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Carnets indiens (1990-2010) - extraits de novembre 2009 - Bénarès

Journal indien, suite.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Vendredi 6 novembre 2009 – Pondy Quelques photos prises ce matin lors d’une balade de reconnaissance. Deux femmes assises sur le trottoir me demandent de leur tirer le portrait. La séance dure quelques minutes, certaines photos ont l’air bonnes. Maintenant que je suis équipé de ce petit appareil numérique, je puis attraper facilement des images, à moi de jouer.

Le sanglot de l’homme blanc, le pamphlet de Pascal Bruckner, soit une stigmatisation de la mauvaise conscience occidentale qui, à mon sens, a surtout réussi à donner une meilleure conscience à ceux qui rêvent d’en avoir une bonne. Pour s’en assurer, il suffit d’entendre les retours des lecteurs ou de ceux qui sont allés l’écouter lors de son passage à l’Alliance française. Les néo-colons de Pondicherry, pour peu qu’ils lisent, apprécient ce genre de littérature.

Difficile, bien entendu, parmi un tel foisonnement de ne pas partager un certain nombre de constats qu’il dresse, mais impossible de voir là la moindre pensée de secours, ou troisième voie qu’il proposerait entre la voie de la suffisance et la voie du masochisme (pour reprendre la terminologie convoquée dès le texte de 4e couverture). Cette mauvaise conscience qu’il prête à l’Occident en général, s’appuyant sur la mode orientalisante des années 70, n’est-elle pas plutôt et plus globalement un pendant inhérent à une position dominante ? Cette mauvaise conscience serait alors une sorte de coquetterie prise en charge par une minorité de décadents tandis qu’une majorité agissante et effective se chargerait mieux que jamais d’assurer par tous les moyens – dont celui d’une apparente mauvaise conscience – une domination qui se doit de s’affirmer et de se réaffirmer sans cesse.

Lorsque je suis en Inde ou en Égypte, devant le mendiant qui me réclame, suis-je empreint de mauvaise conscience ? Je ne le crois pas. Éprouver un sentiment d’injustice, de révolte, ce n’est avoir ni bonne ni mauvaise conscience. De même, si les 400 000 sans-domicile-fixe de France étaient d’origine étrangère, ma gêne serait-elle moins grande ou plus grande ? Ne le sont-ils pas, de fait, des étrangers ? Dire que ces gens payent par leur misère le maintien en place d’un type de société qui a besoin de la peur sociale pour ne pas s’effondrer, par l’absurde, dire cela est-ce aussi avoir mauvaise conscience ? Ou bonne ? Ou les deux ?

Ce qui se dégage finalement du livre de Bruckner, c’est un mépris de toute conscience politique, sous prétexte qu’elle serait inévitablement ingénue et caricaturale, et trop souvent le moteur d’un combat discutable. « Qui se sent morveux mouche les autres », écrira Guy Hocquenghem dans son fameux pamphlet à propos de ce livre et de son auteur 1.

Ce qui, en outre, participe à m’agacer dans ce livre, c’est le succès qu’il a, décidément, près des néo-coloniaux installés ici. Il leur sert de caution.

Vendredi 13 novembre 2009 Patrick hier. Son chief manager est passé me prendre avant midi. Nous sommes allés sur le chantier de restauration de l’église Notre Dame des Anges, qui date de 1850. J’ai donc pu grimper sur le toit où travaillent les ouvriers, et profiter de la vue sur la mer et sur la ville. Ensuite nous sommes passés au lycée récupérer Myriam. À nous trois sur le scooter (ce qui reste ici une charge modeste) nous avons filé jusqu’à Boomaya Palayam. Assez grande maison entourée d’arbres. Quand il entend le véhicule, Patrick se présente au balcon et salue. Je le rejoins à l’étage dans une pièce qui est à la fois sa chambre et son bureau. Nous nous regardons, hésitant à nous embrasser, je lui serre la main chaleureusement, il répond en prenant ma main dans ses deux mains.

Nous descendons manger à la terrasse sur la table transparente que je connais de la maison précédente. Un bébé est présenté, c’est un homme de cinq mois, fils de celui que Patrick appelle son fils adoptif. Patrick prend le bébé dans ses mains, le bébé semble joyeux, il pisse. « À chaque fois que je le prends, il pisse », dit Patrick. Nous mangeons un steak poivré. Après le repas, nous regagnons la chambre, Patrick a besoin de trouver une position confortable pour ses fesses délicates après cette opération qu’il vient de subir. Il me parle de cette grosseur derrière le testicule droit. On lui a dit que ça allait se dégonfler petit à petit, pour l’instant il n’en a guère l’impression. Enfin nous parlons de choses et autres, notamment de nos lectures.

Mais aussi des animaux. Patrick raconte que l’an dernier il est allé avec Myriam à Kodaikanal, dans les montagnes du Tamil Nadu. À un moment, sur le retour, ils ont séjourné en haut d’un à-pic, dans un hôtel assez luxueux, leur chambre avait un balcon qui donnait directement sur un versant opposé, qui était une petite jungle. Ils ont passé tout leur temps à observer les singes et les papillons. Patrick me montre un choix de photos qu’il a trouvées sur internet. Nous les regardons, une à une, et nous les commentons. C’est un moment plein de simplicité, d’émerveillement.

