigneurial créateur, comment ne serait-on pas pris de vertige à réaliser le néant complet de la pensée proprement humaine, comment réaliser le caractère traversant et non propriétaire de toute pensée, comment en cesser la folle détention ?
Il n’y a pas plusieurs accès, il n’y en a qu’un seul, celui de l’observation sans crainte de voir voler en éclat tout ce qu’on croit savoir sur tant de choses, sur toute chose en réalité, sur l’univers des choses, tout entier.
Le monde confié à la responsabilité des hommes par leur créateur est une foutaise complète en regard de l’exploitation suicidaire qui a cours sous nos yeux. Les hommes sont la délégation du crime, depuis l’origine, en dépit du rêve forcené de son destin paradisiaque, quand on constate que la transformation opérée va du paradis à l’enfer et non l’inverse. Le constat est visible jour après jour, le paradis est sinon détruit, pour le moins négligé, et n’est plus perçu qu’à l’occasion de rares ouvertures de fenêtres sur le monde réel, le monde de la présence.
La dimension purement onirique du monde connu semble résolument et stupidement ignorée, la vision se limite désormais à à la croyance.

Les sensations ne sont pas des croyances : la faim, la soif, le froid, la fatigue, la douleur, malgré leurs infinies modulations, sont les réalités qui toutes révèlent le besoin moteur de sécurité, qui toutes orientent le mouvement du confort, moral comme physique.
Le besoin est vitalité, la vie est besoin.
Qu’est-ce qui l’envenime, le fait muter de l’écoute vers la frénésie accumulatrice, vers le droit à la sécurité, vers la propriété, l’isolement, le séparé ? Qu’est qui rend hostile le besoin, au commencement vital, partagé, égalitaire ?
Qu’est-ce qui rend menaçante la réalité constamment polymorphe du monde ?
Comment naît, non pas l’individu, mais l’idée de l’enclos de pouvoir qui l’institue ?
Comment l’idée d’un pouvoir, détenu ici ou là plutôt qu’actif maintenant, fait-elle irruption dans la conscience, pour finir par en arriver au chaos phénoménal qui se déploie, maladivement, sous nos yeux ?
Comment l’idée totalement inepte de la vie durable, de la vie détenue plutôt que celle qu’on est fait-elle irruption dans la conscience, en la corrompant ?
Comment, sinon par l’exercice de la volonté, qui crée un intervalle, une durée qui est distance et donc matière, matérialise-t-on la pensée ?

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