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Billet de blog 13 avril 2025

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Carnets indiens (1990-2010) - extraits de décembre 2009

Carnets écrits en Inde durant les différents séjours que j'y ai effectués. Suite.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Vendredi 27 novembre 2009 Puducherry Dans The Hindu d’aujourd’hui je vois qu’hier était le premier anniversaire des massacres de Bombay, à l’hôtel Taj Mahal et à la gare Chhatrapi Shviji Terminus (ex Victoria Terminus), or ces attentats me paraissaient dater de beaucoup plus qu’une seule année, étrange sentiment d’être tout à fait perdu dans la mesure du temps.

Je lis aussi que la Chine annonce enfin des objectifs de limitation des gaz à effet de serre, soit une baisse de 40 à 45 % (entre 2005 et 2020) des émissions de dioxyde de carbone. Obama annonce – 17 % pour les USA d’ici à 2020, 83 % d’ici 2050.

Samedi 28 novembre 2009 Hier soir, rentrant à la chambre, la tube néon ne s’allume pas. Je le signale au manager qui me dit d’attendre un peu. Je comprends qu’il va avertir un employé pour qu’il vienne voir le problème. J’attends donc une dizaine de minutes à la lueur d’une ampoule de très faible puissance qui répond à un autre commutateur de la chambre. Je finis par redescendre à la réception et je vois le petit monsieur que j’aime bien, qui est employé ici, je lui explique, il vient et me dit d’attendre : « waitting five minutes! » Je ne sais s’il va chercher un autre tube, je le suppose. J’attends encore 10 bonnes minutes, au terme desquelles je sors sur le balcon qui court le long des fenêtres des chambres sur tout l’étage, et je reste là, à prendre le frais. Quand je reviens à la chambre, la lumière est revenue. On m’avait juste demandé d’attendre que la lumière revienne toute seule, d’elle-même. Caprice de ce type d’éclairage, leçon de patience, de confiance.

Une femme en guenille, maigre en cheveux courts, au beau visage osseux et au regard perçant, elle se tient souvent dos à la rue devant le tea-shop où je vais boire un verre de thé le matin. Dans ses mains, des sacs en plastique qui semblent vides. Elle passe tout son temps à éplucher les poignées des sacs, à tirer dessus jusqu’à en faire de multiples lambeaux qui font comme autant de pétales d’une fleur artificielle, et elle regarde devant elle sans rien exprimer, ni plainte ni plaisir, rien qu’un acte de présence à travers la transparence d’un regard lointain. Je crois bien qu’elle « travaille » ainsi toute la journée, chaque jour. J’ai remarqué ce matin qu’elle portait une robe bleu clair assez sale, mais en assez bon état. Où vit-elle ? A-t-elle un logis ? Que pense-t-elle ?

Dans The Hindu on apprend que l’AIEA vient de voter une censure contre l’Iran. « Nous ne céderons jamais à la pression. », répond Téhéran.

Hier à Cuddalor, ville qui touche Puducherry au sud, grève de 12h des chauffeurs d’auto-rickshaw. Ils demandent des aménagements nouveaux, emplacement sur le bus stand et à l’hôpital pour pouvoir amener les clients au plus près, et ils exigent que les autorités cessent d’accorder de nouveaux permis à de nouveaux auto-rickshaws.

L’Assemblée nationale française vient d’adopter une loi qui autorise un accord de coopération dans le domaine du nucléaire civil entre la France et l’Inde. Chaque nouvelle, décidément, nous informe du pire. D’un côté, Sarkozy joue les sauveurs de la planète en poussant à des mesures contre le réchauffement climatique, de l’autre, il vend du nucléaire à tour de bras, sans que beaucoup ne relèvent de contradiction patente.

Dimanche 29 novembre 2009 Pour Claude Farrère dans L’Inde perdue, la France inventa, par Dupleix, le concept d’Empire, en Inde. Les Anglais réussiront ce qu’il avait envisagé. Malgré Bussy notamment, chef de guerre, fin stratège, la France perdit ses chances face aux Anglais par manque de soutien de la métropole. Versailles n’était pas intéressé par des possessions en Indes ? rien que le commerce l’intéressait, et, surtout, on voulait éviter de ranimer la guerre avec les Anglais, s’en tenant au traité d’Aix La Chapelle (1748).

