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Billet de blog 13 mai 2011

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L'humanité grise, à peine une anticipation

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Il y a quelques années déjà, une équipe d'historiens ont commencé à écorner l'image vertueuse d'une Suède hors de tout soupçon*. Dans sa contrée natale où, longtemps, la neutralité a servi de drapeau. Carl-Henning Wijkmark est un écrivain aimant fouailler les chairs sociales et politiques. Jusqu'à peut-être oser, lui aussi, faire « mal à son pays ». Un mal chargé de prévenir autant que d'accuser, on le comprend. Son propos dépasse d'ailleurs largement la Suède, même si pour Le Mur noir**, roman dont la traduction vient de paraître, il fait de celle-ci le lieu prémonitoire d'un possible et malheureusement probable devenir occidental – le processus y conduisant étant déjà bien engagé.

La Suède est alors coupée de l'Union européenne et de l'OTAN pour s'enfoncer dans une faillite économique et démocratique au profit d'un déclin dont le contrôle semble partagé entre un État policier et un réseau de mafieux russes. Le narrateur est un homme à l'agonie qui retrouve le pays où il a grandi après 50 années passées à l'étranger. Il tient à retrouver avant de mourir les traces et la clef de sa naissance. Une enquête menée dans un décor familial et administratif tous deux aussi indéchiffrables, sinon l'aide d'un ex-camarade de classe, journaliste en vue qui, las, va changer son fusil d'épaule et exprimer d'un coup ses vraies positions, prenant ainsi le risque d'être banni et liquidé par le pouvoir en place. Pour son interlocuteur il éclaire la situation : « Ne commences-tu pas encore à comprendre l'atmosphère générale qui règne ici ? On dénonce joyeusement à tous les niveaux. Distillation d'alcool à domicile, travail au noir, tricherie avec la TVA, le voisin qui caresse sa petite fille. N'importe quoi pour ainsi dire. […] C'est à cause de cette insécurité générale. Bien sûr, personne n'ose dénoncer les véritables malfaiteurs. »

« Dans les pays qui ont combattu on peut se permettre de distinguer entre le blanc et le noir. Mais nous, avec notre neutralité hypocrite, nous vivons dans une continuelle grisaille, un trouble constant. » assène le même repenti. Son procès semble celui des régimes sans conviction et sans ligne politique claire, qui ne savent jouer que sur des ambivalences, prônant officiellement des choix qui sont contredits par les actes. Des hypocrisies et des lâchetés qui sont aussi celles de la plupart des citoyens (« Il professe secrètement tout ce qu'il récuse publiquement. Un destin typique de Suédois moyen. ») et ne débouchent, à terme, que sur l'utilitarisme et le fascisme, soit un monde où « les emplois sont plus importants que les vies humaines. » et ou, pour certains, il faut masquer la couleur de sa peau ou son origine culturelle. Cela ne vous rappelle rien ? Soit un monde où une centrale nucléaire menacée tient en otage les population, dont celles du pays voisin. Cela ne vous rappelle rien ? Y serions-nous déjà ? Ou presque. En tout cas, Carl-Henning Wijkmark, déjà auteur de La Mort moderne, et La nuit qui s'annonce (Prix August 2008) nous l'aura bien dit.

Quant au « mur noir », image persistante et sans attache dans la mémoire du narrateur, c'est un mur mouvant et gigantesque qui barre l'horizon, comme un terme ténébreux de l'infaillible goulot où se précipite l'humanité.

* Je pense à des études relatives à la stérilisation contre leur gré de quelque 60 000 mille Suédois, de 1937 à 1976. À l'achat d'or aux nazis pendant le guerre. À l'application des lois anti-juives de Nuremberg durant cette même période, illustrant «le dilemme moral engendré par la politique de neutralité», selon l'expression de l'historien Klas Amark. [cf. L'Express du 18/09/1997 et Libération du 27/08/2009.]

** Carl-Henning Wijkmark, Le Mur noir, (traduit du suédois par Georges Ueberschlag), éditions Cénomane, 2011.

Les traductions des trois ouvrages cités sont publiées en France par les éditions Cénomane

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