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Billet de blog 21 décembre 2022

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Découvrir Éliette Dambès, artiste-peintre minutieuse en espiègleries

De cette fin décembre jusqu’à la fin janvier 2023, se tient à Gaillac (81), à la galerie Loin de l’œil, une exposition rétrospective de l’œuvre d’une créatrice rare et discrète, Éliette Dambès.

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Illustration 1
Léda et la pie (aquarelle sur soie marouflée sur bois, 2021 - 14 x 9,7 cm) © Éliette Dambès

De cette fin décembre jusqu’à fin janvier 2023, se tient à Gaillac (81), à la galerie Loin de l’œil, une exposition rétrospective de l’œuvre d’une créatrice rare et discrète, Éliette Dambès.
Une riche monographie vient de lui être consacrée, regroupant de très nombreuses reproductions de ses travaux et couvrant ainsi une longue période qui va de sa jeunesse d'hier à sa jeunesse d'aujourd’hui. Quelques textes accompagnent et éclairent ce parcours iconographique. Je donne à lire celui que les éditions Le fils du loup ont bien voulu me demander, et j'y ajoute quelques reproductions d’œuvres.

UN TRAIT, UN RESSORT DANS L'ŒUF

L’imaginaire n’a pas si souvent l’occasion d’un dîner de bal, il faut bien que des artistes se souviennent de lui ouvrir la porte et qu’ils fassent briller les parquets. Le carillon des chapelles ravit parfois les yeux plutôt que les oreilles, à sa façon il est œcuménique.

Illustration 2
Hippopotame (crayon, 2003 - 19 x 17 cm) © Éliette Dambès

Le travail du trait s’applique à indiquer au plus près les limites. La précision de l’intention rejoint la netteté du geste, la découpe de l’instant vaut celle des profils. Il s’agit toujours de définir un objet-sujet pour mieux agrandir l’espace où il se situe. Ensuite, tout est affaire de subjectivité. On ne voit bien qu’à travers les dieux insolés et frappés, parfaitement usés. Chacun les siens, chacun ses dieux, on les divulgue par l’expression libre, puisque l’art n’est pas un monument. Faire le procès des œuvres s’apparente au coup de couteau dans l’eau, il y a du ridicule dans tout jugement, même s’il donne du prix sans valeur. Pour sa part, la rêverie emporte les combats sans livrer bataille, son immobilité nuageuse imprègne les nageurs comme les forgerons, ceux qui vont avec l’eau, ceux qui vont avec le feu. Suspendue dans l’air, l’eau de l’onirisme négocie avec les conventions et invite au sourire. Par les fenêtres de l’imagination passent des volées de fantaisies, les reflets fantomatiques d’une mémoire ou d’un état d’esprit. Des images se créent toutes seules. Elles répondent à quelque ressort caché.

Le trait découpe une séparation, un mur à ne pas franchir, un labyrinthe qui s’improvise au fur et à mesure des œuvres se découvrant. Dans cette galerie sans miroirs véritables, les corps ne savent appartenir qu’à eux-mêmes et restent inattaquables à l’intérieur. Le travail d’Éliette Dambès opère au-dedans des songes, l’artiste en dégage des visions qu’elle projette vers nous. C’est un bestiaire humain empreint de désir et d’animalité, de mythes et de démons familiers. Aussi bien une solitude fertile. La précision chirurgicale, la marque du détail ne font qu’ajouter à la nécessité du réalisme et de la situation. Cependant, plus l’objet est approché, plus il semble appartenir à un monde tout autre, car le regard est facilement myope, et c’est heureux. Éliette Dambès nous emmène dans un ailleurs qui couve sous notre crâne après avoir couvé dans le sien. Un ailleurs qui carillonne entre

Illustration 3
Imploration (crayon, 2006 - 30 x 21 cm) © Éliette Dambès

une certaine gaieté et un effroi perturbant. Voici des fantaisies volontiers espiègles ou friponnes. Des formes incongrues, des clins d’œil sapides, des audaces d’hybrideuse. On se surprend à recompter ses doigts après la visite, c’est dire ! D’une lignée surréaliste, sans aucun doute, avec humour et provocation, ce travail où prime le rêve dans sa sève érotique et contestatrice de l’ordre ranci (et résurgent). On s’y voit d’abord sur la trace de maîtres contemporains (Hans Bellmer, Fred Deux, Roland Topor, etc.) ou à travers des hommages à certaines peintures classiques, jusqu’à aboutir à des séries tout à fait personnelles et d’une grande beauté troublante, je pense à la série Butō, des aquarelles et crayon sur carton toilé qui me paraissent figurer la soumission des corps aux attaques de la pesanteur et du temps, manifestés ici par des poches majuscules suspendues à des cordes et semblant figurer le balancier de l’horloge aussi bien que l’oppression que fait subir l’angoisse de vivre à terre, sous la menace d’une entêtante tyrannie.

Illustration 4
Strange fruit (aquarelle sur papier, 2020 - 13,5 x 9,3 cm) © Éliette Dambès

Ou encore cette série d’arbres anthropoïdes inscrits dans un désert de désolation. Condition impossible de l’être dans son corps, une fois de plus soulignée, avec décidément une rigueur extrême. On ne rit plus du rire qu’il faudrait peut-être, selon son humeur ou selon sa soif. Et on ne rit pas non plus de ce superbe hommage à la chanson popularisée par Billie Holiday : Strange Fruit.

Le temps des lynchages des Noirs dans le Sud des États-Unis n’est pas si loin. En aucun cas Éliette Dambès n’oublie la part d’ombre d’une boiteuse humanité, pas question pour elle d’éluder la peur, la violence, l’absurdité qui la remuent, et chaque fois l’artiste ne retient ses coups que pour mieux atteindre sa cible.

Au fil des ans les œuvres se font plus rares et plus ensorcelantes, il ne s’agit décidément pas de jouer avec le savoir-faire et les images, mais de se refléter dans l’âme d’un visage enfoui qui n’est jamais le sien. Il est celui d’une condition prisonnière de l’origine et de la fin. Un coup de crayon, le trait du pinceau ne suffisent plus à sortir de l’œuf, à suivre l’élan vital. La couleur vient ici sublimer en même temps qu’ensoleiller (même en bleu) le tragique. Et puis, comme en dernier lieu, surviennent les Curiosités, sobres et cinglantes à la fois, comme si Éliette Dambès n’en finissait pas d’interroger la création, avec, au passage, quelques enfants qu’elle s’amuse à lui faire dans le dos. L’étrangeté des corps animaux, de la nature organisée vaut bien d’être soulignée par de savoureuses grimaces. Il n’en faut pas moins pour basculer dans un autre champ d’une même réalité. Il n’est plus qu’à franchir le seuil de l’œil, à songer mieux qu’à s’endormir. Et pourquoi pas… recommencer. Revisiter. L’Œuvre.

Jean-Claude Leroy

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Illustration 5
Butô (aquarelle et crayon sur carton toilé, 2007 - 30 x 20 cm) © Éliette Dambès

Éliette Dambès, Miette de sable, éditions Le fils du loup, 160 p., 2022. 29 €
Le fils du loup, 2B rue du Terrat, 11330 Vignevieille.

Galerie Loin de l’œil, 3, rue Max de Tonnac 81600 Gaillac, sur rendez-vous (tél. :  06 12 15 30 68).

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