Dimanche 15 novembre 2009 Ici, à Pondy, la spécialité, c’est l’alcool. Des marchands de boissons par dizaines dans toutes la ville, à partir du jeudi les chambres hôtelières sont prises d’assaut par des Indiens de Chennai ou d’ailleurs qui viennent passer le w-e à picoler à moindres frais. L’alcool n’est que très faiblement taxé sur le territoire, donc bon marché relativement aux prix pratiqués ailleurs. Je peux vérifier ce fait sur place, où je loge, puisque l’Amnivasam est à la fois une Guest House et un bistrot. De lundi dernier jusqu’à jeudi il m’a semblé que bien des chambres étaient inoccupées, tandis que qu’elles sont à nouveaux remplies pour le w-e.

Ce matin je lisais dans The Hindu, sous la photo d’un train couché, l’annonce d’un déraillement du Delhi-bound Mandor express qui s’est produit hier samedi de bonne heure. Il y aurait sept mort et vingt blessés graves.

Lundi 16 novembre 2009 - Chennai Au terminus Central Bus de Chennai sur le faîte du toit, juste sous l’enseigne, il est précisé : ISO 9000 !

Dans ce wagon, quatre places par compartiment. Mes coturnes se procurent une chaîne qu’un type vend à l’intérieur du train. Quand il m’en propose une, je refuse. J’observe mes compagnons attacher leurs valises et sac au porte-bagage, l’assurer avec un cadenas. Simple prudence je suppose. Je serai donc le plus imprudent de la bande.

Mardi 17 novembre 2009 Il pleut sur les plates étendues limitées en parcelles par des arbustes verts gris. Depuis le lever du jour jusqu’à maintenant il m’a semblé ne voir qu’un sol résolument horizontal, sauf à un moment où un pont de fer se laisse voir, un grand pont qui dévisageait le train et trahissait une saillie dans ce décor qui ne monte ni ne descend jamais. Mes compagnons sont la discrétion même, la réserve parfaite. Le plus ancien, celui qui habite Ooty et s’en va plus loin que Varanasi, il s’est rallongé dans sa couverture et, après quelques heures de rêverie silencieuse, s’est rendormi. L’autre est remonté dans sa couchette au-dessus de la mienne. Seul un jeune homme dont la couchette est côté couloir semble un peu curieux et sans doute converserait volontiers. Impassible, je poursuis la lecture de Pierrot mon ami 2.

Dans le compartiment, l’un de mes deux compagnons, le plus jeune, est un accroc du téléphone mobile, il est toujours, soit en train de surveiller la charge, et de le brancher si besoin à la prise prévue à cet effet, soit de passer des appels (en tamoul ou en anglais). Il en reçoit aussi. En fait, il semble que tout simplement il travaille. L’autre, le plus âgé, reste silencieux, patient.

Mercredi 18. Bénarès, Mishra Guest House Un jeune homme assis à la table voisine, il se tourne vers moi, me demande d’où je suis, lui est Hollandais. Il me dit qu’il a circulé à bicyclette en France, il a fait le trajet Calais-Monaco, par Reims, Dijon, etc. C’était agréable. Quand je lui demande s’il n’était pas gêné par le trafic automobile il dit que non, qu’en revanche, en Angleterre, c’était horrible de ce point de vue. Il m’apprend qu’il a plu ici il y a une dizaine de jours, et que c’est seulement depuis deux jours qu’il fait beau. Il a visité beaucoup de pays, mais l’Inde est celui qui l’impressionne le plus. Son domaine de travail est la mythologie comparée, il prépare un livre sur le sujet. Il dit que ses travaux ont été pillés par certains qui ont fait des best sellers avec ses découvertes et que lui a beaucoup de mal à défendre son travail.

Pendant ce temps, une table de Français s’est formée non loin, la conversation tourne autour du match retour de l’équipe de France de football, savoir s’il y aura moyen de le voir ici, sachant qu’il sera 1h30 du matin ! Se déplacer sans rien quitter, n’est-ce pas la négation même du voyage, de l’exotisme ! Un reportage consacré à Bénarès passant sur une TV française, n’était-ce donc pas suffisant pour ces sagouins qui, évidemment, vont par bandes ?

Lecture dans le train, après le Queneau, du Fusil de chasse 3. Très beau texte. Trois lettres reçues par le même homme après la mort de sa maîtresse. Tout d’abord une lettre de la fille de sa maîtresse qui vient de lire le journal écrit par sa mère et de découvrir l’adultère qu’elle raconte alors qu’elle, la fille, croyait tout connaître de sa mère. Ensuite une lettre de sa femme qui annonce qu’elle le quitte, après lui avoir appris qu’elle connaissait sa relation avec sa cousine qui vient de mourir après s’être empoisonnée. Enfin une lettre de la maîtresse écrite avant son suicide.