En première page du quotidien The Hindu ce matin, une information selon laquelle 55 travailleurs de lka Centrale Nucléaire de Kaiga (Karnakata) ont reçu une dose excessive de radiation. Ils ont bu de l’eau qui contenait du tritium. Cet incident a eu lieu le 25. Je ne suis pas sûr qu’en France un incident équivalent serait arrivé aussi vite à la connaissance du public, et surtout par le biais le plus officiel, comme c’est le cas ici.

En Grande-Bretagne, dans les années 1940, Brian Vesey-Fitzgerald a relaté comment les Gitans atteints de maladies pulmonaires tentaient un transfert symbolique en respirant trois fois dans la bouche d’un poisson vivant, avant de relâcher dans l’eau où il avait été pêché. Ils avaient l’espoir que la mort dupée s’en prendrait au poisson.

Isabel Fonseca, Enterrez-moi debout, p. 316.

« Baxt, dit Rajko en levant les sourcils et en laissant les yeux, c’est l’idée essentielle pour les Gitans en ce bas monde. »
Ce mot compte plus que devel (Dieu), ou beng (le diable). L’idée de baxt, peut-être très terre à terre, quand on joue au casino. Certains considèrent que leurs enfants sont leur baxt, selon Rajko. Tout peut l’influencer, notamment la manière dont on suit les traditions : respecter les mule (l’esprit des morts) et éviter les souillures de toutes sortes (« si je suis impur, je n’ai aucune possibilité de baxt ») Baxt s’oppose à la cohésion sociale, estime Rajko, car elle ne se mesure pas collectivement, sous la forme la moins noble, ce n’est qu’un fatalisme qui encourage la passivité.
[…] Avant tout, baxt concerne le présent et l’avenir proche.
Les Gitans n’ont pas de mythe concernant la création du monde ou leurs propres origines ; ils n’ont aucune notion d’un passé historique glorieux. Très souvent leurs souvenirs ne dépassent pas 3 ou 4 générations…

Isabel Fonseca, Enterrez-moi debout, p. 316.

Le 14 avril 1994, le mémorial américain de l’Holocauste organise son premier hommage aux victimes tziganes. Parmi les participants figurent Iam Hancock, Gitan anglais qui vit aujourd’hui à Buda, au Texas. C’est Hancock qui a conçu le terme porraimos (engloutissement), c’est lui qui a mené plus ou moins seul la longue bataille pour aboutir à l’inclusion des Gitans dans le musée, les 65 membres du Conseil d’administration du mémorial (fondé en 1979) comprenaient déjà des Polonais, des Russes, des Ukrainiens et plus de trente Juifs. C’est seulement après la démission en 1986 du président Elie Wiesel, survivant des camps et prix Nobel de la Paix, hostile à toute représentation gitane, qu’un Gitan fut invité à siéger au conseil.

Isabel Fonseca, Enterrez-moi debout, p. 349-350

Lundi 30 novembre 2009 - Puducherry Il semble que les pommes soient vendues ici deux fois plus cher qu’à Varanasi. Aujourd’hui comme hier, ciel gris-blanc, avec par moment de très fines gouttes de pluie à peine perceptibles, je peux les deviner, qui brillent dans l’espace, mais les ressentir si je suis dessous, c’est tout juste.

Dans The Hindu un article sur la menace des moustiques sous laquelle se trouveraient plusieurs quartiers de Puducherry. Les pluies des semaines passées ont évidemment laissé des flaques d’eau stagnantes, d’où les fortes probabilités d’y voir naître des moustiques. Pour ce qui est du secteur où je suis, il doit être privilégié je n’ai quasiment pas vu de moustiques à l’Amnivassam depuis que j’y réside (et ce fut vrai aussi pour le mois que j’y passai il y a un an et demi.

Je poursuis la lecture du Guide, de Narayan, encore un très beau roman de cet auteur. Il y a vrai don du récit chez lui et une richesse psychologique étonnante. Il parvient à exposer la mentalité des Indiens du Sud à travers des histoires à la fois originales et emblématiques, et sans jamais donner dans le folklore.

Mardi 1er décembre 2009 – 21h  Ce soir, animation en ville. Lumières devant les maisons, petite Divali de saison, j’ai vu aussi un feu en pleine chaussée devant un temple, rue Barathi si je ne me trompe, cette rue d’artisans en tout genre. J’y ai vu, par exemple, un atelier de réparation de sacs de voyage, il y avait, pendu en devanture, des sacs usagers, et à l’intérieur d’autres qui semblaient en phase de restauration, sauf erreur.

