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Filtre des expériences trop crues, infinie ré-habitation de soi par les images, visionnaire est le poète enfoui dans les apparitions qui lui font tour à tour la guerre ou l’amour. Est-ce par souffrance ou par exaltation que se vit ainsi l’écriture en visite ? Nul autre que l’auteur ne sachant le dire, il faudrait qu’Olivier Deschizeaux nous en parle précisément, car joie et douleur ont l’heur parfois de se confondre, brouillant même les codes d’une évidente amplitude.
Quand aujourd’hui le réalisme le plus plat sert de boussole à une certaine poésie très acclamée, quand le narcissisme est valorisé à outrance sous couvert d’aveux inconciliables, les pavés hallucinés de Deschizeaux opèrent comme des îlots d’intemporalité fantasmagorique au milieu d’un océan d’effaçables criailleries.
Sensibilité de l’intériorité repliée en autodéfense, qui retourne les coups de fouets du quotidien en des bouffées lumineuses et chatoyantes. Fantasque, fraternelle, cette écriture comme la marque d’un refuge où l’autonomie du rêve prend toute sa place, qui relève d’une ferveur inconditionnelle, le pourquoi répond de son pourquoi, l’horizon vaut la lumière, et n’être plus « l’ersatz du Christ » c’est encore avancer vainqueur dans les ténèbres.
« Un air de tristesse léchait mes os, les musiques sans voix se faisaient parangons des pyramides, des labyrinthes d’Orient, tes cheveux comme des pétales de roses buvaient le soleil sur les murs de ta chambre. » [p. 40]
Le Courbe-rêve est dédié à la mère décédée il y a peu de temps, il le conduit très délibérément comme un geste de ferveur, les images qui en surgissent sont d’une couleur justement maternelle et les souvenirs, les mots-clefs surgissent d’une mémoire triste de ne plus être que mémoire. La conscience du temps se défait au gré de la douleur du « jamais plus »… Majestueux chant d’amour, ce triptyque aux abois, peut-être sépulture, mais en rien funèbre, c’est un chant de grâce, comme on dirait une « action de grâce ».
Quand le surréalisme revient sous prétexte d’anniversaire, que l’écriture improvisée ne paraît plus vraiment de mise, Deschizeaux pourrait bien être un des sauvages représentants de ce mouvement libérateur de l’esprit (ou se voulant tel). Quand le magnétisme de l’intelligence s’octroie des éclairs spontanés pour mieux construire des espaces indéfinis et souligner le dehors du dedans.
« …
adieu femme altesse femme gorgée de promesse femme grossie par les enfances,
adieu être vif sur le clavier de ma plume,
sous mon chapeau tu reviens au monde comme un spectre qui ne cesse de renaître,
quand les sangs auront fini de couler dans l’antre des Justes et que les larmes auront séché je verserai sur ton souvenir la myrrhe des beaux jours,
... » [p. 59]
Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, Olivier Deschizeaux est un des tout premiers poètes d’aujourd’hui, mais parce que l’homme est discret il semble que les bavards habituels n’en fassent pas grand cas. Lionel Bourg, qui dirige la collection où paraît ce livre, n’est pas de ceux-là, il a vu en cet auteur découvert il y a vingt ans par Olivier Rougerie, son premier éditeur, un pur descendant de Maurice Blanchard ou de Lautréamont, et j’acquiesce à ses références.
Un monde de lumière noire que celui de Deschizeaux, on y est mêlé à des nuages hallucinés, à des constellations circulant dans un vide où les couleurs s’échappent à travers les nuées, c’est une apesanteur partagée où la gravité garde tout son poids, une bulle d’angoisse récurant les sourires là où ils passent, à même la crudité des rues et des rêves.
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Olivier Deschizeaux, Le Courbe-rêve, Le Réalgar, 2024, 60 p.,13 €.
Voir sur le site de l'éditeur : ICI