Balade le long du Gange, au hasard des ruelles et des surprises. Les crémations ont lieu tout près, c’est la première chose à laquelle on peut assister en sortant d’ici. Il suffit de marcher 50 mètres dans une ruelle étroite et d’arriver sur le Ghât, et là, après avoir monté quelques marches, on est de plain-pied avec les bûchers, vifs nuit et jour.

Le Gange est mort de soif
Brahma le créateur est mort de froid
La rue est entrée dans ma chambre
Et moi, Varandah, un voleur m’a emporté
À qui puis-je raconter cela… 4

Sur la terrasse de la Guest-House, ce soir, surprise : ambiance râga, un chanteur qui s’accompagne lui-même à l’harmonium, avec un joueur de tablas. Je n’ai pas l’impression que la musique intéresse beaucoup les clients qui sont postés là. Pour la plupart, ils parlent entre eux comme si de rien n’était. Il n’y a que moi, en solo il est vrai, qui écoute et se régale.

Au cours d’une promenade, j’observe quelques chiots sur le plan d’une terrasse, l’un d’eux tombe, c’est un petit bruit sourd, les autres semblent le chercher et retournent vers leur mère, laquelle, étendue de tout son long, sur le flanc, comme une qui donnerait le lait à ses petits, elle pourrait être aussi bien morte, tant elle est inerte. Le petit blessé finit par se relever et titube jusqu’à une excavation où il se repose comme pour y mourir. Une touriste, non loin, a saisi comme moi ce qui s’est passé ; quand son ami la rejoint, elle lui raconte et c’est lui qui va vers le chiot, le prend par le cou et le ramène près de ses frères et sœurs. Le chiot se relève alors, sans paraître avoir des séquelles de sa chute et il se rapproche avec hésitation du cercle familial.

Je suis assis sur les marches à une trentaine de mètres de la rive du Gange. Du fleuve provient une musique de variété locale, devant moi un marchand de souvenirs, à ma gauche, sur plusieurs niveaux, des bûchers de vivantes flammes avec autant de dépouilles, et, à proximité de chacune d’elles, les parents du défunt. Plus loin, à la distance où je suis, des curieux effarés, quelques touristes étrangers aux visages européens ou asiatiques, de nombreux chiens aussi, toujours ces mêmes chiens couleur fauve et d’humeur grincheuse et ahurie, quelques chèvres, des vaches qui sont hors de mon champ de visions, mais forcément à proximité, et des empilements de bûches répartis çà-et-là, à chaque fois bien rangés, barges méthodiquement édifiés, et, en supplément, pas mal de moustiques regroupés par bataillons qui se pointent autour des lumières et surfent incidemment sur les veines de mes pieds.

Jeudi 19 novembre 2009 Balade matinale sur les ghâts animés à l’heure des ablutions, mais pas tant de corps immergés, finalement. Peut-être n’étais-je pas assez tôt, vers 7h30 pourtant, le jour était levé déjà depuis une heure.

Pas de crémations, plutôt des préparatifs, un foyer qu’on éteint en balançant des bassines d’eau fumantes, les poussières qu’on éparpille, du bois qu’on transporte. Au fur et à mesure de ma promenade, résistant aux sollicitations innombrables, je constate combien il m’est impossible de faire les photos qu’il faudrait faire pour être un peu dans le vrai. Impossible de saisir les instants, sauf à être soi-même un appareil, une brutale machine qui ne vit plus en soi. Alors je me contente de faire des parenthèses photographiques pendant lesquelles je compte assez sur la chance pour qu’elle me donne quelque chose. Il ne peut s’agir de recréations.

J’essaie de me souvenir de quelques images qui me seraient restées de mon premier séjour à Bénarès, en 1982, avec Christophe, mais j’avoue qu’il ne m’en reste quasiment plus. Le souvenir d’une allée de sadhous au milieu de laquelle il nous fallait évoluer ; les bûchers dans le soir, leur odeur (que je ne retrouve pas) ; une engueulade avec un chauffeur de vélo-rickshaw, qui s’étaient terminé par une grosse rigolade avec lui, je crois que c’est tout ce que je parviens à pêcher dans ma mémoire. Ah si ! un moment étonnant dans un restaurant populaire où nous mangions, nous observions une curieuse ambiance, quelque chose de très particulier, même ici. Jusqu’à se rendre compte que nous étions entourés de sourd-muets, ils communiquaient tous, d’une table à l’autre, par la langue des signes. C’était tellement évident, et pourtant, il nous avait fallu quelques minutes pour voir ce qui était… Je ne me souviens plus si nous étions allés faire un tour en bateau. Sans doute Christophe a-t-il de meilleurs souvenirs que les miens.

À Bénarès, si l’on est perdu et que l’on cherche justement à rejoindre à nouveau le lieu des crémations, histoire de se rincer l’œil une dernière fois en spéculant sur l’épaisseur de sa propre vanité, eh bien, c’est simple, il suffit de suivre le premier cadavre qui passe, généralement, à vive allure, tel un voleur à la tire qui vient d’accomplir son geste préféré, il voyage sur un brancard que soutiennent les épaules de quelques hommes pressés, et il ne se trompe jamais de direction ‒ les morts n’aiment pas perdre leur temps, aussi prennent-ils les raccourcis. C’est une filature qui demande un minimum de tact, appelé aussi discrétion, donc ne pas coller au convoi, ce serait mal vu, lui laisser quelques mètres d’avance et toutefois ne pas le perdre des yeux, car le dédale des ruelles est parfois fort taquin. Il n’est pas mauvais de se rappeler que les corps étant brûlés au bord du fleuve, il est souvent judicieux d’hésiter dans le sens de la descente, il vaut mieux dévaler la pente que l’escalader, de tout temps (au moins depuis Isaac Newton) les fleuves coulent dans un lit, et le lit, quel qu’il soit, préfère se reposer sur le fond de choses, obéissant à la loi de gravité naturelle. Mais si !