Lecture de Bergounioux. Je ne sais pas si je goûte, finalement, ce genre d’ouvrage. Un peu le même problème que Michon, exercice de style avant tout, car peut-être pas grand-chose à dire au bout du compte, même si au passage quelques remarques qui m’ont touché, comme celle concernant la transmission des prénoms du grand-père au petit-fils, avec une vague idée de résurrection, de transmigration. Ça semble très juste. Sauf que le prénom pouvait tout aussi bien se transmettre du père au fils, comme je peux l’observer dans ma propre famille. Il me semble bien que mon père, aîné des garçons, porte le prénom de son père. Et Pierre, le frère de maman, porte assurément le prénom de son père. Par ailleurs, je me souviens qu’on m’appelait parfois, quand j’étais enfant, le petit Joseph.

La coutume était encore de donner aux enfants le prénom des grands-parents, en vertu de l’idée que quelque chose d’impérissable survit à la destruction de nos corps. Ce dont se serait bientôt le tour de partir étaient fondés à considérer que, déjà, ils renaissaient, ils pouvaient se voir, là-bas, trébuchants, effarés au seuil de la lumière qu’ils allaient quitter. c’est moi qu’on avait désigné pour que grand-père revienne. C’est moi qu’on avait désigné pour que grand-père revienne.

Pierre Bergounioux, La Toussaint, p.29

Ce soir, balade autour de la ville. Du monde à cette heure-là sur le bord de la mer, ensuite en remontant la rue Laporte, j’ai entendu une voix qui m’interpelait : Jean-Claude. C’était Ajoy. Il était devant chez lui, sa maison, sa voiture, sa moto. Aussitôt il commence à parler. Il m’a semblé plus compact que la dernière fois, comme si son corps s’était raffermi en rétrécissant un peu. Je l’ai senti assez détendu, mais évidemment il se plaignait de son sort. Il ne sait toujours pas quoi faire de sa peau, s’ennuie ici et est incapable de retourner en France. Il y avait cependant quelque chose de moins oppressant que d’habitude dans le débit de sa voix, de moins paranoïaque, peut-être simplement a-t-il lâché quelque chose pour s’abandonner à sa tristesse, qui est patente. Il souffre d’un double déracinement, incapable de raccrocher sa vie à son existence. Guère de solution possible, sauf à prendre vraiment son courage à deux mains, et ce n’est pas ce qui le guette, sauf erreur. Ses sept frères et sœurs sont en France, font leur vie là-bas, ils ne viennent qu’une semaine par an à Pondy. Il y a ici sa mère, qui vieillit, bien sûr ? Et sa femme. Impossible d’abandonner l’une et l’autre pour revenir en France, sachant qu’une fois en France la partie ne serait pas gagnée, d’autant qu’apparemment il ne doit pas compter sur ses frères et sœurs. Il s’est aliéné de tout son monde possible et maintenant il remâche des regrets de ne pas avoir su faire sa vie en France. Il parle de l’importance d’avoir des enfants, un compte en banque, une maison. Il pense avec effroi à son avenir, me demande comment je vois le mien, puisque je n’aurai pas de retraite et toujours pas d’argent. La conversation dure depuis un quart d’heure quand un certain Michel passe dans la rue, je les laisse parler ensemble, m’éloigne. Est-ce cette conversation, assez unilatérale évidemment, toujours est-il que je me sens groggy, incapable de quoi que ce soit, la tête pleine et passive, comme bouillante. Plus possible, comme je l’avais prévu, de tâter une nouvelle séance d’écriture ce soir. Tant pis. Non. Juste rester immobile et laisser le trop-plein s’évacuer jusqu’à ce que la pression soit redevenue normale.

Vendredi 4 décembre 2009 Je remarquais hier matin comme la veille déjà une affluence extraordinaire au magasin Mobile Store qui fait l’angle de la Kandappa et de la rue Gandhi. Beaucoup de monde sur le trottoir semblant attendre l’ouverture, pour récriminations, semble-t-il, à l’humeur nerveuse qui se dégage de cette foule. Promotion soudaine ou réclamation, suite à des problèmes techniques, ici comme partout la mafia des opérateurs téléphoniques tient sûrement son monde, son monde qui le veut bien.

