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Billet de blog 4 septembre 2024

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L’immobilité et un brin d’herbe (un livre du poète Serge Núñez Tolin)

Plus le poème de Serge Núñez Tolin est sec, plus il est fort. Une simple juxtaposition de termes, et la présence de ce qui est nommé saute à la figure.

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« Le vide est comme notre prolongement et les mots ne seraient pas soutenus s’ils n’allaient entre le vide et le monde. »

Illustration 1

Chez Serge Núñez Tolin toujours l’idée d’une traversée, d’être traversé par la vie, par le temps, nous sommes réceptacle autant que passager. Les titres de ses recueils indiquent parfaitement la qualité de cette écriture introspective, inquiète et méditative à la fois (les deux vont de pair). Une interrogation permanente qui ne cesse de se déchirer en diverses questions ou impasses, avec des réponses qui servent d’articulation plus que de conclusion : « Je suis en silence, homme debout. »

Plus son poème est sec, plus il est fort. Une simple juxtaposition de termes, et la présence de ce qui est nommé saute à la figure. « Est-ce pourquoi je suis l’isthme d’un corps bordé de part et d’autre par un vertige sans mot ? » [p. 50]

Il est une mécanique des mots simples qui agite le sens avec lequel l’intime négocie toujours sa place durable. Silence, lumière, immobilité, vide, trou, monde, présent. Des mots plutôt abstraits qui vont s’envisager avec un seul brin d’herbe (Fukuoka !) pour rendre possible la respiration organique qui seule viendra répondre au suspens existentiel.

« Le chemin où nous remontons patiemment. Prendre le temps n’est jamais qu’un emprunt, le pas, la mesure de ce prêt. » [p. 37]

Être posé en soi parce que sujet de ce monde, faire partie d’un tout, être respiré autant que l’air le veut bien, qui ne veut rien. Ce que Serge Núñez Tolin appelle des poèmes, ce ne sont pas des exercices littéraires, plutôt des empreintes d’une conscience frottée à l’émeri de quelque para-panthéisme qui se diffuserait au fil des pages. Des sensations qui s’interrogeraient sur la présence, décidément, et sur ce toujours présent qui s’écoule dans la vacuité du temps (et dont cependant nous sommes faits, quoique de chair corruptible). Ce ne peut être rien d’autre, que marcher avec eux, avec ces mots, ces médiations réitérées, la lecture de ce livre : L’immobilité et un brin d’herbe.

C’est à un recul immesurable que nous convie ici le poète, une sortie du corps pour embrasser mieux la légèreté des représentations dont nous ne sommes aussi qu’un élément. Sauf à souffrir, bien sûr, mais c’est du moins cet exercice de pensée qu’il cherche à partager, une évasion vers le cœur d’un dispositif indicible, celui dans lequel nous évoluons, avec pour seule boussole un langage plus ou moins élaboré dont le ressort est autant la transparence (la nomination des choses) que l’opacité (l’incapacité de nommer vraiment, sans parler même de l’innommable).

« Danse
de la blancheur, fil
à plomb.

Main levée, pulsation de la sève,
la pointe exacte
de la suspension du
corps ; jeté brutal ; sol.

Si la course bruit. » [p. 30]

*

Serge Núñez Tolin, L’immobilité et un brin d’herbe, 62 p., Le Cadran ligné, 2024, 14 €

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