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Billet de blog 24 septembre 2016

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La police absorbée par la casse du mouvement social

Certains aimeraient sans doute croire que la menace terroriste sur l’hexagone mobilise le gros des forces policières et gendarmiques, il s’avère que les activités des cerbères de service sont d’abord et obstinément orientées vers un contrôle social d’inspiration raciste et anti-démocratique.

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Certains aimeraient sans doute croire que la menace terroriste sur l’hexagone mobilise le gros des forces policières et gendarmiques, il s’avère que les activités des cerbères de service sont d’abord et obstinément orientées vers un contrôle social d’inspiration raciste et anti-démocratique.

La ville de Rennes est depuis trop longtemps un des théâtres privilégiés de ce jeu obscène. Une municipalité de couleur inexacte dotée d’une maire camarade et disciple de Manuel Valls, Nathalie Appéré ; une association de commerçants orchestrant la plainte et l’agressivité, le carré rennais ; un quotidien, Ouest-France, déclinant ça et là aussi bien des éditoriaux radicalement réactionnaires que des articles téléguidés par la police ; un juge implacable et susceptible, distribuant les peines les plus lourdes aux étudiants et jeunes gens et les non-lieux aux « assassins pour l’ordre », Nicolas Léger.

On peut voir encore à quel point l’ennemi de cette police, et donc de l’État dans son état actuel, n’est autre que la jeunesse consciente. Tandis que les politiciens ou autres serviteurs divers de la société ambiante se gavent d’un mot, « démocratie », vidé de tout substrat dynamique, les mêmes s’appliquent à écarter du champ de l’expression et de l’action ceux qui paraissent le mieux disposé à l’investir et le faire vivre autrement que par des simagrées, des faux-semblants. Les jeunes gens réputés d’extrême gauche ou activistes sont les victimes privilégiées de cette période de pleine coercition. Peu importe que leurs activités soient avant tout intellectuelles et constructives, elles opposent à un monde en déliquescence une utopie effective dont l’exemple fait peur aux tenants décadents du marasme.

Rennes : au début de ce mois de septembre, un rassemblement de soutien à Sud-Solidaire doit avoir lieu. Le syndicat s’était porté garant près de la mairie lors d’une première occupation de la salle municipale de la cité rebaptisée Maison du peuple, c’était en mai dernier. Rien moins que les agents d’élite du Raid avaient été envoyés pour évacuer les occupants après treize jours d’occupation. Deux semaines plus tard les militants rejetés réussissaient à investir une nouvelle fois les lieux. Pour une nouvelle expulsion en douceur quelques jours après. C’est à la suite de cette expulsion que certains dégâts ont été constatés, pour une bonne part occasionnés par la brutalité toute professionnelle des agents de l’ordre. Garant lors de la première occupation, Sud-Solidaire se voit aujourd’hui réclamer par la mairie la somme de 46 345 €. Par ailleurs, pour compenser une part de leur perte et les remercier d’avoir servi de caution à la répression, les commerçants du centre-ville bénéficient d’une aide globale de 300 000 € par la ville et récemment de 600 000 € par l’État, il est difficile de ne pas voir dans les deux profils de cette provocation de la mairie un nouvel encouragement pour les militants à pousser leur colère ; colère – carburant parmi d’autres de la lutte.

La veille de ce rassemblement une dizaine de personnes étaient contactées par la police pour une remise en main propre d’un formulaire stipulant l’interdiction de manifester. Une semaine plus tard, la veille de la manifestation contre la loi « Travaille ! » du jeudi 15 septembre, d’autres interdictions sont distribuées, au moins trois personnes sont embarquées manu militari et retenues en garde à vue. La présence policière massive dans la ville produit une électricité qui s’ajoute à celle de l’air en cette période orageuse. À l’évidence, les consignes sont de tout faire pour que le mouvement social ne puisse reprendre avec la même vigueur que durant l’hiver et le printemps dernier, et des moyens importants sont produits à cet effet. Délinquance meurtrière et militance déterminée sont regroupées dans le même sac, la liberté de penser et d’agir s’arrête là où elle commence à gêner les intérêts des plus forts. Quoi de plus naturel à ce que les experts de la vertu en mal de légitimité et corrompus jusqu’à la moelle désignent pour ennemis ceux qui leur tendent un miroir trop criant de vérité : « Regarde-toi ! »

Dans le même temps, des agents de la brigade anti-criminalité circulent en ville et pratiquent allègrement des contrôles au faciès, parfois avec violence. La chasse au migrant devient un sport routinier, qui ose désormais s’en étonner ? À Calais ou ailleurs, évoquer une jungle à propos d’un désarroi à grande échelle, sous prétexte de divers trafics et incidents, c’est bien sûr tacitement légitimer le retour à un ordre cinglant où la police se fait elle-même garante des trafics et de la survie asservie et provisoire d’un grand nombre de mal-nés ou mal-partis. Dans tous les cas la logique est discriminatoire. Et les droits éventuellement invoqués ça et là ne sont pas ou plus de l’homme, seulement de certains hommes parmi les hommes, si possible blancs de peau, chrétiens, de nationalité française.

En cette toujours période pré-électorale, n’est-il pas étrange de constater que les attentats de Daech and Co pourraient servir les intérêts d’une présidence à la ramasse, trop heureuse de se présenter comme garante de l’ordre et de la sécurité, puisque la sécurité c’est pour beaucoup préserver un aujourd’hui tangible contre un lendemain par définition incertain ? Et la question des migrants, si c’en est une, vient compliquer la donne pour longtemps. Quand l'autre représente un danger, c'est sans doute que soi n'a plus rien à (lui) donner, à vivre, et se prépare à mordre (pour ne pas sombrer de sa propre insignifiance). Par ailleurs, cette même présidence osera-t-elle mobiliser en permanence sur une longue période un tiers des effectifs nationaux en force de maintien de l’ordre pour évacuer la ZAD de NDDL et la défendre à son tour ? Elle sait déjà meurtrir sans complexe un mouvement social qui ne s’essouffle pas. Mouvement de fond dans un monde sans fond où le sens même semble ne plus avoir prise.

Alors un mouvement de la jeunesse et de sans-dents qui revendique et sème sa zone au risque de donner du sens et dérouiller l’histoire, c’est le pire pour Hollande et ce système à l’agonie, à court de crédit comme à court de réel. C’est pourquoi nous devons insister là où nous sommes interdits. À l’endroit où le bât blesse, la bête commence à crever. Il nous reste à l’achever sans cesse avec ce que nous sommes, sans haine et sans armes, résolus et intrépides. C’est ce que nous pourrions appeler le commencement sans fin.

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