Rêve de ce matin : C’est en Bretagne, le ciel est lumineux comme en été,. Je suis avec Alain G. Nous nous sommes retrouvés là comme des dieux grecs. Alain est accompagné de sa dernière fille, Zéphora. Nous sommes maintenant à l’intérieur d’une vaste église parfaitement vide et dont les vitraux ont disparu, si bien que la lumière pénètre toute blanche à l’intérieur et que l’espace est très clair et très libre, loin des effets de solennité habituels dans ce genre d’endroit. Deux jeunes Italiens sont soudain présents près de nous. Nous deux, nous venons de décider, par la bouche d’Alain, d’aller nager en sortant d’ici. Mais les deux Italiens s’approchent et bientôt nous invitent, sans qu’on sache pour quelle direction ni pour quoi faire – à l’expression suggestive du plus jeune dont les cheveux sont blonds comme la paille, ce pourrait être pour l’amour. À mon étonnement, après hésitation, Alain accepte l’invitation, oubliant sa décision précédente d’aller dans la mer se baigner. Puis, comme se rappelant de l’impossibilité de choisir les deux directions en même temps, et voyant son humeur paradoxale, Alain déclare en aparté, à mon intention : je suis à la masse ! Parce qu’il voulait à la fois goûter à la mer et à l’amour, du moins au projet des Italiens.
– Et la petite ? dis-je, en songeant à Zéphora.
Finalement, après quelques minutes d’expectative, les Italiens ont disparu et nous allons tous les deux vers la mer.

Hier suis allé au CDI du Lycée français voir la bibliothèque ? laquelle est mieux ordonnée que celle de l’Alliance française, ce qui n’est pas difficile mais son contenu, au moins au niveau des romans, n’est guère plus reluisant. Jamais d’œuvres complètes, et, principalement représentés, des auteurs tombés en désuétude. Un bon nombre de classiques, bien sûr, la plupart en édition de poche très usagée. Pratiquement pas de littérature contemporaine. Pour ce qui est des sciences humaines, je n’ai pas bien regardé, mais a priori pas grand-chose. Je croyais me souvenir qu’il y avait un rayon littérature indienne de qualité convenable, pourtant ce que j’ai vu comme romans indiens est fort succinct. J’ai finalement emprunté un recueil de contes tamouls et suis ressorti assez triste de l’établissement, non sans avoir descendu le bel escalier réalisé par l’équipe de Patrick il y a deux ans.

Pour ce qui est de la lecture, ce séjour comme le précédent, je devrais donc compter pour l’essentiel sur mes propres forces, c’est-à-dire sur ma bibliothèque portative, qui heureusement est assez copieuse.

Samedi 5 décembre 2009 – 13h30 Le courant vient de revenir au terme d’une panne qui durait depuis hier soir, 22h. Nuit assez difficile du fait de la chaleur et bruit de ronflement qui venait d’une chambre voisine, car le ventilateur a pour avantage, outre la production d’un air plus frais, de couvrir les sons environnant.

Commencé la lecture des mémoires de Casanova, suis allé à la bibliothèque de l’Alliance française où j’ai fait mettre de côté « Des hommes » de Laurent Mauvinier, ayant vu qu’il était une acquisition récente.

Dimanche 6 décembre 2009 – 13h30 Téléviseur à fond la caisse dans la chambre d’à côté hier après-midi, je me décide à sortir faire un tour pour échapper à ce vacarme. En passant devant la porte j’appuie sur l’interrupteur extérieur et coupe le sifflet de la TV ainsi qu’à l’éclairage qui était allumé, et m’éclipse avant que le voisin n’ait pu réagir. Plaisanterie gamine à visée pédagogique. Le soir quand je rentrai, la chambre voisine était inoccupée, le voisin sorti. Ce matin, vers 6h30, à nouveau la TV retentit du même bord. Je suis allé faire un tour sur le marché, achetant un livre de Jankélévitch sur la musique de Fauré. Au retour, une heure et demie plus tard, je frappe la porte d’où la nuisance s’extrait de plus belle ? On ne répond pas, j’insiste, finalement, c’est un enfant qui vient m’ouvrir, je lui demande gentiment de baisser le volume de la TV, il a la télécommande en main, il appuie aussitôt sur le bouton idoine et le volume sonore se porte à un niveau décent. Je le remercie. Entre-temps, j’étais passé voir une autre Guest-House non loin d’ici, car l’envie me venait d’aller m’installer ailleurs, tant le bruit me rend fou. C’était l’hôtel Mahar, j’ai juste demandé le prix des chambres, lequel m’a dissuadé d’enquêter plus avant, les single sont en effet à 750 Rs.