Dans son journal de 1936, Alain Daniélou décrits les sadhous comme étant parfois très coquets, élégants, et bien sûr véritablement yogis, au point qu’ils peuvent vivre sans boire et sans manger, peut-être même sans respirer. Et il résume d’un trait réjouissant : « Ils savent parler avec les bêtes et rire avec les hommes. » 5 [Par ailleurs, feuilletant le journal de Romain Rolland, j’y trouve une page assez truculente consacrée à deux jeunes gens « aux allures dandy et efféminées » qui viennent le visiter, le 3 février 1933. Il s’agit d’Alain Daniélou et de son compagnon. Ils arrivent d’Inde et ont une mission dont Tagore les a chargés. Afin de sauver Santiniketan, la ville-école fondée par Tagore au début du siècle, et qui semble péricliter, il serait utile d’y intéresser de nombreuses personnalités et gouvernements. « Je les oriente vers la vanité de Mussolini et celle, imberbe, de la jeune république espagnole, qui marqueront le pas. » Quant aux personnalités, les deux jeunes gens lui présentent une liste de noms prestigieux dont ils semblent tout ignorer. « Le bouffon est que la moitié des noms de cette liste sont des inscriptions de cimetière. » s’amuse l’auteur de Au-dessus de la mêlée.]

En me disant qu’il y avait plus de 5 millions de « saints professionnels » dans l’Inde, mon ami, un homme cultivé, magistrat et pieux hindou, ajoutait : les 90 pour 100 de ces « saints sont des chenapans, des imposteurs ou des fainéants qui ont choisi ce genre de « profession » pour se faire nourrir sans travailler…Alexandra David-Néel, L’Inde où j’ai vécu

Ce matin encore, la présence de clients que j’ai vus hier, les mêmes, soit une dizaine de personnes, pas plus, alors que la guest-house doit comprendre beaucoup plus de chambres. Seul un couple nouveau, qui parle français, ils m’appellent : « Monsieur ! », lorsqu’un singe essaie de voler des bananes que je viens de remettre dans mon sac après avoir mangé l’une d’elles avec un nan qu’on vient de me servir. Voilà qui produit une petite animation à mes dépens. Moi, je n’avais rien vu se faire. Le singe a dû réagir très vite à la vue des bananes et arriver dans mon dos. Il n’a pas eu le temps de commettre son forfait, les appels des voisins et le fait que je me retourne très vite ont suffi à le faire fuir d’un bond, et regagner le domaine de ses congénères, c’est-à-dire le toit du temple qui est de l’autre côté de la ruelle et qu’il peut retrouver d’un simple saut au-dessus du vide. Ça a l’air très facile !

Dans la galerie marchande encombrée de badauds un homme en uniforme à l’allure plus que martiale donne un puissant coup de sifflet et fait signe du tranchant de la main pour que la foule s’écarte et me laisse un passage, car il a compris bien sûr que c’est l’enseigne du restaurant qui m’attire. J’arrive donc à lui et il m’indique un escalier, la salle est au premier étage. Sauf un couple de touristes blancs et deux employés, elle est vide. Le décor comme le mobilier sont assez pesants, on se croirait dans une salle à manger familiale. Je commande un dal et un chappati, ils seront délicieux. On sourit quand je demande qu’on remplisse ma gourde de regular wather. Le repas m’a fait du bien, comme venant ponctuer mon voyage en train, frugal et fatigant. Je sais que je dormirais bien cette nuit.

Que cherche ce chien, à fureter et flairer sans cesse et nerveusement autour d’un brasier ? Il s’approche, hésite, semble tenté mais doit pourtant s’éloigner, du fait de la chaleur intense. Un homme armé d’une forte pince, ou plutôt, à y bien regarder, deux branches dont il a fait une pince, vient prendre à ce même brasier un morceau de bois rescapé, non encore consumé, il le retire et le transporte vingt mètres plus loin dans un bûcher en plein feu.

Un groupe de personnes arrive près d’un autre bûcher. Le corps qu’il a transporté est déposé au sol, le tissu de soie jaune et brillante qui ceint le cadavre est écarté. Je note ici que seuls les hommes semblent autorisés à venir sur les lieux de crémations, du moins n’ai-je pas vu de femmes. Le corps est laissé en attente. Et voici qu’on le saisit et le repose un peu au-delà de cet endroit, sans doute sur un lit de fagots que je ne distingue pas d’où je suis, et il fait nuit. Un homme est penché sur le gisant, sans doute le fils aîné, c’est lui qui va lancer le feu. Mais le corps reste en attente tandis que le groupe d’hommes, qui comprend une quinzaine de personnes, semble en plein conciliabule. Ça y et, il saisit la braise avec une pince dans le bûcher voisin et porte le feu dans celui-ci.

