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« Gertrude Stein dit que le sens vient lentement. Aussi ai-je placé tous mes espoirs dans l’âge, mais le temps ne m’a rien appris. Il s’est envolé en mille distractions. » [p.25]
C’est un « Livre des questions » conjugué à l’infinitif que ce Répéter les symptômes. Ou pas. Moins les questions peut-être que les articulations qui naissent entre elles, là où se tient comme une sorte de conscience des choses, rangée malgré elle dans un interstice inconfortable. Les mots usités et usés, on se demande comment ils vivent indépendamment du corps humain qui, à certains moments, les exprime. Et le sens des mots, quant à lui, échappe souvent à leur propre corps. Jusqu’à cet endroit où les choses ne sont plus ce qu’elles sont, « comme un chien qui ne reconnaît pas les odeurs » [p. 14] ou « comme des poils se dressant sur le dos d’une race sans poils » [p.15]
« Quand tu essaies de parler de ta douleur, c’est comme si tu étais obligé de parler une langue étrangère. Et les mots s’enfuient avant qu’ils ne sortent. »
« Livre des questions » partant du quotidien mijoteur, et surtout de l’imparable vieillissement qui nous défait peu à peu, ou par à-coups. Réflexion tremblante et généreuse sur l’âge (« l’homme ivre d’âge », note Canetti), l’opuscule de RosMarie Waldrop se fait compagnon de notre mélancolie comme de notre enchantement ultime, miraculeux viatique pour les matins de l’âge mûr, il sait toucher sans blesser, sans non plus biaiser, dans une manière à part de percevoir le quotidien alors que rétrécissent les journées et les jours.
Par ce subtil agencement du présent et de l’imparfait (« Je croyais que tout le monde aime… » [p. 22]), une sorte de jeu avec la concordance des temps, le vécu se poursuit dans l’aujourd’hui qui disparaît avant d’assez naître. Et « si vous essayez de sortir, chaque mot ouvre un labyrinthe ». Sa propre amnésie ou celle de l’autre, quand deux gouffres se regardent et s’absorbent, qui ne se connaissent plus.
Non pas retour sur soi, mais légère accélération pour arriver au même point, au cas où l’anxiété voudrait bien s’oublier dans la dilution, ou au contraire dans une série de nouvelles précisions des mots et de ce qu’ils désignent, impossiblement.
« D’abord vous avancez dans le brouillard, les échos, une panique qui part dans tous les sens. Puis l’encre noircit. La pensée raffine sa capacité à tuer. » [30]
Universitaire américaine, Rosmarie Waldrop est connue comme poétesse, éditrice, et comme traductrice des poètes français (Edmond Jabès, Emmanuel Hocquart, Anne-Marie Albiach Claude Royet-Journoud). Plusieurs de ses propres livres ont été publiés en France, notamment aux éditions de L’attente. Poète lui-même ‒ et quel poète ! ‒ Paol Keineg est une nouvelle fois son passeur en langue française.
« Mieux vaut traduire que jamais. » [p. 30]
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Rosmarie Waldrop, Répéter les symptômes (traduit par Paol Keineg), éditions La Barque, 14 €.