Dans The Hindu d’aujourd’hui, un article sur les problèmes que posent les vaches et les buffles à la circulation routière dans certains quartiers de la ville et des alentours. On rapporte le témoignage d’un cycliste qui a percuté par un buffle et dont la femme, qui se trouvait sur le porte-bagage, a été blessée.

Faire le marché du dimanche a beaucoup perdu de son charme, car de plus en plus de gens le font à cheval sur leur moto ou scooter, ce qui fait que la déambulation du simple piéton en est rendue difficile. N’est-ce pas insensé que la rue Gandhi, où se déroule ce marché hebdomadaire, ne soit pas interdite à la circulation motorisée ce jour-là ? À moins que cela ne soit le cas, et que l’interdiction ne soit pas respectée, ou si peu. L’affluence ne m’a pas paru énorme ce matin, ou était-il trop tôt encore ?

lundi 7 décembre 2009 Nouvel accord entre l’Inde et la Russie concernant l’énergie nucléaire. Le directeur de la Banque mondiale déclare que la crise que connaît Dubaï est contrôlable et qu’elle ne devrait pas affecter l’économie indienne. Grosse manifestation contre Berlusconi à Rome hier, 350 000 personnes dans la rue. Le sommet mexicain rejette les efforts républicains pour empêcher la loi sur ‘assurance médicale. Voilà ce que je retiens du feuilletage du journal. Ah si ! en première page, un texte commun relatif au sommet de Copenhague sur le climat, publié dans 56 journaux de 45 pays. Blabla !

Mardi 8 décembre 2008 Terminé la lecture de l’excellent Bal des schizos de Ph. K Dick. M’a fait penser aux ouvrages délirants de Marc Behm, K. Dick étant là précurseur.

mercredi 9 décembre 2009 Viens de passer à la poste où j’ai demandé à voir les casiers de la Poste Restante. Comme à Mahabalipuram, on m’a répondu qu’il n’y avait aucune lettre ne poste restante, ce qui me semble étonnant. Je suis un peu surpris que Michelle ou Benoit n’aient pas répondu à ma lettre et que surtout, sur l’ensemble des résidents étrangers à Pondicherry, plus un seul n’ait recours à ce service pour son courrier. Il faudra peut-être avertir mes correspondants et donc proposer une autre adresse, celle de G-L me semblant être la seule possible.

Au CDI du Lycée, lecture du Courrier international, auquel ils sont abonnés, contrairement à l’Alliance française. Aussi, sur leur présentoir, les magazines Sciences humaines, L’Histoire, Alternatives économiques, Les Inrocks, Le Point, Le Nouvel Obs, La sélection hebdomadaire du Monde, Le Magazine littéraire, Phosphore, etc.

Vendredi 11 décembre 2009 Écrire les mots pour ne pas avoir à les prononcer, à parler, à les dire. Vivre sans parler, sans dire, en silence.

samedi 12 décembre 2009 Plus tour à la bibliothèque à l’Alliance française. Je dis « petit tour » car il ne risque pas d’être prolongé. Pas un seul journal datant de moins d’un mois. Quelques exemplaires de Elle, Cosmopolitan, Paris Match semblent être ce qui est le plus suivi. Apparemment, ils sont abonnés au Nouvel Obs et à L’Express, mais là aussi les délais de mise à disposition pour la consultation sur place dépassent de beaucoup les délais postaux. La sélection hebdomadaire du Monde, c’est le même exemplaire que je vois présenté depuis un mois que je suis arrivé. Pas d’abonnement à Courrier international, au Monde diplomatique ? au Canard enchaîné, seule la voix de la France est admise, dirait-on. C’est à vomir ! Je suis sûr que les fonctionnaires coloniaux d’il y a 50 ans étaient moins méprisants vis-à-vis des Tamouls que ceux d’aujourd’hui, ou d’une façon moins hypochrite. Ça n’est pas exactement du racisme, c’est une sorte de parisianisme appliqué au monde, c’est-à-dire un confort intellectuel qui leur fait penser que ces gens-là sont superficiels et que les journaux quelque peu avertis, critiques, ne sont pas pour eux. Y a-t-il, comme pour le contenu de la bibliothèque, des consignes de censure, des interdits. La France, pays de liberté ? Tu parles !

dimanche 13 décembre 2009 Petit tour au marché. Pour 10 Rs chacun j’ai acheté un JB Pouy et un Zola, pour le plaisir de la surprise et celui d’acheter.