Vendredi 20 novembre 2009 Balade cet après-midi, remontant le Gange vers le Nord, vers l’amont. Ghâts beaucoup moins fréquentés, avec plutôt une ambiance de farniente. Il était autour de 14 h, il est vrai, moment de sieste. À un moment un troupeau de bufflons campés près de l’eau, et une quinzaine d’entre eux immergés, avec juste le haut du dos et la tête hors de l’eau, spectacle étonnant.

Une table à ma gauche, un couple français que j’aperçois ici depuis mon arrivée, ils sont rejoints par un autre gaulois qui voyage sans doute en solo. Il y a deux minutes, celui-là même a sorti un téléphone mobile et a appelé en France pour régler un problème de courrier à faire suivre. Que cette démarche soit aussi aisée à accomplir à une telle distance, depuis ce point précis, m’a semblé parfaitement indécent, et inquiétant.

Samedi 21 novembre 2009 Cinq heures du matin, deux sonneries de réveil dans les chambres voisines ont tranché la nuit, se mêlant bientôt au son d’une trompe venant d’un temple voisin. Et maintenant un jeu de cloche retentit dans le petit temple de la ruelle, celui dans lequel, hier après-midi, j’ai vu deux chèvres dont la ferveur ne me paraissait guère assurée. Et les premiers chants des prières montent un peu partout.

J’étais dans la chambre, allongé en train de lire. Un singe est entré et, cette fois, a vraiment dérobé le même sac de bananes qui était toujours dans mon petit sac à dos légèrement entrouvert. Il est resté sur la rambarde du balcon, à dévorer les fruits de son larcin, tandis que deux de ses congénères se joignaient à lui. Dans le mouvement, la chaise a été renversée. Sur la terrasse de l’immeuble d’en face un homme armé d’un bâton et hurlant, essayant de les faire fuir, mais en vain, et un peu découragé de voir que je ne faisais qu’observer tranquillement les pilleurs, avant de les prendre en photo. De toute façon, je n’avais pas trop la possibilité de les chasser, ces bestiaux sont tout de même impressionnants, leur mâchoire surtout. Je n’avais qu’à attendre qu’ils terminent leur repas et remettre de l’ordre après leur départ. Restait un tas d’épluchures que je rassemblais dans un tas, lequel je posai sur le rebord du balcon et attendis. Bientôt un autre singe, il vient se servir, mais il laisse encore quelques petits restes.

Tout à l’heure, j’étais captivé par deux de ces macaques se chamaillant et sautant d’immeuble en immeuble avec une souplesse stupéfiante, notamment l’un d’eux que je vis passer d’un balcon à l’autre, trop éloignés pour qu’un saut suffise à les rejoindre, alors le singe se lançait sur le mur d’en face pour y rebondir, usant de ses pattes comme d’un ressort, se relançant et atteignant du coup le balcon visé. Comme une balle de billard qui touche la bande avant de rejoindre le trou gagnant.

Hier, en fin d’après-midi, je me retrouvais sur un des ghâts les plus fréquentés, le Dashashwamedh Ghat, j’attendais que la cérémonie sur le Gange commence, le Puja. Je suis resté un bon moment à écouter la très bonne musique qui se déversait depuis une grosse baffle installée non loin d’où j’étais. Les prêtres étaient déjà là, dans leurs préparatifs qui n’en finissaient pas. Puis, cela a commencé. J’étais surpris d’une assistance qui me semblait clairsemée, moins fournie qu’avant-hier. Finalement, je décidai de rentrer tranquillement, de ne pas attendre la fin. Une autre cérémonie, identique, avait lieu sur le ghât suivant. Et là il y avait un spectacle qui tournait rond. Et le nombre de bateaux chargés de pèlerins, touristes, ancrés à quelques mètres de la rive, tandis que les jeunes brahmanes répétaient les gestes sacrés, répandant l’odeur d’encens, vidant des burettes d’eau et d’huile, jetant dans le courant des pétales de fleurs, faisant tourner dans la nuit des serpents de cuivre enflammés, au son d’un tambour lancinant et du tintement des cloches que les prêtres agitaient de leur main gauche. Je continuai mon chemin en suivant la rive, dans le noir, car une coupure de courant noyait le quartier dans la nuit, sauf quelques endroits sauvés par des groupes électrogènes. À un moment, je marchais au hasard, essayant de prévenir les marches et les bouses de vaches, deux hommes marchaient à mes côtés. Je trébuchai, l’un d’eux alluma une lampe. C’était un touriste français, il m’expliqua que le type avec qui il était venait de lui expliquer qu’il était le fils du boss des crémations et qu’il pouvait s’arranger pour qu’il puisse faire des photos. Je les suivis, ils étaient mes guides dans la pénombre. Nous arrivâmes près des bûchers et je les laissai s’avancer, restant à distance. Mais l’homme est venu rapidement me demander assez sévèrement ce que je faisais ici. What are you doing there ? Me disant de respecter les familles des morts si je voulais être respecté moi-même. Ce à quoi j’acquiesçais, je n’avais pas eu le sentiment de commettre un sacrilège. Il me propose ensuite de m’emmener là où il est possible de voir sans déranger. Pas le choix, je le suivis. Mais bientôt il m’emmena par un escalier dans une bâtisse qui domine effectivement les crémations, tout en m’expliquant un tas de choses que je connais déjà (le temps de combustion, etc.). Puis il m’explique que je dois faire une donation. Mais, à peine arrivé en haut, me sentant piégé, je fais brusquement demi-tour et redescends les marches alors que l’homme me crie dessus, essaie de me retenir. Don’t come again in this place ! finit-il par lâcher, me menaçant par dépit.

