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Devant les 50 spectateurs de ce petit théâtre voué à la poésie et aux textes d’auteurs, Denis Lavant interprétait, ces deux soirs-là, « la grande vie », de Jean-Pierre Martinet, sombre et puissant écrivain, trop mal connu, des années 70. La Station-Théâtre, ancienne station-service de la périphérie rennaise, est l’instrument chaleureux inventé et construit par Gwenaël de Boodt, lui-même poètequi reçoit depuis une dizaine d’années de nombreux spectacles de grande qualité. Entouré d’une équipe de bénévoles passionnés, avec un maigre budget, Gwénaël conduit ce théâtre avec tact et enthousiasme. Après ces deux représentations époustouflantes, il a envoyé un courrier à ses fidèles abonnés ou habitués de la Station, pour dire son bonheur et la chance que nous eûmes d’assister à ce morceau d’humanité partagé, et avec quel talent !
Je lui ai proposé de le partager à mon tour à cet endroit.
Il y a eu "la grande vie" à La Station théâtre
« Un comédien d'une virtuosité exceptionnelle a brûlé les planches de La Station théâtre ce week-end. Citer le nom de cet illustre et brillant acteur le réduirait au vain mérite des exécrables et pompeuses mondanités du milieu. Ce dont il n'a cure tant sa discipline, son talent et son dévouement inconditionnel pour l'art du théâtre et de la poésie sont grands. C'est donc faire bien plus honneur à sa conscience et à la nôtre que de citer ici quelques mots du texte baroque, subtilement grotesque, parfaitement incroyable, hallucinant de contrastes, minusculement démesuré, accumulant les excès dans une sensualité débridée, par les pensées les plus infâmes et les situations les plus terribles sans que jamais aucune bassesse n'y soit mêlée, sauf à rendre ces excès suffisamment inouïs pour que la morale, n'y retrouvant pas ses petits, résonne en nous comme une quête solitaire et sourde nous faisant espérer plus d'humanité que de ciel inatteignable, plus de rire que de détresse insondable. Et voici que la grande vie, sans majuscule au titre, de Jean-Pierre Martinet, dont le comédien lui-même a préfacé la seconde édition parue à L’Arbre vengeur, nous a joyeusement condamnés, avec Adolphe Marlaud, à plonger sans maugréer dans les ténèbres rougeoyantes d'un antre dont nous tairons ici la nature, pour que nous comprenions mieux la terreur des habitants de Pompéï lorsque la lave avait déferlé sur eux. La grande vie nous a pris comme le tourteau qui dort paisiblement dans une anfractuosité de rocher mais que le pécheur débusque et condamne à grouiller au milieu de ses semblables avant d'être ébouillanté.
Nous le fûmes, avec délice !
Danseur de verbe, jongleur de son propre corps, précis et fulgurant comme la flamme qui jaillit du chalumeau, tel un fouet domptant le plateau, égrenant fébrilement le chapelet des personnages, rompant le fil et le renouant dans l'instant toutes perles en place, cet extraordinaire comédien a réussi ce week-end à La Station théâtre l'exploit d'incarner tout à la fois une langue et un récit, des caractères et toute une vie, le minuscule et l'hénaurme qui la font grande, dynamitant le stupide lion verdâtre accroupi pour l'éternité de Denfert-Rochereau pour mieux nous rendre à la férocité des comètes qui nous ont fait naître sur terre. »
Gwenaël de Boodt
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