Dans le supplément culturel du Hindu, un article sur et un entretien avec André Velter, dont les déclarations me paraissent plutôt creuses et cachant mal sa suffisance. Son rêve, dit-il, est d’être traduit dans les principales langues de l’Inde. Ou encore : « écrire est aussi simple que de tricoter un sweat. » Il dit que lorsqu’il est en Inde, il ne passe pas son temps dans les temples et les ashrams, il est complètement immergé dans la vie indienne, etc. Tout ce qui est de sa bouche dans cet article relève du cliché, du lieu commun, un tel relâchement est surprenant de la part d’un homme aussi habitué ) communiquer, comme s’il avait oublié de contrôler son niveau de vanité, à moins qu’il n’ait dépassé ce stade et s’estime une sorte de bienheureux dont toute parole est valable par elle-même, sinon en soi-même. Que je n’oublie pas d’envoyer cet article à Guy Benoit, il rira bien !

Lundi 14 décembre 2009 Ce midi, vu Patrick, son fils Sylvain et un de ses copains acrobate, avec qui il est en tournée en Inde. Avons déjeuné avec Myriam au Suguru avant d’aller à l’atelier. J’ai fait quelques photos.

Commencé la lecture de La tâche, de Philippe Roth.

Mardi 15 décembre 2009  Article sur le problème de l’érosion des plages et le risque de disparition de maisons de pêcheurs. Il semble que depuis la construction d’un port au nord de la ville, en 1989. La mer a gagné du terrain sur environ 500 à 1000 mètres de plage par année.

C’est en tout cas très visible à Pondy même, où une bande sable courait le long du cours Goubert il y a vingt ans. Je me suis souvent baigné là à l’époque, alors que maintenant la mer n’est retenue de manger le cours que par une muraille d’énormes pierres qui a été installée pour défendre la ville de l’assaut grandissant des vagues.

D’après un expert, c’est la présence du port qui empêche la mer de ramener vers la côte le sable nécessaire à la persistance d’une plage. Un autre, du ministère des travaux publics, dit que la construction d’un mur de protection est la seule solution. Le gouvernement aurait provisionné un budget pour cela.

Par ailleurs, en Italie, le sinistre mafieux Berlusconi c’est fait agresser assez sérieusement, il a le nez cassé, notamment. Il déclare « vouloir le bien de tout le monde » et ne comprend pas pourquoi autant de haine à son égard.

Je retourne à la bibliothèque cette merde d’un jeune auteur indien, Chetan Bhagat, en quelques pages, ce livre me tombait des mains. Narcissisme à la con, branchouillerie sociologique purement superficielle. Consternant !

mercredi 16 décembre 2009 Hier soir, spectacle de danse, Baratha Nathiam à L’Alliance française. La danseuse était la Rennaise Brigitte Châtaignier, excellente d’ailleurs. Mais beaucoup de mal à suivre le spectacle dans l’incessant va-et-vient des spectateurs, d’autant que par malheur j’étais placé près de la porte d’entrée qui s’ouvrait et se refermait sans cesse, avec bruit et lançant un flot de lumière dans la salle à chaque fois.

Lecture aujourd’hui d’un roman de Richard Millet : Dévorations. Belle prose sous la forme du récit à la fois extérieur et intérieur d’une femme simple vivant dans une petite ville du Limousin et dont la vie est transformée par la venue d’un instituteur avec lequel se noue une relation à la fois distante et intime. Fin du récit assez bizarre, avec l’arrivée d’un étranger qui a le mauvais rôle, un Turc dont on ne voit pas bien ce qu’il fait là sinon pour être jugé mauvais.

Lundi 21 décembre 2009 Retour de Mahabalipuram. Stress dans le bus ce matin, le chauffeur ayant manifestement la trempe d’un chauffard. Me suis juré d’éviter à tout pris de me retrouver sans de telles situations, mais comment ? Puis nous avons traversé une averse, alors le chauffeur s’est montré assez prudent, et ensuite, après que l’averse a été oubliée, il a lui-même oublié de redevenir chauffard. J’ai béni la pluie.