Rêve. Suis dans une rue de Paris, je veux donner quelque chose à un jeune homme avec qui je suis en conversation. Je cherche un carton pour l’envelopper, j’en aperçois un près d’un banc, mais quand je reviens, fort de mon carton, le jeune homme s’est éclipsé, certes il ne voulait pas de mon cadeau. Ensuite je suis dans un autobus, je parle avec deux personnes que je connais, soudain je suis le seul passager et j'ai perdu mon sac. Le bus sort de Paris, j'ai oublié de descendre, je descends enfin et je cherche à rejoindre une station pour repartir dans l’autre sens, je dois demander mon chemin, traverser la route, descendre quelques marches, éviter une rivière et enfin il y a une route sur laquelle il devrait y avoir un arrêt qui convient…

Toujours sur la terrasse de la Mishra Guest House, la vie du personnel du restaurant… Le type qui est assis prend la commande, encaisse, il est habillé très proprement. Quand il marche, c’est en se déhanchant sans se presser, conscient de son importance. Il inspire confiance, transpire une sorte d’honnêteté foncière, je ne sais pourquoi. Deux serveurs semblent frères, peut-être le sont-ils, deux fines silhouettes décontractées, deux visages graciles et souriant, dégageant à la fois ruse et gentillesse, deux Indiens type.

Ashou Manikarnita Ghât. Un homme glisse de la paille sous un cadavre, lequel repose sur quelques rondins tandis qu’une dizaine de branches moyennes recouvrent difficilement la partie centrale de son corps. Ça y est, le feu a pris et attrape le corps par le côté où la paille a été introduite. Le vent léger qui vient de la rive pousse les flammes sous la tête, le feu s’essouffle, la paille est déjà brûlée. Une fumée chétive s’enfuit de dessous le corps. Elle donne l’impression que ce cadavre-ci va mijoter longtemps, faute de moyens, de suffisamment de bois pour parfaire la tâche.

Le bûcher d’à côté est plus veinard, mieux pourvu. Le corps est ravi dans le combustible, les flammes toutes jeunes donnent des signes de vigueur. Le corps brûlera entièrement, jusqu’aux pieds qu’on voit dépasser à l’extrémité du bûcher le plus proche du rivage.

Promenade cet après-midi le long des paliers de crémation, la beauté de la nudité qui se baigne en foule, buffles lavés par un dresseur mince en pagne – Ghât de Manikarnika de nouveau après plusieurs semaines – la tête détachée d’un homme d’une quarantaine d’années – en train de brûler, des jus rouges dégouttant du nez ou de l’œil, coulant sur la joue, s’égouttant de l’oreille toute rouge incandescente – cuir chevelu ouvert & crâne couleur crème encore lisse & sec dans la chaleur apparaissant à travers la chevelure noircie – et plus loin sur un autre bûcher un gros morceau de viande & d’os noircis comme du caoutchouc long d’une trentaine de cm, tout ce qui restait du corps (probablement épine dorsale et & cuisse) poussé avec des perches – une nymphe peter-pan avec des haillons bruns cuisait ses liquides dans une boîte de conserves sur les cendres blanches d’un trou abandonné – remuant les cendres autour de la boîte avec un bâton – pieds nus – l’ai déjà vue – je regardais pour voir si ses seins étaient couverts – oui avec un carré de toile pendant à une épaule. Allen Ginsberg, Journaux indiens (12 janvier 1963)

Ils sont six bûchers sous mes yeux à faire leur travail et deux autres sont en veilleuse, se maintenant dans une humeur toujours prête. Un corps langé, de couleur safran, il vient d’être déposé devant un bûcher éteint, mais paré. On lui ôte la soie safran, il lui reste une couche de soie jaune vif qui brille comme de l’or dans le voile de fumée qui danse au-dessus des feux voisins. Ils sont quatre hommes à le saisir à le poser sur son lit de branche. Un des quatre hommes, habillé de blanc, recouvre le corps de quelques rondins tortueux. Maintenant, d’où je suis, je vois juste dépasser les pieds et la tête. Je remarque que là aussi le corps est placé face à la rive.

Pendant ce temps un autre groupe surmonté d’un cadavre descend vers le fleuve en clamant des invocations, Il s’agit là encore de tremper le gisant dans l’eau sacrée avant de le brûler.

Six hommes tournent rapidement autour d’un autre bûcher. Quand ils s’arrêtent, l’un d’eux, normalement le fils aîné attrape un brandon et lance le feu par le dessous, tandis qu’un autre homme arrose la tête d’eau ou d’huile sacrée. Les hommes du groupe restent debout près du bûcher, sans aucune solennité visible, ils conversent entre eux, se défendent de la fumée. Maintenant, sauf cinq d’entre eux, ils se sont éloignés. Un homme est penché aux pieds du gisant, il est habillé en vert, ce n’est pas celui qui a mis le feu, il lance sous les pieds les deux saris de soie, l’orange et le jaune, qui ceignaient le corps. Une chèvre noire et bêlant passe devant le bûcher, elle s’éloigne et va paître la poussière un peu plus loin.

Des hommes transportent du bois sur leur tête, ils font la navette entre des barques qui flottent tout près et une bascule où le bois est pesé, car il sera facturé au poids. Une vache à la robe brune est vautrée sur le pavé de la terrasse, ses pattes arrières sont allongées, ses pattes avant repliées, et elle semble parfaitement hébétée, ou engourdie.

Deux génisses mangent des fleurs aux pieds d’un bûcher qui brûle à plein feu. C’est celui que je décrivais plus haut, maintenant déserté, alors que les rondins sont déjà noircis et que ce gisant va trouver le nirvana à vive allure, sans chipoter, car, le feu ayant été généreusement doté, il part avec tous les avantages.

L’autre bûcher, plus pauvre, continue à mijoter péniblement, délaissé. Deux enfants jouent avec un cerf volant, courent entre les bûchers pour le rattraper, l’un d’eux le saisit, un beau cerf-volant bleu nuit, et l’emporte plus près du rivage avant de disparaître de mon champ de vision.

Ici, à la terrasse, le même Français que ce matin et deux couples assis chacun à leur table voisine l’une de l’autre. Sur une des deux tables, deux bouteilles de bière. L’un se demande si on peut acheter des chapatis, pour manger dans le train. Le même explique qu’il préfère ne pas prendre de douche, car il craint de se retrouver en panne d’eau alors qu’il est encore plein de savon, donc il se lave vite fait et il prendra une vraie douche une fois rentré en France.

Nouveauté ! Une table située plus au fond et protégée par une moustiquaire, de quoi donner des idées aux moustiques dont je n’ai toujours pas senti la présence par ici, mais sans doute faut-il mieux prévenir que guérir.

Dimanche 22. Mumshi Ghât Un tout jeune homme en jean et jacket noirs, un rien poussiéreux, arpente une portion du ghât en essayant de trouver des clients pour son bateau ou pour celui de son père, ou d’un ami – que sais-je ?

Un vieil homme aux cheveux blancs taillés courts et à la moustache généreuse est accroupi dans l’eau, tournant le dos au fleuve, il lave son linge qu’il savonne abondamment, le presse contre la pierre de la marche, le rince à maintes reprises, le vidant chaque fois de son eau. Vieil homme dont le ventre est arrondi et qui porte un maillot presque blanc, et autour de la taille un dhoti de soie couleur vert amande.

À cinq mètres de lui, un vieillard tout maigre et torse dénudé dans l’eau jusqu’à la ceinture, il s’accroupit, s’immerge complètement, se redresse, place ses paumes l’une sur l’autre et prie face au mitan du fleuve, et au soleil levant. Il se retourne, sort de l’eau, remonte les marches, se recouvre d’une étoffe safran, il défait le pagne mouillé qui lui cachait les fesses, s’essuie la peau et lave ce linge qu’il vient d’ôter. Le premier vieillard au ventre rebondi s’affaire toujours à sa lessive. Il apparaît maintenant en slip, un slip vert bouteille à motifs, et il lave une étole verte, le dhoti qui le ceignait quelques instants auparavant.

En haut d’une première section de marches, un homme donne des graines à de petits oiseaux qui les engloutissent en piaillant de plaisir. Une jeune chèvre solitaire déambule aux milieux des volatiles et lèche çà et là quelque nourriture que je soupçonne être chimérique.

Tout à l’heure, assis sur une marche de Shandi Ghât, ou le suivant, je ne sais plus, j’ai senti quelque chose qui montait sur mes genoux, c’était un bébé singe. Je le connais, il a une cordelette autour de son cou, qui lui sert de laisse, ou plutôt qui sert à son maître, car manifestement, ce singe a été adopté et il sera apprivoisé. À plusieurs reprises il vient vers moi, me grimpe sur les genoux, ou simplement se tient contre moi.

Deux jeunes gens très bien habillés se prennent en photo avec un téléphone portable. Bientôt ils s’approchent de moi et l’un d’eux demande à poser près de moi tandis que l’autre nous tire un portrait conjoint. Puis c’est le tour du photographe qui vient poser près de moi. L’un d’eux me dit son nom : Domo.

Une des deux petites filles qui m’a vendu des cartes postales avant-hier est revenue me voir. Elle ne m’avait pas reconnu. Je lui rappelle que je fus déjà son client, elle me demande combien j’en ai acheté, alors je lui dis huit. Et là, elle se souvient : twenty-twenty. Eh oui ! quatre à elle et quatre à sa copine. Du coup, elle tente de me vendre des poudres colorantes, et me fait de petites marques de couleur sur la peau. Une roue argentée sur le dessus de la main droite et quelques soleils tout autour de cette roue, une roue qui est un rouet, emblème de l’Inde.