Chez Anbu, je regarde les photos encadrées qui dominent la pièce, une photo d’Anbu et de sa femme, et deux photos d’Anbu avec un personnage à moustache, l’air sûr de lui et débonnaire en même temps. Anbu me voit observer ces photos. Il m’explique que ce monsieur est une personnalité politique, membre du DMK, le nouveau parti qui existe dans le Tamil Nadu (nouveau ? il a une vingtaine d’années au moins, dois-je lui préciser) et qui a eu des fonctions au niveau du district. Je demande s’il a fait quelque chose pour défendre les pécheurs, les pauvres. Anbu me regarde et répond : nothing. J’ajoute en commentaire : politician. Anbu dit : oui, tous les politiciens sont de la merde. Et il ajoute qu’il sait que c’est ce que je pense. Donc, je ne sais à quel point il le pense lui-même, peut-être s’aligne-t-il sur moi par sympathie. Je lui demande si les gens ici parlent beaucoup de politique. Il me dit que beaucoup de gens n’en parlent pas ?

En sortant de Mahabalipuram pour rejoindre le carrefour où s’arrête le bus, j’ai jeté un œil au stand de la marchande de fruits. Et, contrairement à ce matin, elle était là ! Elle a eu un grand sourire en me voyant et m’a serré la main avec une vraie amitié, en montrant son cœur. Je lui ai parlé un peu, elle a paru saisir un peu, avec le très peu d’anglais qu’elle comprend. Apparemment, elle et son mari vont bien, lui est à la maison. Et le fils aussi va bien. Avant que je ne la quitte, elle me glisse une banane dans une main. J’ai pensé que j’avais l’appareil photo, alors je lui ai « tiré le portrait ». La prochaine fois, je lui apporterai le résultat sur papier.

Retour en bus dans la nuit naissante, sans faire attention au danger.

mardi 22 décembre 2009 C’est toujours le risque, bien sûr, de tisser de la prose, comme ça, pour ne pas forcément dire quelque chose. Je dis cela en pensant à Hyvernaud, qui avait quelque chose à dire et qu’il a dit vraiment sans fioritures, dans une langue impeccable, et qu’on n’a pas laissé finir, finalement, et qui a donc dû s’arrêter, découragé, parce qu’y avait de la belle prose qui se vendait mieux que la sienne, de la belle prose qui renvoyait moins à l’aspect mesquin de la pâte humaine, parce qu’autrement il aurait été lu et considéré pour ce qu’il était, Hyvernaud, un écrivain majeur, pas délirant pour un sous, comme Céline l’était, qui était plus facile à admettre, parce que le délire ça fait que lecteur ne se sent pas en cause, alors que la pure lucidité, aucunement trafiquée, elle est coupante comme un miroir, c’est de l’Hyvernaud.

jeudi 24 décembre 2009 Combien de mendiants dans la ville ? Je vois les mêmes chaque jour au même endroit. La vieille qui officie constamment devant la boulangerie où je vais le matin acheter deux petites brioches insipides, elle est plus exactement en poste entre cette boulangerie et le restaurant végétarien qui est à côté, ce qui fait qu’elle bénéficie de l’affluence des clients des deux endroits. Une autre vieille au visage plus sauvage, qui me plaît donc davantage, elle arpente cette même chaussée, mais son emplacement semble moins défini. Ce matin elle « travaillait » un jeune homme qui était sur une moto ; il lui a donné quelque chose, j’ai vu. Si je marche une heure ou deux en ville j’ai l’occasion de donner l’aumône, peut-être une trentaine de fois, quelque chose comme cela. En fait, je ne donne même pas une fois par jour, ou rarement plus d’une fois, quand je donne. Et surtout pas aux enfants, je ne supporte pas qu’un enfant mendie ? je me refuse à favoriser cette pratique. Je ne puis bien justifier cette attitude purement instinctive. Je crois que, par ailleurs, j’ai tendance à donner à ceux qui se rabaissent le moins, qui sont les plus silencieux, les plus dignes, les plus proches, peut-être, de ce que j’aimerais être. Personne, je suppose, ne peut avoir une attitude qui convienne face à un mendiant, c’est impossible, un point c’est tout.

Lecture de nouvelles de Bashee, écrivain du Kérala qui est mort très âgé dans les années 1990. J’aime beaucoup, c’est plein d’humour, truculent, volontiers inconvenant. Une découverte, donc. Bienvenue d’ailleurs après mon essai de lire un ou deux romans indiens récent qui me sont tombés des mains.

25 décembre 2009 Dans The Hindu, en page Puducherry, un article sur un assassinat d’un chef de gang par deux nervis d’une bande adverse à motocyclette. Le titre demeure pour moi incompréhensible, je ne vois pas quelle traduction lui donner : « anti-social hacked to death » Est-ce de l’humour noir ? Non, impossible. En dessous de cet article un message du lieutenant gouverneur évoquant la parole du Christ « aime tes ennemis ». Télescopage savoureux entre ces deux articles.

28 décembre 2009 Patrick me racontait hier, notamment, une histoire de chat. Lorsqu’il était adolescent, à quelques maisons d’où il vivait, il y avait une chatte assez sauvage qui s’était installée dans un jardin abandonné. Elle venait régulièrement dans leur jardin pour y manger ce qu’on lui disposait, mais elle se sauvait rapidement après manger et fuyait dès qu’on l’approchait. Un jour, Patrick entend miauler. C’était cette chatte à moitié sauvage, elle était sur un mur et l’appelait. Elle le regardait en miaulant, et s’éloignait en le regardant, en regardant en fait s’il la suivait. Et elle revenait en arrière en implorant. Patrick comprit enfin qu’elle voulait le conduire quelque part. Il la suivit jusqu’au jardin abandonné qu’elle avait investi, il dut pour cela escalader un mur, car le portail était fermé. La chatte est arrivée là où elle voulait. Elle était grosse. Elle s’est mise sur le dos et Patrick lui a caressé le ventre pour qu’elle mette bas ses chatons. Elle avait senti qu’elle ne pourrait se passer d’aide. Ainsi sont nés les chatons. Par la suite la chatte maternelle a repris son comportement initial, distant et furtif, de sauvageonne qu’elle était.

29 décembre 2009 Lecture de Rajahs blancs, de Gabrielle Wittkop. Styliste remarquable, elle a un don de précision descriptive qu’elle mouille toujours d’un humour, d’une distance, c’en est réjouissant. A priori, tout le décorum de ce roman, ainsi que les personnages, ont existé, il faudrait vérifier, lire quelques articles sur Bornéo, voir ce qu’il en est de cette partie de l’île appelée Sarawak.

30 décembre 2009 J’achète ce matin le numéro spécial des 25 ans de Frontline, avec des articles d’archives qui paraissent intéressants, par exemple sur Narayan et Bashee, pour ce qui est du versant littérature ou encore un entretien avec Chomsky au moment de la première guerre du Golfe.

31 décembre 2009 Dans The Hindu de ce matin une nouvelle réjouissante, la perte par la France d’un contrat portant sur la construction d’un réacteur nucléaire à Abou-Dabi ? au profit d’un consortium Sud Coréen. L’article fait part des problèmes de retard pris par en Finlande et en France pour la construction des EPR, retard qui joue son rôle dans la décision de l’Émirat. Il est question aussi des déboires de l’avion de guerre Rafale dont pas un seul exemplaire n’a été vendu, en dépit d’un lobbying forcené. En sous-titre il est dit que la France voit s’abîmer son rêve de devenir le premier industriel nucléaire au monde.

Un verset des Vedas dit : Je suis un écho qui se tient devant le miroir.
Pascal Quignard, Les Ombres errantes, p. 72

Le mot sanscrit nirvana désigne ces mouchettes à deux branches qui servent à éteindre la mèche ou à l’empêcher de fumer.
C’est le rêve qui sait que personne ne le rêve.
Pascal Quignard, Les Ombres errantes, p. 73

C’est le mot de Toukârâm : J’ai souffert des maux effrayants. J’ignore ce que me réserve encore mon passé.
Plotin disait que les réincarnations successives sont comme un homme qui dort dans des lits différents.
Tous les rêves, paroles, actes, intentions tissent corps à venir.
Le mot sanscrit karma signifie cette tissure qui est cette œuvre des actes sans acception de leur sens.
Pascal Quignard, Les Ombres errantes, p. 72-73

Les artistes sont les meurtriers de la mort. En ce sens il est normal qu’ils soient châtiés par ceux qui font profession soit de l’administrer, soit de l’accroître.
Pascal Quignard, Les Ombres errantes, p. 124

Car ce sont les grottes qui ont fondé les crânes. Ce sont les monastères qui ont sauvé l’occident. L’humanité doit lus à lecture qu’aux armes. Aussi en Inde. Aussi au Tibet. Aussi au Japon. Aussi en Islande. En Chine, la lecture de l’écrit fond même la civilsation. Quand tout le monde aura cessé de lire, la littérature redeviendra prisée. Cette expérience recréera ses ermitages tant il est vrai qu’aucune autre expérience humaine ne rivalise avec elle.
[…]
Pascal Quignard, Les Ombres errantes, p. 138

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