Lundi 23 novembre 2009 Sept heures du matin. Le champ des crémations est une jachère. Les foyers sont à sec, débarrassés des cendres, des vestiges. Sauf, à ma droite, un amoncellement d’étoffes dorées, de celles qui ceignent les cadavres, celles-ci ont refusé de brûler. Une seule famille, avec cinq hommes et deux femmes, c’est la première fois que je remarque des femmes, prépare un feu cérémonial. Le corps est déjà en place, et de la fumée suinte et s’envole. Le feu a été allumé pendant que je changeais de place pour laisser une balayeuse nettoyer le bord de la terrasse où je me trouvais. Un bœuf noir comme un buffle tourne autour du foyer fumant, il apparaît que les femmes ont demandé qu’on l’éloigne, mais il est revenu, comme aimanté, et il renifle maintenant un tas d’ordures végétales, tout près, sans trouver d’ailleurs sa pitance.

Quatre chiens identiques, de cette même race jaune qu’on trouve partout en Inde, dorment à l’emplacement des foyers, sans doute les restes de cendres présentent un confort qui leur sied.

La puja. Ils sont sept prêtres, habillés d’un très beau turban gris et rose. Je remarque que l’un d’eux a gardé sa montre à son poignet. La cérémonie commence. Musique jaillissant de très grosses baffes dressées de part et d’autres de la scène, avec en sus un son de ces cloches accrochées dans un cadre qui domine l’ensemble, chacune d’elles est actionnée par une personne placée au premier rang du public et qui tire sur une cordelette, fait ainsi danser et chanter l’instrument. Chacun des prêtres agite lui-même une clochette dans sa main gauche alors qu’il diffuse de la fumée d’encens à l’aide de bâtons se consumant dans sa main droite, laquelle tourne selon une gestuelle simple et harmonieuse, entre rotation transversale et signe d’absolution. Alors qu’ils étaient face au fleuve, puis face au public, et enfin tournés vers l’aval du fleuve, on peut voir là une bénédiction adressée à tout le monde. L’étape suivante reprend la même gestuelle, la même chorégraphie, avec un vase fumant qui est présenté au fleuve puis à l’univers. Et toujours la main gauche des prêtres actionne continuellement la même clochette. C’est maintenant une sorte de chandelier circulaire à la place du vase, tout allumé, évidemment. Ensuite, c’est un coquillage qui est tenu dans la main droite, avec de l’eau dedans qui s’écoule dans le cours des mouvements. Des pétales de fleurs sont répandus pareillement. Alors ce sont des flambeaux crachant une forte flamme, chacun d’entre eux est présenté au fleuve, un tambourin martèle un rythme inlassable. Puis c’est une sorte d’éventail qui a la forme d’une queue de paon. Et pour clôturer la cérémonie comme elle a commencé, les prêtres soufflent dans une conque. La musique s’arrête. Les prêtres sont en génuflexion, font tourner une sorte de plumeau gris blanc.

Et tout semble s’achever par une prière scandée au mieux et que tout le monde reprend. L’ensemble de la cérémonie a duré une heure environ.

Lors de ma dernière soirée en cet endroit, j’observe quelques singes très occupés. Ils sont au moins trois ou quatre, un sur un balcon, l’autre sur un autre, etc. et ils se consultent et tournent d’un balcon à l’autre. L’un est venu se poser sur le mien tandis que j’y étais encore, il ne me craint pas du tout. Bref, ils ont tout l’air de brigands organisés préparant un mauvais coup. Sans doute est-ce une vieille routine à eux qui consiste à faire en soirée, discrètement, un tour des balcons pour le cas où il traînerait quelque chose à croquer, à dérober, une chambre à piller.

Mardi 24 novembre 2009 Le train était à l’heure à Varanasi Jonction. J’étais sur une liste d’attente ; arrivé en avance, j’ai eu le temps de comprendre et consulter les listes d’attribution des places. Je suis donc en bout de wagon. Un demi compartiment à deux places, qui sont aussi deux couchettes superposées. L’autre n’étant pas occupée pour l’instant, je suis seul dans ce réduit, ce qui m’assure tranquillité et toute latitude. Je peux lire selon mon gré. Justement, lecture ce matin, de Geneviève Desrosiers, Nombreux seront nos ennemis.

1) Cf. Guy Hocquenghem, Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary, Albin Michel, 1986.
2) Raymond Queneau, Pierrot mon ami, Gallimard, 1942.
3) Yasushi Inoué, Le fusil de chasse, 1949 (Japon).
4) Extrait d’un poème de Varandah Bâul. Cf. Les Bâuls du Bengale, Au cœur du vent, le mystère des chants bâuls (réunis par Aurore Gauer, traduits pas Jean-Claude Marol), éditions Accarias/L’Originel, 1997.
5) Alain Daniélou, Le tour du monde en 1936, Flammarion, 1987.

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